Télécharger le fichier en PDF Télécharger

Activité des sénateurs

Mesdames, Messieurs, les membres du Conseil Constitutionnel...

Par / 6 avril 2023

Je tiens à vous remercier pour l’organisation de cette audition qui souligne le moment important que représente l’examen par votre juridiction, de la conformité à la Constitution d’un projet de loi qui suscite depuis sa présentation le 10 janvier dernier, une opposition forte, largement majoritaire de l’opinion publique et des organisations syndicales unies.

Cette forte opposition provoque les manifestations les plus importantes de ces 40 dernières années.
Ce projet de loi a entraîné une crise sociale majeure et provoque une crise démocratique à l’issue incertaine.
Outre la question de fond, le choix du recul de l’âge de la retraite à 64 ans, c’est bien la contrainte, voire la violence faite au Parlement qui a fait basculer cette crise sociale vers la crise démocratique.

Je ne reprendrai pas bien entendu devant vous les différents points invoqués dans la saisine émanant de nos trois groupes.
Mais comment ne pas souligner à nouveau ce que l’on peut qualifier de détournement de procédure, l’utilisation de l’article 47-1 de la Constitution réservé aux projets de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale comme véhicule législatif de ce projet de réforme des retraites ?
Outre le fait que vous débattez de la présence de cavaliers sociaux évidents, c’est l’objectif poursuivi par le gouvernement qui interroge.

Cela est rapidement apparu, la volonté gouvernementale a été d’aller vite, de pouvoir recourir à l’article 49-3 de la Constitution sans puiser dans la réserve d’une utilisation par an, et d’éviter également la publication de l’avis du Conseil d’Etat obligatoire dont les projets budgétaires sont exemptés.
Il faut d’ailleurs rappeler que la Première Ministre a largement hésité avant d’avoir recours à cet article de la Constitution. Le choix d’une autre voie législative existait donc.

L’utilisation de l’article 47-1 s’est avéré calamiteuse.
Pour la première fois, un texte a été transmis sans avoir été voté par l’Assemblée nationale, en première lecture, et, vous le reconnaîtrez, il ne s’agit pas de n’importe quel texte.
Le fait est là, quelles qu’aient été les conditions du débat à l’Assemblée nationale, le véhicule législatif a permis de transmettre un projet de loi sans utilisation du 49-3 et donc sans vote aucun des député-e-s élu-e-s au suffrage universel direct.

La polémique sur les conditions mouvementées de l’examen du texte à l’Assemblée nationale a masqué ce fait pourtant essentiel qui, selon moi, a porté d’emblée un coup à la légitimité du projet de loi.
Le 47-1 contraint le temps de débat. Pourquoi y avoir recours sur un texte concernant les retraites, alors qu’en 2010 nous avions débattu durant près de trois semaines ?
Cela a été indiqué par de nombreux professeurs, cet article est fondé sur la nécessité de l’urgence des débats financiers pour éviter par exemple une forme de banqueroute de l’Etat ou de notre système de protection sociale ou pour faire face à des situations particulières.
Qui peut prétendre qu’il y avait urgence, à quelques semaines ou mois près, à débattre de cette réforme ? Personne.

Le Sénat, en bon élève, a voulu égaler le temps de débat ouvert à l’Assemblée nationale avec moins de jours mis à sa disposition.
Nous avons donc siégé sans discontinuer du jeudi 2 mars au samedi 12 mars en soirée.
Cela peut paraître anodin, mais ça n’a pas créé des conditions sereines de débats car la volonté d’adopter coûte que coûte ce projet dans le temps contraint décidé par le gouvernement était ainsi patente.
Le choix du 47-1 a, selon nous, d’emblée mis en cause la clarté et la sincérité du débat en limitant le nombre de jours de discussion sur un texte engageant l’avenir de millions de nos compatriotes.
Le Sénat a connu une utilisation massive de procédures réglementées par la majorité sénatoriale pour accélérer le débat afin d’atteindre l’objectif d’adoption du texte par la seconde chambre du Parlement et tenter de sauver le parcours législatif de la réforme.

Le gouvernement a conclu l’avalanche réglementaire par le recours au 44-3 car malgré tout, le temps manquait.
Le vote bloqué avec la mise en œuvre du 47-1 constitue une procédure, certes constitutionnelle à la lettre, mais prête à réflexion quant au respect de l’esprit de la Constitution.
Que dire du triptyque final, 47-1, 44-3 et 49-3 ? Ce sera à vous d’en juger.

J’aurais pu évoquer la mise en œuvre, très rare, de l’article 44-2, dans des conditions mettant également en cause le principe même du droit d’amendement.
L’avalanche procédurale ou réglementaire que j’évoquais, alourdit, selon moi, la mise en cause de la clarté et de la sincérité des débats que nous évoquons avec insistance.

Nous vous avons adressé hier un complément à l’argumentation déjà détaillée de la saisine en réponse aux observations de la présidence de la commission des affaires sociales qui, je me permets de le dire sans polémiquer excessivement, a écarté toute référence à la contrainte temporelle de débat et a tenté de justifier l’utilisation manifestement excessive de par leur répétition et leur concomitance d’articles du Règlement du Sénat.
J’attire tout particulièrement votre attention sur les conditions de mise en œuvre de la demande de priorité et de la disjonction de la discussion commune invoquée sur l’amendement de M. Savary, Rapporteur, procédure qui a permis d’accélérer considérablement le débat sur l’article 7, élément clef du projet de loi.
Mme Deroche indique d’ailleurs dans ses observations que 13 heures ont été consacrées à l’examen de cet article. Comment s’en satisfaire sur ce point qui est le point de crispation dans notre société aujourd’hui ?
Mesdames et Messieurs, je l’ai indiqué, ce débat s’est conclu au Parlement par la mise en œuvre de l’article 49-3, intervenant après un accord en CMP où les députés présents n’avaient pas de mandat clairement défini par leur Assemblée en première lecture.

L’Assemblée nationale n’a donc jamais voté le projet de loi en dehors de contrainte constitutionnelle.
Mesdames et Messieurs, voici brièvement présentés un certain nombre de griefs d’ordre constitutionnel mais aussi et bien entendu politique, car Constitution et politique ne sont jamais très éloignées.
Rarement une décision aura été tant attendue car c’est la vie des gens qui est en jeu, leur droit au repos évoqué dans ce Préambule de la Constitution de 1946 dont vous êtes aussi les gardiens.

Je vous remercie une nouvelle fois pour votre écoute et le travail que vous êtes en train de mener, à la portée historique évidente.

Administration