Affaires économiques

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Loi Macron, la loi qui taille patron

Quand le libéralisme se cache derrière le fourre-tout, chronique d’un débat parlementaire -

Par / 23 avril 2015

La loi Macron est examinée au Sénat. Interventions et analyses au jour le jour des élus du groupe CRC.

Douzième jour

Mardi 5 mai

Quels critères doivent présider aux investissements décidés par la SNCF sur son réseau ? Les besoins des usagers ? Les impératifs d’aménagement du territoire ? Le développement économique ? Rien de tout cela, mais une pure logique financière définie à l’article 51.

« Cet article porte sur les ratios d’investissement assurant la soutenabilité du modèle ferroviaire français. Il propose un ratio unique, dit règle d’or, soit la dette financière nette sur la marge opérationnelle de SNCF Réseau. Cet unique ratio perturbera le développement de l’entreprise, dénonce Jean-Pierre Bosino. Des projets nouveaux, même rentables, risquent d’être empêchés. Cette approche va à l’encontre d’un développement équilibré du réseau, au profit de la route -un comble. »

« Cet article reprend une disposition de la réforme ferroviaire que nous avions combattue, rappelle Christine Prunaud, limitant l’endettement de SNCF Réseau au moyen d’un ratio prudentiel ou règle d’or -dette financière nette sur marge opérationnelle. Le plafond de 25, fixé par la commission spéciale, signifie qu’avec une marge opérationnelle au niveau de 2014, il faudrait vingt-cinq ans pour rembourser la dette de l’entreprise -le ratio s’est établi à 18 l’an dernier. L’objectif est certes de limiter le surendettement. Nous aurions préféré que l’État reprenne la dette de la société, comme l’État allemand l’a fait. Le vrai problème reste de trouver des financements nouveaux pour le système. Que dirons-nous aux usagers ? Que les travaux de sécurité nécessaires n’ont pas été faits car ils étaient en dehors de la trajectoire financière retenue ? Nous proposons plutôt de mettre à contribution l’épargne salariale, via un livret dédié, ainsi que les sociétés d’autoroutes qui réalisent des profits insolents. Nous ne voterons pas cet article 51. »

Autre rappel, signé celui-là par Michel Le Scouarnec : « Le système ferroviaire ne peut s’autofinancer. Sa dette comme ses difficultés financières résultent du désengagement de l’État. C’est pourtant un service public inestimable, tant pour l’aménagement du territoire que pour l’environnement. Nos craintes comme celles des syndicats sont justifiées. La modernisation du réseau exige 2 milliards d’euros d’investissement par an ; il manque 1,5 milliard... L’État doit reprendre la dette de SNCF Réseau. Mobilisons les énergies pour reconquérir un service public ferroviaire efficace -fret et voyageurs. Ce n’est pas la voie empruntée par ce projet de loi. »

Une curiosité à l’article 53 bis. Un changement de nom, mais pas un changement sur le fond. Dommage.

« Cet article remplace BPI Groupe par BPI France, constate Marie-France Beaufils, ce qui parait assez peu normatif... Mais je saisis l’occasion pour revenir sur cet organisme. Son rapport annuel révèle que BPI France dispose de 5,6 milliards d’actifs, titres cantonnés dans l’ancien FSI ; les produits de liquidation assurent le financement de ses actions. En 2013, le rapport annuel fait apparaitre 1,2 milliard d’euros de cession de titres, soit 400 millions de plus-values. Gestion avisée ? Les plus-values sont supérieures au résultat net bancaire : le résultat de la BPI est essentiellement le fruit des gains de cession et des dividendes perçus. BPI se finance largement sur les marchés financiers à titre onéreux -53 % proviennent d’obligations, 33 % des ressources du livret de développement durable, le reste d’emprunts.

La BPI est pleine de sollicitude pour les détenteurs de capitaux. Anticipe-t-elle une remontée des taux ? Elle doit passer davantage par la BCE, dans le cadre du quantitative easing, pour refinancer intégralement ses engagements. La BPI va apporter 250 millions au Laboratoire français de biotechnologie pour un montant égal aux capitaux propres de cet établissement -dont le chiffre d’affaires est proche de 500 millions et le résultat inférieur à 10 millions...
La BPI n’est pas encore l’établissement que l’on pourrait attendre : une véritable banque publique. »

L’article 59 bis « modernise » les procédures suivies par l’Autorité de la concurrence en matière d’autorisation des opérations de concentration économique.

Commentaire de Michel Le Scouarnec : « La concentration des enseignes commerciales est un phénomène préoccupant. Outre-mer, certains groupes de la distribution disposent d’une position dominante sur des marchés captifs, ce qui nuit au pouvoir d’achat des ménages. La marge commerciale de ces groupes est confortable, ce qui montre qu’on peut s’accommoder des contraintes légales. Le cas s’observe aussi en métropole, où les centres villes sont désertés par les commerces de proximité tandis qu’aux entrées de villes fleurissent les mêmes enseignes... Nous n’avons jamais cru au pouvoir des autorités indépendantes pour réguler la concurrence. Renforcer les compétences du président de l’Autorité de la concurrence ne servira à rien si l’on ne promeut pas aussi les circuits courts ou si l’on ne fait rien pour le pouvoir d’achat des ménages. Les dispositions relatives au travail du dimanche renforceront encore le pouvoir des grands groupes, alors que le dimanche doit être réservé au lien social, aux familles, au cinéma, aux balades en forêt. Nous ne voterons pas cet article. »

Vous ne supportez plus la pub envahissante ? Préparez-vous à une indigestion. Merci l’article 62 .

« Cette article 62 crée une dérogation aux règles qui régissent l’affichage numérique aux abords des stades, explique Jean-Pierre Bosino. On veut ainsi dégager des recettes publicitaires pour financer l’Euro 2016. Nous déplorons la priorité accordée au sport spectacle, alors que les crédits alloués au sport pour tous ont diminué de 30 % depuis 2006, comme l’a remarqué la Cour des comptes. Dans le monde du football professionnel, on est loin des valeurs humanistes et d’émancipation par le sport... Pour financer des stades, les collectivités territoriales ont recours à des partenariats public-privé. Aujourd’hui, on veut trouver d’autres sources de financement. Mais nous refusons cette déréglementation tous azimuts. »

« Avec l’Euro 2016, indique aussi Cécile Cukierman, l’UEFA va faire des bénéfices énormes, alors que la construction et l’entretien des stades incombent aujourd’hui largement aux collectivités territoriales. Je ne porterai pas de jugement sur l’engouement pour le sport spectacle. Mais vous refusez de prendre l’argent là où il est, puis vous acceptez la publicité partout... C’est trop facile ! »

L’article 63 étend même le champ d’application du 62

« Depuis peu, certaines communes pionnières luttent contre l’invasion de la publicité dans nos espaces publics, surtout à la périphérie des grandes villes, afin d’améliorer la qualité de la vie des habitants. Or ce texte en étend l’emprise, dans les stades, nous l’avons vu et, par dérogation, dans cet article, aux règlements locaux, souvent plus contraignants que la législation nationale, déplore Cécile Cukierman. Alors que les prix de l’énergie augmentent, les publicitaires la gaspillent en multipliant les espaces d’affichages lumineux dispendieux. La publicité est une forme d’impôt privé, puisque son coût est répercuté dans le prix des produits, donc sur les dépenses des ménages. De plus, les contribuables n’exercent aucun contrôle sur son expansion. »

Avec l’article 64, on passe aux « retraites chapeau ». Pour les supprimer ? Pas vraiment.

« Cet article impose aux organismes gérant des régimes de retraite chapeau de remettre chaque année un rapport de suivi de leur activité à l’administration, note Dominique Watrin.
En 2013, 13 milliards d’euros de cotisations ont été versés et 7,5 milliards d’euros de rente viagère ont été servis. Moins de quinze ans après la création de plans d’épargne retraite populaires, le taux de couverture des rentes est ainsi de 50 % et devrait se dégrader.
Cet article est utile mais apporte une réponse limitée au problème de la déperdition du pouvoir d’achat des retraités : pour la plupart des bénéficiaires des régimes de retraite supplémentaires, le montant perçu n’excède pas 100 ou 150 euros par mois. La question des retraites des travailleurs indépendants n’est pas abordée, non plus que celle des retraites dites « article 39 », à l’origine du scandale des « parachutes dorés ». Nous serons attentifs à l’ensemble des situations -y compris à ces retraites chapeau à larges bords- lors de l’examen du PLF et du PLFSS prochain. »

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« Les retraites chapeau à bords très larges sont scandaleuses, lance Patrick Abate. En 2011, l’ancien PDG de France Télécom, Didier Lombard, a bénéficié d’une retraite chapeau de 7,3 millions d’euros. En 2013, l’ancien patron de PSA Peugeot Citroën, Philippe Varin, a renoncé, sous la pression des syndicats, à une retraite chapeau de 21 millions d’euros, En 2014, le patron de GDF Suez, Gérard Mestrallet, a touché une retraite chapeau de 21 millions d’euros. Moralisons le capitalisme ; cela passe par l’État, surtout lorsqu’il siège au conseil d’administration de ces entreprises. »

Plus important est l’article 64 bis, qui soumet le niveau de ces retraites chapeau à la performance économique. Plus qu’un encadrement, une légitimation de pratiques indéfendables.

« L’examen de cet article, précise Christine Prunaud, à l’Assemblée nationale est intervenu peu après l’annonce de la retraite chapeau reçue par M. Mestrallet. Au regard des politiques d’austérité imposés aux salariés, ces pratiques sont proprement scandaleuses. Dois-je rappeler que la retraite moyenne s’élève en France à 1 240 euros par mois, 950 euros pour les femmes. Cet article conditionne ces retraites à la performance de l’entreprise et à l’approbation du conseil d’administration. C’est louable mais insuffisant : visons leur disparition. »

Sur le fond, dit Jean-Pierre Bosino, « nous sommes opposés au développement d’un système de retraite parallèle par capitalisation. Les rentes doivent être soumises à des taux de contribution dissuasifs, il faut lutter contre les parachutes dorés qui sont indécents aux yeux de nos concitoyens. Une politique de gauche consisterait à augmenter les salaires et les pensions pour garantir à chacun une retraite digne. Comment convaincre de l’intérêt du collectif, après tant de mesures individualistes ? »

D’autant, explique Dominique Watrin que « l’endogamie est patente entre dirigeants d’entreprises et hauts fonctionnaires. Ainsi, M. Mestrallet, après avoir travaillé pour la Compagnie financière de Suez puis pour la Société générale de Belgique, est revenu chez GDF Suez, désormais Engie, pour y exercer la fonction de PDG... et travailler à ses heures perdues comme administrateur pour Saint-Gobain et Siemens. On pourrait en dire de même d’Isabelle Cochet, passée par Safran, Rothschild et quelques cabinets ministériels, administratrice de quatre filiales majeures d’Engie et d’Axa ».

La séance est levée à 3 h 55. 119 amendements ont été examinés, il en reste 293….


Onzième jour

Lundi 4 mai

La séance ouvre à 10 h. Après deux semaines d’interruption, l’examen du projet de loi Macron reprend au Sénat. Les articles 71 à 82 bis relatifs au travail dominical et en soirée ont été appelés en priorité, et sont donc en discussion.

L’article 71 fixe une durée maximale de trois ans pour certaines dérogations au travail du dimanche accordées par le préfet.

« Depuis 1906 et la loi Sarrien, de nombreuses modifications ont été apportées au droit du travail le dimanche jusqu’à la loi Mallié de 2009, rappelle Annie David. Coexistent aujourd’hui des dérogations permanentes, conventionnelles ou temporaires. Le groupe CRC considère que le droit au repos et à la famille doit être préservé pour tous nos concitoyens ; c’est la garantie d’un temps commun pour soi, ses proches, pour la vie collective. Patricia Schillinger n’hésitait pas à dire en 2012, lors de l’examen de notre proposition de loi que le Sénat avait adoptée, que le travail du dimanche marquait un délitement des liens humains et une perte de valeurs au seul bénéfice de la recherche du profit, n’avait pas de réel impact économique et fragilisait les petits commerces de proximité. Il n’est pas question pour nous de revenir sur les dérogations existantes, strictement encadrées. Mais la loi Mallié a introduit des inégalités suivant les zones géographiques ; en zone touristique, les droits des salariés sont moins bien protégés. Nous entendons remédier à ces inégalités sans renoncer à nos valeurs. Les arguments énoncés en 2012 restent criants de vérité ; nous voulons garantir à tous les salariés des garanties équivalentes et un vrai droit au repos dominical. »

« Le travail du dimanche doit demeurer l’exception, souligne à son tour Dominique Watrin. Il concernait déjà 6,5 millions de travailleurs en 2011, selon la Dares. Il y a une certaine hypocrisie à prétendre maintenir son caractère exceptionnel et vouloir dans le même temps l’étendre à davantage de salariés. C’est un acquis social essentiel. Le pouvoir d’achat ne progressera pas du seul fait de l’extension du travail du dimanche. On invoque beaucoup les touristes étrangers privés de la fréquentation des grands magasins parisiens, bien moins de la vie familiale et sociale des salariés. Or la Dares le rappelle, le travail du dimanche va souvent de pair avec le travail du samedi et en soirée. Les femmes, les familles monoparentales en sont les premières victimes. M. le ministre nous dit que les accords fixeront des contreparties pour financer la garde des enfants ; encore faudrait-il que les salariés trouvent des modes de garde ce jour-là. Nous ne partageons pas l’optimisme de Mme Anne Perrot, présidente de la commission d’étude des effets de la présente loi, selon laquelle « on peut imaginer que cette mesure [...] puisse être favorable au travail féminin et aux personnes qui n’ont qu’un emploi à temps partiel ». Le travail du dimanche comme remède à la précarité du travail des femmes, c’est un comble ! Mettons plutôt fin au temps partiel imposé. Pour certains salariés dans des secteurs mal rémunérés, le travail du dimanche est la seule façon de gagner un peu de pouvoir d’achat. »

Intervention d’Eliane Assassi : « Monsieur le ministre, vous dites que le droit du travail place les salariés dans une situation d’inégalité, selon qu’ils travaillent dans une zone touristique, dans un établissement bénéficiant d’une autorisation temporaire préfectorale, ou qu’ils travaillent un des cinq dimanches où le travail est autorisé ; leur rémunération varie fortement suivant les cas. Plutôt que remédier à ces inégalités, vous préférez généraliser les dérogations et renvoyer la définition des compensations aux accords collectifs.Toute la gauche en 2012 a voté ici notre proposition de loi. Nous demandons la suppression de cet article. »

Opposés fermement au travail du dimanche, les sénateurs communistes n’affichent pas pour autant une position dogmatique : « Nous reconnaissons le caractère indispensable des dérogations dans certains secteurs, indique Eric Bocquet. Mais acheter du papier peint ou des chaussures le dimanche n’a rien de prioritaire... Et que faites-vous des besoins de garde d’enfants ? Les crèches seront fermées. Les salariées devront trouver une assistante maternelle et la payer avec ce qu’elles auront gagné le dimanche. Est-ce cela que vous appelez « sécuriser les salariés » ? Vous dérogez à un droit fondamental auquel la gauche, Mme Lienemann l’a rappelé, est très attachée... Aujourd’hui l’économique prime sur le social, le consommateur sur le salarié ; ce n’est pas notre conception de la société. »

L’article 72 prévoit de créer des zones de tourisme international (ZTI) définies selon trois critères : le rayonnement international de ces zones, l’affluence exceptionnelle des touristes étrangers et l’importance de leurs achats. Des zones où le travail du dimanche sera autorisé toute l’année.

« Le bruand à gorge blanche est un petit oiseau capable de voler sept jours d’affilée sans dormir, performance dont le département américain de la défense s’est inspiré pour mener des études afin d’obtenir des soldats qui n’aient pas besoin de dormir, ironise Éric Bocquet. Veut-on ainsi des salariés doués des mêmes capacités ? Le salarié sans sommeil sera-t-il le précurseur de la future société ? Le gouvernement souhaite-t-il une société du 24 heures sur 24, sept jours sur sept ? »

Ces critères de définition de ces ZTI sont bien flous, remarque Éliane Assassi : « On comprend qu’il s’agit de contourner l’opposition du Conseil de Paris et des salariés des magasins du boulevard Haussmann. Des communes littorales sont aussi éligibles. Ne faut-il pas craindre une concurrence entre elles ? Les avis prévus enfin ne sont que consultatifs. Nous sommes inquiets pour la santé des salariés concernés. »

Des salariés qui seront parfois des étudiants. « Si l’on inclut les petits boulots d’été, 73 % des étudiants doivent concilier leurs études avec une activité salariée, rappelle Annie David. On sait ce qu’il en est de leur réussite aux examens. Est-il légitime d’ériger cela en modèle ? D’aucuns diront qu’ils ont trop de loisirs, ou qu’ils en ont fait autant lorsqu’ils étaient jeunes... Or les étudiants n’ont pas de temps à perdre. À cause de la faiblesse de l’encadrement, le travail personnel est important. De plus les étudiants qui travaillent sont exclus, de fait, des classes préparatoires, des BTS et IUT, où le temps de scolarité est plus important. Il importe d’envisager cet aspect de la question car ces étudiants seront la main-d’oeuvre prédestinée aux emplois du dimanche. »

« À qui profitent les ZTI, interroge enfin Laurence Cohen ? Les ménages ont perdu 3,3 % de pouvoir d’achat entre 2010 et 2013. On nous dit que les touristes chinois traversent la Manche pour faire leurs courses à Londres plutôt qu’à Paris. Mais pour aller à Londres, il leur faut un visa puisque ce n’est pas l’espace Schengen. De plus, si ces touristes arrivent d’abord en France, n’est-ce pas parce que la vie y est agréable le dimanche ? Le gouvernement se plie en réalité aux desiderata des grandes enseignes, au détriment de l’intérêt général, des familles, du pouvoir d’achat des ménages. »

Autre disposition permettant l’extension du travail du dimanche, la création de « zones touristiques caractérisées par une affluence particulièrement importante de touristes », prévue par l’article 73.

« L’objectif de simplification de cet article n’est pas atteint et se fait au détriment de la démocratie, poursuit la sénatrice du Val-de-Marne. L’ouverture le dimanche dans une zone touristique sujette à une affluence particulièrement importante sera désormais autorisée par le préfet sur demande du maire, sans consultation des syndicats, des EPCI, des chambres de commerce. Elle sera soumise à la conclusion d’un accord collectif ; mais en absence d’accord, c’est la décision de l’employeur qui primera. Comment imaginer que les salariés en situation de précarité s’y opposeront ? Ils travailleront contre leur gré.Ces zones sont touristiques pour bien d’autres raisons que pour leur activité commerciale - patrimoine architectural, paysages, dynamisme culturel. C’est justement ce que nous voulons valoriser en nous opposant à l’ouverture des commerces le dimanche. »

« Avec ce texte, le Gouvernement s’engage dans une phase de recul social, résume Dominique Watrin. La loi de juillet 1906 est une des pierres angulaires de notre pacte républicain. Selon l’historien Robert Beck, elle est fondée sur deux valeurs, le repos et la famille. Quels impératifs justifient réellement l’ouverture le dimanche ? Aucune étude n’a encore montré que cela favoriserait la création d’emplois - cela se saurait... À l’inverse, selon la Dares, les petits commerces et 30 000 emplois seraient menacés. Le volontariat est un leurre, les salariés seront contraints de travailler le dimanche et seront en position d’infériorité pour obtenir des compensations. Les femmes seront les premières victimes de ces nouvelles mesures de dérégulation. La France compte 17 % d’emplois précaires ; si la flexibilité favorisait la croissance et l’emploi, cela se saurait. Sacralisons plutôt ce jour de repos. Cela devrait nous rassembler. Le vivre ensemble, rappelé à l’unisson récemment, l’exige. »

Examen de l’article 74. Même logique.

« Cet article vise les établissements situés dans des zones commerciales caractérisées par une offre et une demande commerciales denses. Les zones commerciales remplaceront les Puce, contestés, explique Annie David. La gauche, à l’époque, avait voté contre la loi Mallié. Les Puce, pourtant, ne concernaient que des agglomérations de plus d’un million d’habitants, c’est-à-dire Paris, Lille, Aix-Marseille et Lyon. Comme on supprime ce critère et que la définition des nouvelles zones est très floue, on va multiplier les endroits concernés. Voulez-vous vraiment réduire notre société à une société marchande ? Bien des petits commerces seront menacés. Que signifiera le volontariat avec le rapport de forces actuel dans les entreprises ? Vous êtes peut-être naïfs, pas nous. Les associations verront leurs activités compromises parce que les bénévoles qui s’en occupent seront sommés de travailler le dimanche. C’est le jour des tournois sportifs, des matchs de football et de rugby. »

L’article 75 détermine les procédures, pas très démocratiques, de délimitations des zones touristiques précédemment créées.

« Le schéma prévu à cet article est marqué par un fort jacobinisme, note Dominique Watrin. : les élus locaux ne donneront leur avis qu’après-coup sur la création d’une nouvelle zone commerciale. De fait, il reviendra au préfet de région de se prononcer sur la réalité d’un territoire dont il est de plus en plus éloigné, la loi NOTRe ayant ajouté une distance nouvelle entre le représentant de l’État et la population. Dernier argument, le refus de tenir compte des conséquences sociales de la création de ces zones. Il était question que l’étude d’impact précise les effets sur le salarié, légitime revendication, malheureusement balayée. Actuellement, deux conditions minimales, certes insuffisantes, sont exigées, la consommation attendue le dimanche et une situation de concurrence particulière, telle celle des zones frontalières. Elles ont néanmoins le mérite d’exister et de ce fait le travail dominical demeure une exception. Le risque, c’est qu’il se généralise, sans effet réel sur la croissance, la consommation, l’emploi. »

« Pour nous, cet article, comme les précédents, ouvre une brèche, ajoute Évelyne Didier. À y regarder de près, les salariés du dimanche sont majoritairement des femmes et des étudiants. Leur seule motivation est de gagner un peu plus d’argent pour boucler leurs fins de mois. Quelle tristesse ! Nous sommes loin de la société de la culture et des loisirs pour tous. »

L’article 76 soumet l’ouverture dominicale à un accord collectif.

« Lors de votre audition par la commission, je vous avais interrogé, en vain, sur la question des « salariés mandatés », interpelle Annie David en s’adressant à Emmanuel Macron. Pourquoi renvoyer à l’article L. 5125-4 du code du travail, qui vise les salariés mandatés en cas d’accord de maintien dans l’emploi, donc de situation où l’entreprise est en grande difficulté, plutôt qu’à l’article L. 2232-27 relatif aux relations collectives de travail, donc aux situations normales ? En réalité, parce que le premier offre moins de garanties : un accord non écrit, entre autres. Ce faisant, vous privilégiez le moins-disant social que la commission spéciale a étendu en excluant les commerces de moins de 11 salariés - soit deux tiers des salariés du secteur. »

L’ article 77 porte sur le volontariat et précise que seuls sont volontaires les salariés ayant donné leur accord écrit.

« Mais de quel volontariat s’agit-il en situation de chômage de masse ? Cet article nie la réalité du monde du travail fondé sur le rapport de force déséquilibré, réagit Laurence Cohen. Le gouvernement méconnaît-il cette réalité ? Nous penchons plutôt pour le renoncement, nous souvenant que François Rebsamen a reconnu lors de son audition par la commission spéciale ne pas voir dans le contrat de travail un rapport de subordination. Or le Code du travail, une juridiction ad hoc, des syndicats, un service d’inspection spécifique ont été créés pour remédier à ce déséquilibre. Nous souhaitons la suppression de cet article, qui imposerait de fait de travailler le dimanche à tout salarié qui entrerait dans une entreprise ayant décidé d’ouvrir le dimanche. Le volontariat n’est que de façade. D’ailleurs le texte prévoit qu’à défaut d’accord, l’employeur décidera. Quand on est confronté au risque de chômage, quelle est la liberté ? »

Article 79. Au tour des gares.

« L’article 79 récrit le code du travail pour étendre le travail du dimanche aux commerces de détail non essentiels situés à proximité des gares, souligne Laurence Cohen. À l’origine, dix gares sont concernées, deux fois plus devraient l’être d’ici 2020. Le droit actuel permet déjà aux commerces essentiels - commerce de bouche, café, kiosque à journaux - d’ouvrir le dimanche dans l’enceinte et à proximité des gares. Cet article tend davantage à étendre l’ouverture des commerces de détail de textiles situés dans l’enceinte ou à proximité des gares. Le droit existant est largement suffisant. Aucune étude indépendante ne confirme les avantages de cette mesure. L’humanisation des gares passe plutôt par l’arrêt des suppressions de postes à la SNCF, comme le réclament de nombreux élus en Île-de-France. »

L’ article 80 porte de 5 à 12 le nombre de dimanches lors desquels les commerces peuvent être ouverts sur autorisation du maire, auxquels il faut ajouter trois jours fériés.

« Ce n’est pas qu’une question de chiffre : en passant de 5 à 12, on passe d’une ouverture exceptionnelle à une ouverture régulière, estime Annie David. Certes, ces dimanches sont compensés, mais travailler un dimanche par mois en moyenne reste inacceptable. Nous avons rencontré les salariées de l’entreprise Ed-Dia à Albertville. Toutes ont refusé de travailler le dimanche, pour profiter de leur famille. Sans parler des conséquences sanitaires : les troubles musculo-squelettiques sont d’ailleurs la première cause de maladie professionnelle. Voulons-nous une société entièrement réglée par le consumérisme ? L’homme a-t-il été créé pour le commerce, ou le commerce pour l’homme ? »

« Avec 12 dimanches par mois, cet article banalise encore davantage le travail le dimanche, renchérit Dominique Watrin. Nous sommes loin des conditions envisagées par l’étude d’impact - soldes, fêtes de fin d’année. Cette étude est muette sur l’impact en termes de création d’emplois. Et pour cause : les petits commerces disparaitront, et les grands magasins développent les caisses automatiques et suppriment des emplois. L’OFCE a estimé en outre que le travail du dimanche aboutirait à un transfert de dépenses et non à un surcroît de consommation. Nous sommes loin de l’objectif affiché : stimuler l’activité. »

« Ces 12 dimanches s’ajoutent aux régimes déjà prévus pour les ZTI. Un régime supplémentaire : nous sommes loin de la simplification voulue. De plus, à chaque régime sa règle de compensation pour les salariés, relève pour sa part Pierre Laurent. La droite a jugé que l’obligation d’être couvert par un accord collectif était de nature à « porter atteinte au pouvoir de direction de l’employeur, qui est une composante de la liberté d’entreprendre, dès lors qu’elle ne permettrait pas de prendre en compte la difficulté qu’auraient certaines petites entreprises dépourvues de représentation du personnel et de délégués syndicaux, de parvenir à la conclusion d’un tel accord dans les conditions de droit commun ». Cette interprétation de la jurisprudence du Conseil d’État est erronée : depuis 2008, la conclusion d’accords collectifs est possible dans les entreprises de moins de 200 salariés dépourvues de délégués syndicaux, avec les représentants élus ou à défaut avec un salarié mandaté.

Le texte n’établit pas de hiérarchie entre les accords. La loi de 2004 permet à un accord d’entreprise de déroger au droit commun. Selon nous, faute de disposition particulière, la règle de faveur devrait s’appliquer. »

L’article 81 est aussi appelé l’article « Sephora », du nom de l’enseigne des Champs-Elysées. Il décale, pour les commerces situés dans les zones touristiques internationales, l’heure du début du travail de nuit de 21 h à minuit.

« En cohérence avec le reste du texte, cet article vise à casser le droit des salariés, s’indigne Annie David. La cour d’appel de Paris avait interdit une telle ouverture nocturne, dépourvue de lien avec les nécessités de l’activité du parfumeur, arrêt confirmé par la Cour de cassation. Cette enseigne dégage d’importants bénéfices : la crise n’est pas pour tout le monde. Cet article prend cette jurisprudence à revers. Or les salariés qui travaillent de nuit sont plus exposés aux risques sanitaires et au stress. Ce n’est pas nous qui le disons, mais le ministère du travail lui-même. Le travail de nuit a-t-il vraiment un effet bénéfique sur l’économie ? Le Virgin des Champs-Élysées était ouvert jusqu’à minuit sept jours sur sept ; cela ne l’a pas empêché de mettre la clé sous la porte. Le travail de nuit est en tout cas une souffrance supplémentaire pour les travailleurs et vous allez très loin dans la casse des acquis sociaux. »

« Ces dispositions ont un impact fort sur le travail des femmes, indique aussi Laurence Cohen. L’étude d’impact n’en dit mot, alors que cette dimension transversale est censée être prise en compte dans tous les textes. Cet article 81 change les dénominations mais non la pénibilité des conditions de travail. Le travail « en soirée » ne sera pas moins difficile que le travail « de nuit » ! Quid des besoins de garde d’enfants et des conditions de transport ? Voyez le rapport récent du Haut Conseil à l’égalité entre hommes et femmes : le harcèlement sexiste n’est pas rare dans les transports en commun, a fortiori la nuit. »

La séance est levée à 3 h 10. 416 amendements restent à examiner.


Dixième jour

Vendredi 17 avril

La séance est ouverte à 9 h 35.

L’article 35 bis favorise certains avantages fiscaux.

« Cet article renforce encore les avantages fiscaux « Madelin » et « ISF-PME ». Les salariés de Gad et de Doux apprécieront, dénonce Éliane Assassi . Actuellement, ces avantages entraînent une déperdition de 161 millions pour moins de deux milliards d’engagements financiers. Pour quelle efficacité ? Plus il y a d’entreprises enregistrées au greffe du tribunal de commerce, plus le chômage augmente.Mieux vaudrait relever le plafond du Livret A et du Livret de développement durable : 350 milliards d’encours pour 650 millions de dépenses et coûts associés. Ce serait efficace pour l’emploi. »

Idem pour le 35 ter B

« L’ISF est grevé de nombreuses niches fiscales, souligne Pierre Laurent. Quelque 47 000 contribuables bénéficient du dispositif ISF-PME pour un apport en capital de 468 millions d’euros. Ils sont 30 305 contribuables assujettis à la première tranche de l’ISF pour un apport de 330 millions d’euros au capital des PME. Seuls 30 % d’entre eux versent leur apport directement aux PME, pour un montant moyen de 14 225 euros. L’apport moyen s’élève à 15 400 euros via une holding. Il est de 9 100 euros pour ceux qui passent par un fonds de proximité et de 8 950 euros pour ceux qui ont recours aux FCPI. Il n’y a donc aucune raison de doubler le plafond de la réduction d’impôt qui est associé à ce dispositif. Cela n’aura aucun effet direct sur l’investissement réalisé dans les PME.

Cela continue avec le 35 ter C

« Le dispositif Madelin est largement surdimensionné au regard de son efficacité, intervient de nouveau le secrétaire national du PCF et sénateur de Paris. Les fonds levés sous cet empire représentent moins de 700 millions d’euros pour l’année 2013, avec un peu plus de 800 millions d’investissements dont l’imputation a été reportée. Autant dire qu’il ne résout pas le problème du besoin de fonds propres des entreprises. Ce mécanisme qui ne profite qu’à des investisseurs qui doivent être bien malheureux pour que les parlementaires veuillent les aider à boucler leurs fins de mois. Arrêtons avec les niches fiscales. Qui financera le capital productif, si ce n’est les banques ? Où vont les 1 140 milliards d’euros injectés par la Banque centrale européenne ?)

Rebelote avec le 35 quater qui instaure les « sociétés de libre partenariat ».

De quoi s’agit-il ? Réponse d’Eliane Assassi : « La « société de libre partenariat » (SLP) se présente comme une forme de fonds d’investissement à la française. Elle est issue d’une ordonnance et propose un formidable outil d’optimisation fiscale... Quels emplois sont-ils ainsi susceptibles d’être créés ? Des analystes financiers, contrôleurs de gestion et autres « tueurs de coût »... Ces fonds d’investissement se comporteront comme les autres, c’est-à-dire comme des chasseurs de rentabilité financière sous toutes ses formes. Nous refusons ce nouveau mouvement de prédation financière sur l’économie de production. »

L’article 35 nonies (vous suivez ? ) traite lui de l’épargne retraite.

« Membre du Conseil d’orientation de la participation, de l’intéressement, de l’épargne salariale et de l’actionnariat salarié (Copiesas), j’ai dit mon hostilité à cet abaissement du taux du forfait social, témoigne Annie David. Le Copiesas table sur une réorientation de l’encours du Perco de 1,9 milliard d’euros. Mais 0,5 point de forfait social, c’est 150 millions de moins pour la sécurité sociale. La baisse ici proposée lui coûterait environ 2 milliards d’euros quand le gain pour l’économie n’est estimé qu’à 130 millions d’euros par an. Ce n’est pas le moment, alors que le nombre de retraités augmente par rapport à celui des actifs ! Vu la faiblesse des salaires, impossible de constituer une épargne-retraite. D’ailleurs, les salariés des petites entreprises, comme ceux de l’hôtellerie-restauration, n’ont guère accès au Perco. C’est vrai aussi des femmes ; n’y aurait-il pas un lien avec l’inégalité salariale dont elles sont victimes ? Après des années de travail, ne restent pour beaucoup que des ressources proches des minima sociaux. »

L’article 40 ter, appelé en priorité, abaisse à partir du 1er janvier 2016 le taux du forfait social de 20 % à 8 % pendant six ans pour les très petites, petites et moyennes entreprises qui mettent en place volontairement pour la première fois un dispositif de participation ou d’intéressement.

« Les évolutions vont toujours dans le même sens : exonérer toujours plus les entreprises, pour des effets qui restent à démontrer, note Pierre Laurent. L’effet de substitution au salaire fonctionne à plein, monsieur le ministre, y compris dans les grandes entreprises : il y a de moins en moins d’augmentations de salaire, de plus en plus de substitution. Et je ne parle pas des entreprises où l’obligation de négociation annuelle salariale n’est même plus respectée... La part de la valeur ajoutée qui va aux salaires ne cesse de diminuer, c’est une des causes de la crise. Plutôt que d’opposer offre et demande, il faudrait relancer les deux : on ne sortira pas de la crise sans relancer la demande. Une politique de l’offre, d’ailleurs, ne consiste pas à satisfaire ceux qui ne recherchent que la rentabilité. »

« Nous sommes opposés au principe de tacite reconduction des accords d’intéressement, indique Eliane Assassi à propos de l’article 40. Vous offrez un bonus aux patrons qui ne souhaitent pas renégocier un accord défavorable aux salariés. Curieuse conception du dialogue social... »

Autre article, autre sujet. Le 40 bis A fait jouer à certaines entreprises le rôle d’une banque.

« Cet article favorise le shadow banking, en rendant les PME dépendantes de prêts consentis par de grandes entreprises, dont ce n’est pas le rôle, déplore Annie David. Les rapports de domination sont déjà suffisamment prégnants, par exemple quand on est fournisseur de Carrefour ou d’Auchan... Cet article apporte une mauvaise réponse à une vraie question, car il y a toujours derrière un taux d’intérêt, une rémunération du capital. Il faudra bien un jour imposer aux banques quelques obligations... »

La séance est suspendue à 19 h 50 et reprend à 21 h 45, pour une longue nuit de débat qui va se transformer en grande braderie nocturne des entreprises publiques.

On commence avec les CHU, autorisés à ouvrir des filiales privées à l’étranger grâce à l’article 42.

« Plutôt que de soutenir les CHU, vous prétendez, avec cet article, mettre fin à des pseudo rigidités françaises en les autorisant à créer des filiales à l’étranger, à prendre des participations dans des sociétés commerciales, à créer leurs propres antennes à l’étranger. La promotion de nos savoir-faire peut continuer à passer par des coopérations, comme avec l’Algérie et le Vietnam, mais vous préférez le modèle de l’hôpital-entreprise, critique Laurence Cohen. Notre système hospitalier public se meurt depuis la loi HPST et les coupes budgétaires successives, il devrait retrouver la santé en se lançant dans des activités commerciales à l’étranger ? C’est mettre en cause notre modèle, bâti sur l’excellence et la proximité. Vous franchissez une nouvelle étape de sa remise en cause. »

« Cet article détourne les CHU de leurs missions en leur donnant une vocation mercantile, poursuit Annie David. La commission spéciale a adopté sans modification cet article qui opère un mélange des genres entre le public et le privé. Nos hôpitaux publics n’ont pas vocation à vendre leur savoir-faire à l’étranger ; qu’elles développent plutôt les collaborations, dont le cadre peut sans doute être amélioré. Et que l’État mène enfin une politique d’investissement à leur égard, alors qu’ils sont délaissés, que les conditions de travail et de prise en charge des patients ne cessent de se dégrader. »

« Après le service public des transports et celui de la justice, on assiste à une marchandisation du service public de la santé, complète Brigitte Gonthier-Maurin. Le groupe CRC ne refuse pas l’exportation de notre savoir-faire par chauvinisme. Nous sommes pour les collaborations.
La situation des CHU est calamiteuse ; leur exposition aux emprunts toxiques atteint 2,5 milliards, leur dette à moyen et long terme a doublé en dix ans, le recours à l’emprunt a été encouragé. Mais la santé n’est pas un commerce, l’accès à la santé est prescrit par la Déclaration universelle des droits de l’homme. Nous ne voulons pas d’un recul des principes du service public. »

L’article 43 A modifie plusieurs dispositions juridiques pour tenir compte de l’ordonnance du 20 août 2014 relative à la gouvernance et aux opérations sur le capital des sociétés à participation publique. Injustement méconnue, cette ordonnance permet à l’Etat de privatiser beaucoup plus facilement. Oui, c’est bien un scandale.

« Ce chapitre aurait pu s’intituler : « Organisation concrète de la privatisation du service public », relève Jean-Pierre Bosino. Il est inconcevable d’avoir réformé le mode de gouvernance de 1 300 entreprises publiques sans débat parlementaire. Nous mènerons ce débat point par point, quelle que soit l’heure ou le jour, il y va de la dignité du Parlement.En 2013, ont été vendus 7,5 % de Safran, 9,5% d’ADP. Sont venus en 2014 des parts de GDF, puis l’aéroport de Toulouse. Vous caricaturez notre programme, en faisant référence à l’époque soviétique, alors qu’il est on ne peut plus moderne puisqu’il s’agit de réagir à la révolution thatchero-reaganienne. Nous résistons à votre projet de société au service des puissants. »

« La loi de simplification de la vie des entreprises de 2013 autorisait le gouvernement à agir par ordonnances dans le domaine des entreprises dont l’État détient tout ou partie du capital. Dans le débat de décembre 2013, Mme Pellerin évoquait un « vaste chantier » très « technique », rappelle M. Pierre Laurent. Ce qui a compliqué la vie des entreprises publiques, ce sont plutôt les lois de privatisation ou d’ouverture à la concurrence. Avec l’ordonnance, la démocratie sociale a souffert, car nombre d’entreprises sont tombées dans le champ du code du commerce. Cet article est du cache-tampon : on nous en dissimule la portée réelle. »

Déclinaison supplémentaire, l’article 43 C régit les opérations de privatisation réalisées par les collectivités territoriales et leurs groupements.

« Le terrain juridique a bien été préparé pour céder les services publics, analyse Jean-Pierre Bosino. À partir de 2010, les sociétés publiques locales sont devenues le cheval de Troie de la privatisation. Le privé serait plus efficace, voilà la vision qui transpire de tous les articles de ce projet de loi. Vous vous acharnez à détruire tout ce qu’il y a de public dans nos territoires. Les défaites de la majorité sont pourtant essentiellement liées à votre politique de destruction du lien social. La finance ne supporte pas une gestion positive des intérêts publics. Depuis 1986, le dogme du marché prime sur l’intérêt de nos territoires. Les privatisations sont bien la finalité de la politique libérale. Le service public représente 800 000 emplois, y compris dans le privé. C’est grâce à lui que la France a surmonté la crise de 2008. Pourtant, vous voulez finaliser sa destruction au bénéfice de quelques intérêts particuliers. Un service rentable ne doit plus rester dans le giron public... »

Cette grande braderie se poursuit avec la privatisation de l’industrie d’armement terrestre, prévue à l’article 47. Si même nos blindés foutent le camp…

« Cet article autorise la cession par l’État de la majorité du capital du Groupement industriel des armements terrestres (Giat) pour permettre le rapprochement entre Nexter, filiale de Giat, et l’allemand KMW. L’État français n’y détiendrait plus que 50 % des parts. La société holding chargée de la coordination entre les deux entreprises sera basée... aux Pays-Bas. On nous présente cette évolution comme inéluctable dans un contexte de concurrence. Cette fusion nous fait toutefois craindre que l’on ne fasse primer l’objectif de rentabilité rapide, explique Brigitte Gonthier-Maurin. Faut-il se déployer exclusivement vers l’exportation ? Les bases industrielles de défense visent à préserver notre indépendance et notre autonomie stratégique : il y a là un enjeu de souveraineté. Or, avec cette évolution, la conception des armements ne serait plus fonction de nos besoins nationaux, mais de ceux du marché mondial. Des compétences et savoir-faire risquent de disparaître. Des brevets français seraient mutualisés, cédés au privé, au risque que l’Allemagne s’oppose à l’exportation de produits protégés par des brevets allemands. Enfin, cette fusion se traduira, à terme, par des suppressions d’emplois. D’autres solutions existent, comme un grand pôle public de l’armement terrestre autour de Nexter, de Renault Trucks, de Thalès et Sagem-Safran. Cela avait remarquablement fonctionné pour Airbus et cela préserverait notre indépendance. »

Inquiétude partagée par Michel Billout : « Comment être certain que cette opération ne va pas nous nuire ? La France aurait été classée troisième pays exportateur d’armes en 2014 si elle avait livré le Mistral à la Russie. Le commerce des armes progresse. Les États-Unis détiennent 31 % du marché, la Russie 27 %. La Chine, très dynamique, assure désormais 5 % des exportations mondiales avec un bond de 143 % de ses exportations. L’exportation d’armements s’accompagne, de fait, de transferts de technologie. Les conditions doivent être les mêmes pour la France et l’Allemagne. Nous manquons de visibilité. Les intérêts de nos deux nations, les besoins de nos armées ne sont pas identiques. L’industrie de la défense qui ne vit que de l’investissement national doit assurer notre indépendance stratégique. L’armée de terre va en outre devoir renouveler son matériel vieillissant. Il faut plus de clarté, de rigueur dans ce type de rapprochement. Les dépenses militaires irradient la recherche civile, on le sait, mais les intérêts de la France et de l’Allemagne, là aussi, ne sont pas les mêmes... »

« Cet article fusionne Nexter et KMW. L’État détiendrait, à parts égales, 50 % dans la nouvelle entreprise, NewCo. N’étant plus majoritaire, comment pourra-t-il exercer un contrôle sur les exportations d’armes, et s’assurer que celles-ci ne tombent pas dans de mauvaises mains ? Autre problème, soulève pour sa part Jean-Pierre Bosino : les gammes des deux entreprises existantes peuvent être calquées l’une sur l’autre. Le Leclerc et le VBCI de Nexter sont en concurrence avec l’homologue de KMW. Cela met en péril les emplois et les sites, car il faudra choisir entre ces produits pour éviter les doublons. Cette fusion aura des impacts significatifs sur les bureaux d’étude, les usines de fabrication, mais aussi les fournisseurs et sous-traitants français. C’est pour l’emploi et contre la privatisation de notre industrie de défense que nous nous opposons à cette fusion. »

Après les blindés, le sang… L’article 48 ouvre à la BPI le capital du laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies, le LFB.

« C’est un premier pas vers une privatisation, s’insurge Annie David. En 2004 déjà, le LFB est devenu une société anonyme afin, disait-on, de drainer des capitaux et d’augmenter les dépenses de recherche. Cette fois, il s’agirait d’ouvrir une usine à l’étranger. Pourquoi ne pas demander un simple prêt plutôt qu’une ouverture du capital ? Aujourd’hui la BPI, demain qui ? Il serait dommage de laisser le privé s’emparer de ce fleuron. Enfin, la stratégie d’expansion internationale du LFB s’exonère trop souvent des règles éthiques et de sécurité sanitaires comme celles qui ont trait à la collecte du sang. »

Ajout de Laurence Cohen : « Cet article sur notre système transfusionnel prend place dans le titre « Investir »... Pour comporter seulement trois alinéas, il n’en est pas moins important pour la sécurité sanitaire. Le LFB, détenu à 100 % par l’État, a été créé afin de séparer la collecte de la fabrication des produits issus du sang. S’agirait-il seulement ici d’autoriser la BPI à financer une nouvelle usine ? Nous sommes circonspects. Une privatisation ne nécessiterait qu’une loi, adoptée au besoin grâce au 49-3... De même que nous refusions en PLFSS la commercialisation de la production du plasma SD, légalisée par l’article 51, de même nous nous opposons à cette logique marchande. »

Et maintenant, deux aéroports ! L’article 49 autorise letransfert au secteur privé de participations majoritaires de l’État dans deux grands aéroports régionaux, à savoir Lyon et Nice.

« Il y a quinze ans, l’État privatisait les autoroutes au prix de 15 milliards d’euros. Ce qui représente une perte d’un milliard d’euros de dividende par an. Or, en 2014, les sociétés concessionnaires ont versé en tout 14,9 milliards d’euros de dividendes, rappelle Jean-Pierre Bosino. Vous persistez dans cette erreur pour rendre une belle copie à Bruxelles qui exige de vous des réformes libérales. Quel est l’intérêt pour l’État de céder des infrastructures rentables ? Ce n’est qu’une opération financière à court terme, pas conforme à l’intérêt général. Un aéroport n’est pas une infrastructure comme les autres, surtout quand des investissements importants ont été, sont, vont être réalisés grâce notamment à des prêts de la BEI. Les entreprises privées vont empocher les bénéfices au détriment de l’État et de nos concitoyens. Et on peut craindre pour l’environnement en cas de développement tous azimuts. Ce n’est pas un coup d’essai : l’aéroport de Toulouse a été cédé à un groupe sino-canadien, alors que la partie chinoise est implantée dans des paradis fiscaux et que la partie canadienne a été radiée temporairement par la banque mondiale pour corruption d’agents publics... Mais peut-être faut-il, là encore, faire jouer la présomption d’innocence... Je lance un appel à la raison. Il faut conserver la maîtrise publique sur ces aéroports. »

Un appel relayé par Michel Billout : « Notre position pourra paraître frileuse et rétrograde à certains de nos collègues de l’UDI-UC. Au contraire, nous sommes les défenseurs scrupuleux de l’intérêt général et du maintien de l’influence de la puissance publique. Dans la mondialisation, l’État doit garder le contrôle de ces aéroports, de surcroît, rentables. Les compagnies aériennes dépendent déjà d’investisseurs dont le seul critère est la rentabilité ; que l’État garde le contrôle de ces infrastructures dont dépend la maîtrise du développement économique, industriel et touristique, au bénéfice de la collectivité. À qui profitera la privatisation ? A-t-on oublié l’épisode des autoroutes ? Pure opération financière de court terme, au détriment de l’intérêt général et des intérêts à long terme de la population. »

La séance est levée à 5 h 15 (oui, vous avez bien lu : 5 h 15 ).

221 amendements ont été examinés au cours de cette journée et de cette nuit marathon. Mais il en reste encore 593 à examiner. Prochaine séance, lundi 4 mai 2015, à 10 heures.


Neuvième jour

Jeudi 16 avril

La séance est ouverte à 9 h 35.

Le gouvernement propose de supprimer l’article 33 octies A introduit par la commission spéciale du Sénat et qui encadre les relations entre les hôteliers et les plateformes de réservation par Internet.

« Il importe de maintenir cet article, souligne au contraire Michelle Demessine. Les agences de voyages en ligne ont imposé un modèle économique dangereux à long terme, aux conséquences lourdes pour l’emploi et l’aménagement du territoire. Ils prélèvent une commission de 20 % sur des tarifs qu’ils négocient le plus bas possible. Sans compter qu’ils font main basse sur les fichiers clients. Effectivement, il n’y a pas de consensus entre petits opérateurs et grands opérateurs internationaux qui n’ont que faire de notre intérêt général. Préservons la biodiversité de notre tourisme, c’est elle qui fait de la France la première destination au monde. »

L’amendement « Google » vient en discussion. Proposé par la centriste Catherine Morin-Desailly, il prévoit qu’un exploitant de moteur de recherche propose sur sa page d’accueil un moyen de consulter au moins trois autres moteurs de recherche sans lien juridique avec lui.
Il doit également expliquer aux utilisateurs comment s’opèrent le classement et le référencement des résultats de recherche. En cas de manquement, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes peut infliger une amende allant jusqu’à 10% du chiffre d’affaires mondial du moteur de recherche. Pas de quoi faire trembler les géants du Web, mais un petit progrès tout de même.

« Cet amendement est pertinent, soutient donc Éric Bocquet. Il est positif, en effet, que ce sujet arrive dans la sphère politique, laquelle doit s’en emparer. Il ne s’agit pas de nier l’importance de l’aspect économique de ces questions, mais il a été démontré au cours des derniers mois et des dernières années que la problématique des grands groupes a bousculé considérablement la sphère économique en France, en Europe et dans le monde. Le « Politique », avec un grand P, doit donc s’emparer de ce sujet, c’est une évidence. Les Américains le font, et les Britanniques aussi. Souvenez-vous, mes chers collègues, de ces interviews musclées menées au Parlement britannique par la parlementaire travailliste Margaret Hodge, qui interrogeait, en les secouant un peu, les dirigeants de Starbucks, Google, etc. Cela faisait du bien, même si cela ne réglait pas tous les problèmes ! Jean Bizet vient d’ajouter un deuxième volet à ce dossier : la gouvernance de l’internet. J’appuie tout à fait sa démarche. J’y ajouterai, pour ma part, un troisième élément : le volet fiscal, dont on ne peut pas faire abstraction. Ces derniers temps, au sein de l’Europe, un certain nombre de questions se sont posées. Je pense à l’affaire LuxLeaks, dans laquelle des rescrits fiscaux très avantageux ont été accordés par l’un de nos partenaires historiques de l’Union européenne à de grands groupes, notamment du secteur de l’internet. Ce problème apparaît donc aujourd’hui dans la sphère politique ; il faut s’en féliciter. Rappelons tout de même que le groupe qui fabrique nos téléphones intelligents, devenus nos compagnons inséparables, ne paie que 2 % d’impôt ! C’est une vraie question... Car si les États, et eux seuls peuvent lever l’impôt, c’est pour défendre l’intérêt général et développer une société un peu plus humaine, ou un peu moins inhumaine. Si cet amendement pertinent était maintenu, je le répète, nous le voterions très volontiers. »

Amendement maintenu et voté à l’unanimité. La séance est suspendue à 13 h 10. Elle reprend à 15 h par une séance questions d’actualité.

Au nom du groupe CRC, Patrick Abate interroge le gouvernement à propos de la réforme des collèges et des nombreuses inquiétudes qu’elle soulève :

« Le collège est le maillon faible de notre système éducatif qui n’assume pas sa mission d’égalité des chances et d’émancipation. Moment charnière, le collège est devenu un lieu de sélection, d’échec et de relégation pour trop de jeunes. Attaché comme vous au collège unique, qui ne doit pas être uniforme, nous sommes inquiets du resserrement des programmes autour du socle d’apprentissages fondamentaux et de la suppression de trois à quatre heures au profit des « enseignements pratiques interdisciplinaires », supposés plus ludiques. Est-ce la meilleure façon de lutter contre le décrochage ? On privilégie ainsi ceux qui ont la possibilité d’acquérir les fondamentaux hors du système scolaire, creusant ainsi les inégalités sociales et territoriales.
Nous tenons aux langues vivantes et anciennes, qui doivent être accessibles à tous. La suppression des options latin et grec ne cache-t-elle pas le manque de moyens ? 4 000 ETP pour 7 100 collèges, c’est insuffisant. Grands absents de cette réforme, les moyens alloués à la formation, notamment continue, des enseignants. Comment créer un collège de haut niveau pour tous, terreau des valeurs de la République ?

C’est, chose curieuse ( la ministre de l’Éducation nationale étant en Suisse avec le président de la République ), Myriam El Khomri, secrétaire d’État chargée de la politique de la ville, qui lui répond. Ou qui répond à côté plutôt :

« Oui, le collège aggrave les inégalités, d’où la réforme lancée par la ministre, qui consolide les apprentissages fondamentaux : français, mathématiques, histoire. Aucune matière ne perd d’heure. Les programmes seront cohérents de la maternelle à la troisième. Les enseignements pratiques interdisciplinaires permettront de croiser les perspectives et de travailler en équipes. Les 20 % du temps et la latitude des établissements constitueront une liberté pédagogique, encadrée par les horaires et les programmes nationaux. Nous sommes attachés à la mise en place d’un accompagnement personnalisé : trois heures en sixième, une heure au moins ensuite. 4 000 temps plein accompagneront la réforme. Celle-ci ne remet pas en cause l’enseignement du latin, ni les classes internationales ou l’enseignement de l’allemand. Les 13 % d’élèves qui étudiaient l’allemand en langue vivante 2 pourront le faire un an plus tôt. Mieux faire apprendre et réussir les élèves, tel est l’objectif. » Nous sommes tous rassurés.

La séance reprend à 16 h 25. Elle débute avec l’examen d’un article qui satisfait les actionnaires et les traders du CAC 40. L’article 34 allège considérablement, en effet, la fiscalité sur les actions gratuites. Merci qui ? La disposition suscite la vite opposition des sénateurs communistes.

« Cet article est un bel exemple de triangulation politique, commence Éric Bocquet. Nous attendions, au sujet de l’épargne salariale, que le Gouvernement revisite de fond en comble plus de volontarisme à l’égard des banques. L’article 34 substitue à la légitime revalorisation des rémunérations liée au développement de l’entreprise la distribution d’actions gratuites, éligibles à des niches fiscales et sociales. Les sociétés de la « nouvelle économie » où les salariés restent souvent à leur poste jusqu’à 22 heures ou plus -peut-être bientôt y compris le dimanche- ont souvent une durée de vie très faible. Des actions gratuites n’ont guère d’intérêt si l’entreprise ne vaut plus rien quelques années plus tard. Nous sommes sceptiques et lucides sur le mythe du partage sur lequel repose ce dispositif, où des intérêts contradictoires se fondraient miraculeusement dans une sorte d’eldorado... »

« Avec cet article, la distribution d’actions gratuites aux dirigeants va devenir un véritable cadeau prélevé sur la collectivité publique, poursuit Patrick Abate. Jusqu’ici, pour un contribuable dans la tranche des 45 %, le taux d’imposition pouvait atteindre 64,5 % ; il descendra à 31,8 % pour une détention supérieure à huit ans. Très discrètement, vous réduisez de moitié l’impôt des plus aisés. Est-ce cela l’égalité des chances économiques ? La commission spéciale, point trop désagréable, se contente de regretter l’absence d’étude d’impact sur le produit de l’impôt sur le revenu. Selon le rapport sénatorial, le coût atteindrait 191 millions d’euros en 2016... Comme l’a dit à l’Assemblée nationale Karine Berger, cet article 34 n’est rien d’autre qu’une baisse d’impôt et de prélèvements sociaux pour les plus fortunés, à la suite de la révolte des « pigeons ». Nous nous y opposerons sans ambiguïté. »

Dominique Watrin continue : « Cet article simplifie, en réalité allège, les modalités d’acquisition d’actions gratuites. Présenté comme un coup de pouce aux start up, c’est en fait un cadeau aux dirigeants des groupes du CAC 40, qui sont les principaux concernés. Cela pourrait encourager les grandes entreprises à transformer les gros salaires en actions gratuites. C’est un précédent. Selon le député Nicolas Sansu, les traders seront les grands bénéficiaires de l’opération puisque leur bonus doit être versé pour moitié en actions. À la clé, une baisse des rentrées fiscales de l’État estimée à 191 millions. Comment accepter de défiscaliser une partie de la rémunération des hauts dirigeants du CAC 40 et des traders, alors que les actionnaires du CAC 40 ont touché 55 milliards d’euros l’an dernier, quand des entreprises comme Sanofi, qui bénéficient largement du CICE et du CIR, licencient alors qu’elles font des profits ? Comment accepter un tel cadeau fiscal fait à la finance alors que les ménages et les salariés souffrent ? Nous ne pouvons accepter de rendre légale une nouvelle forme d’optimisation fiscale. Chacun doit contribuer à la solidarité nationale. Nous appelons la gauche à défendre le travail et à voter la suppression de l’article 34.

« Le débat est bien celui de la société dont nous voulons, résume à son tour Annie David. L’actionnariat salarié, c’est pour les « talents », dites-vous, donc pour les cadres dirigeants ! Nous ne sommes pas contre l’entreprise, voilà un cliché dont il faut se débarrasser. C’est une question de comportement -quid de la responsabilité sociale, monsieur le ministre ? Ces grands groupes, français ou non, bénéficient de nos infrastructures publiques, d’avantages fiscaux, de ce que la France a de meilleur à proposer. Ils prennent ce qui les intéresse, utilisent les salariés avant de les jeter à la rue quand ils n’en ont plus besoin. J’ai travaillé dans un grand groupe, je sais comment les choses se passent. Bref, nous savons à qui cet article s’adresse. Ce projet de société, le groupe CRC le réfute car nous sommes attachés à ce qui a fait la grandeur de notre pays : la solidarité, l’égalité, la fraternité. Nous voterons contre cet article. »

Éric Bocquet reprend la parole, et joue de la métaphore sportive : « Pour attirer les talents, pour avoir les meilleurs, il faut payer ? Comme pour les génies du football ! Le constat a été fait que, depuis des années, on a de plus en plus de financiers et de moins en moins de capitaines d’industrie. Les grands groupes paient bien moins d’impôts que les PME : ils sont en moyenne à 8 % d’impôt sur les sociétés. « Le capitalisme n’est pas acceptable dans ses conséquences sociales : il écrase les plus humbles ». « Comment peut-on aller toujours plus loin dans l’enrichissement des riches et l’appauvrissement des pauvres ? » Ce n’est pas du Maurice Thorez mais du Charles de Gaulle. Monsieur le ministre, malgré tout le respect que j’ai pour votre talent et votre fougue, un peu de sagesse et de modestie. N’oubliez pas que si nous débattons de ce texte au Sénat, c’est que vous avez sorti le 49-3 à l’Assemblée nationale, faute d’avoir pu convaincre vos troupes. »

Après l’interruption pour cause de dîner, les débats reprennent à 21 h 30. Avec cette précision du président de séance :

« M. le président du Sénat a souhaité, en lien avec le Gouvernement, réunir de nouveau, de manière impromptue, la Conférence des présidents pour faire le point sur l’examen du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques. Avec un braquet constant de douze amendements à l’heure, il nous reste 837 amendements à examiner. Le Gouvernement a accepté que nous ne siégions plus le samedi 18. En contrepartie, nous nous sommes engagés à siéger vendredi 17 le matin, l’après-midi, le soir et la nuit jusqu’à 6 heures du matin. Pour la suite de ce texte, nous siégerons comme prévu le lundi 4 et le mardi 5 mai ; le Gouvernement a en outre accepté d’ajouter le mercredi 6 mai, ainsi que le jeudi 7 mai, si nécessaire. Les explications de vote des groupes et le vote sur l’ensemble sont donc programmés le mardi 12 mai. Cela suppose que chacun d’entre nous fasse des efforts de concision. Ce nouveau calendrier suppose également de reporter l’important débat sur les collectivités territoriales et le financement des lieux de culte, qui devait se tenir le mardi 12 et qui sera reprogrammé courant juin. »

Traduction : le débat patine, et cela sans même d’obstruction de la part d’un groupe politique (non, le groupe CRC ne se sent pas visé). Les deux semaines de débats prévues par le gouvernement se montrent trop justes. Les sénateurs communistes le disent d’ailleurs depuis que le calendrier est connu. Mais pourquoi le gouvernement ne les écoute-t-il jamais ?

Discussion de l’amendement « bonus fiscal ». Présenté par le gouvernement, il traduit les annonces faites la veille par Manuel Valls : un geste fiscal de 2,5 milliards d’euros sur cinq ans pour les entreprises qui investissent dans des équipements industriels.

« Il s’agit, disons-le clairement, réagit Thierry Foucaud, d’une niche fiscale supplémentaire ou, du moins, « réactivée ». Cela justifie, monsieur le ministre, que nous posions quelques questions. Première question : a-t-on procédé, avant que cette idée – lumineuse – ne surgisse au détour d’un arbitrage interministériel, à la moindre évaluation des dispositifs d’amortissement dégressifs existants, lesquels doivent aujourd’hui coûter environ 20 millions d’euros au budget de l’État, sans que l’on sache quelle incidence ces mécanismes ont sur le niveau réel d’équipement de nos entreprises et sur celui de l’emploi. Vérifier, c’est tout de même important ! Nous voyons bien, aujourd’hui, que le CICE est en pleine débandade ! Ce que nous affirmions à propos de ces 40 milliards d’euros d’aides est confirmé par les faits, et le Gouvernement commence à demander aux entreprises de justifier l’emploi des sommes attribuées. Cela étant, le problème reste entier : ce dispositif censé favoriser la compétitivité des entreprises a notamment profité à Carrefour et Auchan, qui achètent des fruits et légumes à l’étranger tandis que nos producteurs brûlent leurs fruits et légumes, parce que les Françaises et les Français, faute d’un pouvoir d’achat suffisant, ne peuvent les acheter. Nous voyons là toutes les contradictions d’un système dans lequel nous ne devons plus tomber. C’est pourquoi nous devons être attentifs à l’utilisation des deniers publics et procéder à des évaluations. Deuxième question : ce dispositif est-il plus avantageux pour le pays que tous ceux, innombrables, qui existent déjà ? Il s’avère, par exemple, que le « rendement » du crédit impôt recherche est très élevé pour les entreprises qui en bénéficient, mais beaucoup moins au regard de l’emploi scientifique et technique. D’après un rapport fait au Sénat en juillet dernier, mais jamais publié – cherchez l’erreur ! –, 213 milliards d’euros d’exonérations de cotisations patronales ont été accordés entre 1993 et 2012 sans que cela ne crée un seul emploi. »

La séance est levée à minuit trente-cinq. 68 amendements ont été examinés, il en reste 812...


Huitième jour

Mercredi 15 avril

La séance s’ouvre à 14 h 35 par un rappel au règlement d’Éliane Assassi : « Je proteste vivement contre les conditions politiques dans lesquelles se déroule notre débat. Le gouvernement a déposé un amendement important, l’amendement n°1766, que la commission spéciale vient d’examiner à l’instant. Il reprend en partie le plan d’investissement annoncé par M. Valls. Comment aborder le chapitre II - sur l’investissement - sans avoir pu réunir nos groupes pour en parler ? Deuxième fait majeur, nous venons d’apprendre le rachat de Nokia par Alcatel Lucent. Il y aura trois perdants : l’intérêt général, les salariés, les usagers. Mais aussi des gagnants : les actionnaires. Troisième fait, M. Sapin vient d’annoncer de nouvelles mesures d’austérité, pour le moins antinomique avec votre objectif de croissance. »

Applaudissements sur les bancs du groupe CRC, et seulement sur ces bancs.

L’article 27 ter limite les recours contentieux contre les installations d’élevage. « La volonté de se prémunir contre les recours abusifs pose un problème d’accès au juge et de débat démocratique, note Patrick Abate qui demande la suppression de l’article au nom du groupe CRC. Cette question mérite d’être traitée autrement. C’est de la place de l’agriculture dans notre société, plus largement, qu’il s’agit. Filière par filière, voyons comment améliorer les choses, sortir de la crise et du productivisme, éviter le saccage des territoires ruraux et préserver l’environnement. »

L’article 28 habilite le gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance dans le domaine du droit de l’environnement. Ce que refuse également le groupe CRC.

« Monsieur le ministre, explique Annie David, vous parlez sans cesse de simplification, alors qu’il ne s’agit pas de cela, mais de laisser le gouvernement agir à sa guise. Nous ne voulons pas signer un chèque en blanc. Qui nous dit que vous n’allez pas rendre le code de l’environnement encore plus tortueux ? Le précédent de l’ordonnance sur l’accessibilité aux personnes handicapées nous fait craindre le pire... Voilà des années que je siège sur ces bancs, et j’ai toujours contesté le recours aux ordonnances, quel que soit le ministre qui nous les proposait. Lors de la dernière conférence environnementale, le président de la République a pris l’engagement de renforcer la concertation sur les questions primordiales pour l’environnement. En outre, un projet de loi de modernisation du droit de l’environnement doit nous être soumis cet automne. Attendons cette échéance. »

L’article 29 est une petite perle, comme il y en a beaucoup d’autres, du projet de loi Macron. Il restreint les possibilités de destruction de constructions édifiées sur la base de permis de construire qui font l’objet d’un contentieux.

« Cet article, qui incite à adopter la stratégie du fait accompli, est inacceptable sur le principe, indique Dominique Watrin : la pression foncière ne s’exerce pas seulement dans les zones protégées ou les centres-ville historiques, mais aussi dans la périphérie des grandes villes et en particulier dans l’ensemble de la banlieue parisienne. Ni la présentation du texte ni l’étude d’impact n’évoquent les statistiques des contentieux. Comme l’a souligné le rapporteur à l’Assemblée nationale, le contrôle social est important en la matière, car le contrôle de légalité reste très insuffisant. Parce que cet article fait peser une menace sur l’environnement dit « ordinaire », urbain ou rural, parce qu’il n’est pas neutre pour le maintien du cadre de vie, nous en demandons la suppression. »

Encore une habilitation par ordonnance. Cette fois, à l’article 32, le gouvernement demande à légiférer par ordonnance pour transposer deux directives européennes, l’une concernant la mise à disposition sur le marché d’équipements radioélectriques, l’autre relative à des mesures visant à réduire le coût du déploiement de réseaux de communications électroniques à haut débit.

La complexité des dossiers traités autorise-t-elle le pouvoir à procéder de la sorte. Non, estiment les sénateurs communistes.

« La transposition des directives européennes dans cet article peut-elle se faire dans le dos des parlementaires, interroge Jean-Pierre Bosino ? Ne sommes-nous pas aptes à comprendre la technicité du sujet ? L’urgence est-elle si grande ? Il se dit que les ordonnances sont déjà prêtes. Les collectivités territoriales fortement impactées par les baisses de dotation, les prêts de la Caisse des Dépôts et consignations ne suffiront pas à lancer les investissements utiles en télécommunications. Ayant éliminé l’opérateur public, vous portez une responsabilité dans la rupture d’égalité devant le service public. »

La séance est levée à minuit trente-cinq.


Septième jour

Mardi 14 avril

La séance reprend à 14 h 45, par la poursuite de l’examen du volet urbanisme de la loi. Les sénateurs communistes présentent un amendement instaurant le gel des loyers.

« Cet amendement sur le gel des loyers dans les zones tendues serait satisfait par l’alinéa 2 de l’article 18 de la loi du 6 juillet 1989, nous a-t-on dit en commission. Nous ne le pensons pas, précise Jean-Pierre Bosino. La loi doit être plus explicite et faire apparaître la notion de « gel ». Cette mesure, urgente, redonnera du pouvoir d’achat aux ménages, qui souffrent de la forte hausse des loyers. »

« Entre 25 % à 30 % des revenus, davantage encore pour les plus modestes, sont consacrés au logement, développe Laurence Cohen. En dix ans, les loyers ont augmenté de 50 %, de 23 % sur la seule période 2002-2007 ; ils sont devenus source d’exclusion et d’inégalités. Plus de 3 millions de personnes sont touchées par le mal-logement en France, dont 150 000 personnes sont sans-abri, parmi lesquelles des familles, des femmes et des enfants. La mauvaise qualité du bâti entraîne souvent la précarité énergétique. La fondation Abbé Pierre préconise la régulation du marché et une meilleure maîtrise du coût du logement. Il est temps d’apporter une réponse efficace et, peut-être, plus audacieuse politiquement à ce problème dramatique pour de nombreux ménages. Le gel des loyers est une mesure de justice sociale et d’efficacité économique. »

L’amendement est rejeté.

L’article 23 bis permet de déléguer les aides à la pierre en faveur des logements intermédiaires

« Plus de 3,5 millions de personnes sont mal logés dans notre pays, indique Michel Le Scouarnec de manière générale. L’accession à la propriété, très demandée par les jeunes couples, est un instrument de mixité sociale. De nombreuses collectivités mènent une politique volontariste pour les aider, mais on ne peut faire l’impasse sur deux problèmes essentiels, le niveau de revenus et la stabilité de la situation professionnelle. Seule une minorité peut devenir propriétaires. Entre 2009 et 2012, l’accession à la propriété des ménages à revenus moyens a baissé de 37 %. Nous sommes loin d’une politique ambitieuse, sans compter que l’accès au logement social s’est durci. Le logement n’est pas une marchandise comme les autres, nous avons besoin d’un service public du logement. Quand notre pays compte plus de 1,3 million de demandeurs de logement, le Gouvernement doit coordonner plus efficacement les outils à sa disposition : aides à la pierre, aides à la personne, prêt à taux zéro, éco-prêt, redéfinition du rôle des banques et intervention publique. Revenons à un meilleur équilibre entre aides à la pierre et aides à la personne. »

« La loi de finances pour 2014 a institué des avantages fiscaux en faveur du logement intermédiaire. L’accession sociale bénéficie d’autres dispositifs. Par cet article, l’État déléguerait ses actions d’aide à la pierre aux collectivités territoriales, regrette Jean-Pierre Bosino ; ce nouveau désengagement de l’État est dans la droite ligne de la dernière loi de finances. Il compte sur l’initiative privée et la territorialisation pour développer l’offre.

En 2015, seuls 160 millions d’euros d’aides à la pierre sont budgétés en crédits de paiement, montant à comparer aux presque 2 milliards pour le logement intermédiaire -dont un financé par le budget de l’État. La politique du logement doit rester nationale ; la construction de véritables logements sociaux doit rester une priorité. »

« Le logement intermédiaire ne peut, à lui seul, résume Laurence Cohen, résorber la crise du logement. Il faut une construction massive de logements sociaux. »

L’article 25 inquiète tout particulièrement les associations de locataires. Et les membres du groupe CRC.

« Il est insupportable de voir des locataires, parfois fragilisés socialement, chassés par des ventes à la découpe, s’indigne Laurence Cohen. Le Gouvernement revient en effet sur la loi Alur, qui étendait leurs droits que vous qualifiez aujourd’hui de « surprotection ». L’article 11-2 de la loi de 1989 prolongeait les baux des locataires menacés par une vente à la découpe ; vous souhaitez malheureusement revenir dessus. La frilosité des investisseurs ? C’est la spéculation qui a entraîné la grave crise immobilière des années 90, dont nous sentons encore les effets. Les locataires n’ont pas les moyens de préempter. Mis en congé pour vente, ils sont chassés de leur logement et vont grossir les rangs des demandeurs de logements sociaux. Les ventes à la découpe sont moins des investissements que des opérations spéculatives à un coup, très rentables, qui ne visent qu’à la satisfaction d’un petit nombre au détriment de la majorité. »

M. Jean-Pierre Bosino : « Nous combattons depuis des années les ventes à la découpe, qui enrichissent quelques-uns sur le dos de ceux qui ne vivent que de leur travail. Sujet qui parlait à Claude Dilain... Le récent livre blanc du Medef sur le logement propose de revenir sur les « dispositions contreproductives de la loi Alur », comme l’encadrement des loyers. C’est ainsi que cet article 25 revient sur une protection offerte aux locataires au motif de modifier l’équilibre entre droits des locataires et intérêt des investisseurs... Il ne saurait y avoir de protection excessive d’un locataire face à un découpeur ! Comment exiger le respect des obligations de mise aux normes si on doit perdre son toit ? La loi Alur est à peine entrée en application qu’on revient sur une de ses dispositions majeures ! C’est inadmissible quand on sait que nombre de locataires vivent avec la peur du lendemain, face à la multiplication des ventes à la découpe ».

Les ventes à la découpe peuvent bénéficier de l’exonération des droits et taxes de mutation. Un avantage que les sénateurs communistes veulent supprimer

« Les opérations de vente à la découpe ne sont plus le fait de bailleurs, mais d’opérateurs financiers, plaide Thierry Foucaud. Cela fait plus de dix ans que nous alertons sur les risques que fait courir cette financiarisation du marché du logement. Ces ventes à la découpe ne favorisent pas la mixité sociale, au contraire, puisque les locataires se retrouvent repoussés en périphérie. Nous revenons donc sur une exonération scandaleuse. » Mais pas le Sénat, qui repousse l’amendement.

L’article 25 bis A traite de la participation des employeurs à l’effort de construction. L’occasion pour les membres du groupe CRC de porter le 1 % patronal à… 1 %, lui qui est en fait à 0,45 %.

Michel Le Scouarnec explique : « Dans le contexte actuel de désengagement de l’État, les aides à la pierre diminuent, le 1 % logement également. Nous regrettons le renoncement à plusieurs mesures de la loi Alur et proposons de revenir à un véritable 1 %, qui apporterait un bol d’oxygène indispensable et permettrait de retrouver les 30 000 emplois perdus dans le bâtiment. Nous devons favoriser la diversité de l’offre, donc le logement social et le logement intermédiaire, même si nous savons que le 1 % logement ne peut pas tout. La logique libérale ne permettra pas d’atteindre l’objectif des 500 000 logements construits. »

Par ailleurs, ils demandent que le Gouvernement remette au Parlement, avant le 31 décembre 2015, un rapport sur la possibilité de l’instauration d’un moratoire sur les loyers dans le secteur public.

« Alors que le projet de loi promeut les logements intermédiaires, nous pensons qu’il faut avant tout lutter contre la hausse démesurée des loyers, et donc déclarer le gel des loyers dans le secteur public, revient à la charge Jean-Pierre Bosino. Le logement est devenu le premier poste de dépenses des ménages, notamment populaires, qui y consacrent près de 30 % de leurs ressources. Si l’on veut vraiment favoriser l’emploi, la croissance et le pouvoir d’achat, il faut se pencher sur ce problème. Dans le secteur public social, de nombreux organismes ont augmenté les loyers ; un moratoire serait un signal fort pour les ménages modestes. Ce serait également l’occasion d’organiser une plus large concertation entre État, locataires et organismes bailleurs. »

A l’article 25 decies, la loi élargit la possibilité pour les organismes HLM de vendre leur logement. Une hérésie selon Laurence Cohen : « Des habitations construites avec de l’argent public doivent être mises à la disposition d’une politique publique du logement, et non vendues à des personnes privées. Permettre la vente des HLM, c’est vendre un patrimoine commun, une richesse qui appartient aux habitants d’une ville. C’est une politique à courte vue... »

Il est une heure du matin, fin de la séance.


Sixième jour

Lundi 13 avril

La séance ouvre à 16 h.

Le gouvernement souhaite fusionner les professions de commissaires-priseurs et d’huissiers. C’est l’objet de l’article 20. « Outre que nous sommes hostiles aux ordonnances, nous contestons le rapprochement des deux professions, distinctes et faisant appel à des compétences spécifiques, développe Laurence Cohen. Les commissaires-priseurs judiciaires sont aujourd’hui 412 et leurs qualifications, notamment en histoire de l’art, garantissent la qualité du service rendu. L’huissier peut certes effectuer des ventes volontaires ou judiciaires à titre accessoire, s’il n’y a pas de commissaire-priseur dans sa circonscription, mais il n’est pas formé pour cela. Cette profession unique ne fait, de plus, pas l’unanimité chez les huissiers. La Chambre nationale des commissaires-priseurs, attachée à leur formation spécifique, a fait part de son opposition ».

Sur ce sujet aussi, le gouvernement a décidé de recourir à une ordonnance. Méthode que conteste la sénatrice du Val-de-Marne : « Notre groupe s’est toujours opposé aux ordonnances qui confisquent le débat parlementaire. Quelle urgence, ici ? Nous refusons de signer un chèque en blanc. Le ministre a dit à l’Assemblée nationale qu’il n’y avait pas de véritable fusion ; ça y ressemble pourtant beaucoup... Les deux professions auraient une base commune et pourraient créer des synergies ; mais la création de grands cabinets à l’anglo-saxonne posera des problèmes d’impartialité et d’indépendance. La question mérite un débat approfondi. L’atomisation de la profession nous inquiète. À terme, la course à la réduction des coûts fera disparaître les petites structures au profit des plus grandes... »

L’article 21 autorise également le gouvernement à légiférer par ordonnances, cette fois pour créer des sociétés d’exercice libéral multiprofessionnel. « Vous savez tout le mal que nous pensons des ordonnances. Nous pensons la même chose de l’émergence de cabinets juridiques géants, qui porteraient atteinte à la proximité et à la sécurité juridique, indique M. Christian Favier. Au Royaume-Uni, le capital est ouvert aux grandes entreprises, et les professionnels du droit happés par la financiarisation. Garantir l’absence de conflit d’intérêts est de plus un impératif majeur. Si sociétés interprofessionnelles il doit y avoir, elles ne peuvent être créées que par la loi, et pas par ordonnance. »

Le gouvernement souhaite réintroduire l’article 22 qui assouplit les contraintes de détention du capital des sociétés d’exercice libéral du droit et leurs holdings, et qui a été supprimé par la commission spéciale.

« À nos yeux, c’est un réel danger, en période de négociation du traité transatlantique, alerte Éliane Assassi. Des professionnels américains pourraient entrer au capital des sociétés d’exercice libéral de droit français. C’est un réel danger pour les SEL et les sociétés de participation financières de professions libérales. Cela affaiblira les garanties des professions du droit et créera l’anarchie : des notaires pourront prendre le contrôle de sociétés d’avocats, et vice versa, toutes les combinaisons sont possibles, avec tous les risques que cela fait peser sur le respect de l’indépendance et de la déontologie des professions juridiques... Et on imagine bien qu’ensuite viendra le tour des professions de santé... »

Changement de sujet complet avec l’article 22 ter, lequel traite du recrutement et du placement des gens de mer. Mais la philosophie reste la même.

« La marine marchande est un laboratoire en matière de dumping social, avec le recours aux pavillons de complaisance par certains États membres et le recours aux sociétés de manning, explique Michel Le Scouarnec. On est loin du respect de la parole de l’État, en l’occurrence des engagements pris naguère par Frédéric Cuvillier et l’obligation pour les armateurs, quel que soit leur pavillon, de signer avec les marins des contrats d’engagement de droit français - ce qui, dans les secteurs de navigation concernés, interdit le recours aux sociétés de manning. L’article conforte ces sociétés, aggrave la précarité pour les marins qui travaillent pourtant dans le pays des droits de l’homme. Vous entendez prévenir des licenciements massifs ? Ils sont déjà là, nous refusons d’appauvrir les travailleurs au nom du maintien de l’emploi. Et ce en multipliant les cadeaux aux armateurs, sans contrepartie... C’est la concurrence déloyale qu’il faut combattre, pas la protection sociale !


 « Les marins-pêcheurs traversent une situation professionnelle très compliquée, ajoute Éliane Assassi. L’article 18 du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale a supprimé leur caisse spécifique d’allocations familiales, transférée au régime des invalides de la marine. Cette caisse n’était pourtant pas en perte de vitesse. Nous relayons ici l’inquiétude des marins-pêcheurs, particulièrement en Bretagne, dont la situation se détériore. Ils sont aujourd’hui 7 217 ; 4 339 personnes sont employées dans la transformation et les produits de la mer commercialisés représentent 301 millions d’euros de chiffre d’affaires. »

Les sénateurs abordent maintenant le volet urbanisme du projet de loi.

Par un amendement, le groupe CRC propose de majorer la contribution des entreprises à l’effort de construction pour rétablir un véritable 1 % logement, alors que celui-ci est en fait de 0,45 %.

« N’en déplaise au gouvernement, l’effort des entreprises en faveur du logement doit être renforcé, compte tenu de l’ampleur de la crise du logement, plaide Brigitte Gonthier-Maurin. Les exonérations fiscales et autres mesures incitatives ne suffisent plus. À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Une participation des entreprises dès dix salariés apporterait une bouffée d’oxygène. Relancer fortement la construction sociale, c’est lutter contre le chômage massif et de longue durée. Cet amendement a donc toute sa place dans ce projet de loi. »

Sans doute, mais ce n’est ni l’avis du gouvernement ni l’avis de la majorité sénatoriale. Amendement rejeté.

L’article 23 prévoit que le rapport remis tous les deux ans sur la politique du logement par le gouvernement au Parlement comporte désormais un chapitre sur la mobilité dans le parc social.

« Favoriser la mobilité dans le parc social ? Encore faudrait-il que la situation soit moins tendue... Près de 10 millions de personnes sont touchées par la crise du logement, rappelle Michel Le Scouarnec. Les inégalités se creusent, le nombre de personnes sans domicile fixe a bondi de 50 % entre 2001 et 2012, 35 000 enfants sont concernés. Les ghettos de la République se renforcent, ceux des déshérités comme ceux des nantis. De nombreuses familles prioritaires au Dalo se retrouvent sans solution concrète. Donnons enfin la priorité aux demandeurs de logement plutôt qu’aux investisseurs. Il faut un emploi pour obtenir un logement, un logement pour obtenir un emploi... Combien de rapports de la fondation Abbé-Pierre faut-il pour que des mesures concrètes, efficaces, humaines soient prises ? Le logement est un droit, à l’État d’assumer ses responsabilités. La mobilité est une bonne chose, mais en parler ne doit pas occulter les difficultés d’accès au logement social. »

« Les études de l’Insee montrent que le taux de rotation dans le parc social est inférieur à 10 %, souligne pour sa part Brigitte Gonthier-Maurin. Comment proposer aux ménages d’accéder à la propriété lorsque la situation est si tendue ? On comprend qu’ils préfèrent demeurer dans le parc social, plutôt que de s’aventurer à perdre cette sécurité. Pourquoi le gouvernement s’entête-t-il à privilégier le logement intermédiaire sur le logement social ? Il est illusoire de penser que les résidents du parc social vont comme par magie accéder à la propriété. Le coût moyen est de 4,77 euros par mètre carré en PLAI, de 5,2 euros en PLU, de 7,38 euros dans le logement intermédiaire. Le PTZ est insuffisant pour dynamiser l’accès à la propriété quand le revenu moyen des habitants du parc social avoisine les 1 800 euros. Des efforts ont été faits, mais aux dépens du parc locatif, dont 60 % sont antérieurs à 1980. Le dispositif de surloyer n’est pas acceptable. Il s’agissait à sa création d’inciter les locataires à quitter leur logement social. Souvent, les salariés ont été chassés du coeur des villes, éloignés de leur lieu de travail, et la ghettoïsation des quartiers a été accélérée. Moins de 200 000 foyers sont susceptibles d’être concernés et le PLU peut faire obstacle à la pratique du surloyer. Mettons fin à cette pratique qui mine la mixité sociale. »

La séance est levée à 1 h 30.


Cinquième jour

Samedi 11 avril

La séance ouvre à 10 h 10.

L’article 11 sexies a trait aux comptes bancaires inactifs. Il oblige les banques, en cas de décès d’un client, à demander la déclaration de succession du défunt. Un premier petit pas.

« La question des comptes bancaires inactifs et des contrats en déshérence nous occupe régulièrement, témoigne Évelyne Didier. Même si les encours sont faibles, n’oublions pas que l’actif net de BNP Paribas est proche de celui de la France...Un rapport de la Cour des comptes pour la commission des finances de l’Assemblée nationale formule des recommandations : introduire dans le code une définition des comptes inactifs, préférer une approche client plutôt que compte par compte, plafonner les frais de gestion ou encore, rendre obligatoires les consultations par les notaires du fichier des comptes bancaires, Ficoba. L’article, supprimé, cochait-il toutes les cases ? En tous les cas, le problème doit être traité dans ce texte. »

L’examen de l’article 12 inaugure la réforme des professions réglementées, en libéralisant leurs tarifs. Une réforme à laquelle les élus du groupe CRC sont hostiles.

« L’État, rappelle Éric Bocquet, a délégué à ces professions certaines de ses prérogatives de puissance publique. En toute logique, il revient au ministère de la Justice de les contrôler, de réglementer leurs tarifs et de veiller à leur bon maillage territorial. La Chancellerie est le garant de la sécurité de leurs actes et veille à leur indépendance. Au prétexte d’actes et de tarifs trop coûteux, qui sont le fait d’une minorité, le gouvernement entend libéraliser. Ce faisant, il introduit une concurrence et une liberté d’installation qui n’existait pas jusqu’alors. N’y avait-il pas d’autres solutions ? Assurément : un contrôle renforcé et l’instrument de régulation qu’est l’impôt sur le revenu - il serait temps d’ailleurs de le réformer. De grâce, épargnez-nous la critique selon laquelle nous défendrions la rente ! Marier le droit et le marché, c’est un peu marier la carpe et le lapin. Dorénavant, les tarifs seront différenciés, c’est une atteinte à l’accès de tous à la justice. L’Autorité de la concurrence aura son mot à dire et, avec la liberté d’installation, le rôle péréquateur de l’État va disparaître. Qu’en sera-t-il de l’accès au droit pour les justiciables ? Cette concurrence débridée ne règlera pas les problèmes d’accès au droit, pas plus qu’elle ne créera d’emplois. Ces professions se concentreront dans de grands cabinets, sur le modèle anglo-saxon, aux abords des grandes villes et des milliers de professionnels vont disparaitre. Nous nous opposerons fermement à cette évolution. »

« L’idée selon laquelle les professions réglementées sont un frein à l’activité économique n’est pas nouvelle, ajoute Christian Favier. Nous la combattions déjà en 2011, sous Nicolas Sarkozy. Que le sujet soit abordé dans un projet de loi porté par le ministre de l’Économie est révélateur... La concurrence par les prix est une atteinte grave au service public. Les tarifs des actes sont aujourd’hui inférieurs à leurs coûts ; avec l’article 12, le tarif de certains d’entre eux sera renchéri - et les professionnels n’auront aucune raison de se serrer la ceinture... L’égalité d’accès à la justice sur le territoire sera remise en cause. »

« Au fond, résume Évelyne Didier, nous sommes là devant une logique bien précise : faire sortir le plus possible des professions du secteur public pour les faire entrer dans le secteur marchand. Réforme, réforme, réforme. Derrière, j’entends la petite musique de l’Europe qui veut de la concurrence partout. Comme mes collègues, je refuse l’intervention de l’Autorité de la concurrence, qui semble aller de soi pour le gouvernement. On protège, au moins au début, les études provinciales ? Elles seront amenées à se concentrer, comme les laboratoires, car elles ne pourront plus équilibrer leurs comptes entre actes rentables et moins rentables. »

Autre élément important de la réforme prévu à l’article 13 bis : l’instauration d’une liberté d’installation pour les notaires, les huissiers de justice et les commissaires-priseurs judiciaires.

« Cet article instaure la liberté d’installation des professions réglementées du droit, revenant sur le numerus clausus et remplaçant le dispositif d’autorisation préalable par un principe de liberté d’installation encadrée, déplore Évelyne Didier. Pourquoi déposséder le ministre de la Justice de ses compétences ? Il est seul à disposer d’une vision d’ensemble. La commission spéciale a limité la liberté d’installation aux zones carencées. Cela reste incompatible avec l’égalité d’accès à la justice et déstabilisera l’équilibre entre les offices.

« Les professions réglementées ne relèvent pas du domaine marchand, relève Michel Le Scouarnec. Elles sont réglementées par le ministère de la Justice, car elles accomplissent des missions de service public. L’intervention de l’Autorité de la concurrence est donc inacceptable. Cette autorité administrative indépendante ni légitime, ni compétente, n’est guidée que par le dogme de la main invisible, alors que les professions réglementées ne peuvent, par définition, être livrées à la concurrence. »

La séance est levée à 18 h 30.
Prochaine séance lundi 13 avril 2015 à 16 heures.


Quatrième jour

Vendredi 10 avril

La séance est ouverte à 9 h 30.

L’article 9 réforme les modalités de l’épreuve du permis de conduire pour réduire le temps d’attente de 98 jours en moyenne, voire cinq mois dans certains départements, et donc le coût.

« Si nous partageons cette volonté de faciliter l’accès au permis de conduire des jeunes durement touchés par le chômage et la précarité, nous sommes opposés à toute externalisation de l’examen à des acteurs privés, prévient Michel Le Scouarnec. Si les délais sont trop longs, c’est d’abord dû à la pénurie d’inspecteurs : ils ne sont que 1 300, répartis dans 700 centres. Recrutons plutôt que de déléguer au privé. La commission spéciale a eu raison de supprimer le recours à des agents publics ou contractuels ; en revanche, nous regrettons qu’elle ait abandonné la notion de « service universel » et retiré du texte des précisions utiles au motif qu’elles relèvent du domaine réglementaire. Nous proposerons des amendements pour corriger le tir. »

Évidemment, ils ne sont pas adoptés…

À la reprise, en début d’après-midi, Éliane Assassi interpelle directement Emmanuel Macron à propos du devenir du compte pénibilité.

« La majorité de la commission spéciale a adopté un amendement important, qui remet en cause le compte pénibilité -l’une des rares avancées du gouvernement Ayrault. J’ai cru comprendre que les sénateurs socialistes avaient voté contre en commission spéciale, rappelle la présidente du groupe CRC. Or, j’apprends que François Rebsamen, ministre du Travail, a pris le pari, devant un parterre de patrons du bâtiment, qu’il n’y aurait pas de fiches individuelles à remplir pour les petites entreprises, que les critères inapplicables seraient supprimés, qu’il fallait de la simplification... Quelle est votre position, monsieur le ministre, vous qui déclariez, à Berlin, que la protection des salariés était l’une des explications du taux de chômage élevé en France ? Vos propos ont-ils été déformés, ou apportez-vous votre soutien aux propositions de la commission spéciale, remise en cause du compte pénibilité ou relèvement de seuils sociaux ? Cela ne me paraît guère correspondre aux orientations du parti socialiste... »

La réponse ? Pas de réponse. Emmanuel Macron demeure muet sur le sujet, lui qui est habituellement si bavard. Un problème passager d’extinction de voix, sans doute.

Plus tard dans la discussion, les élus du groupe CRC proposent d’instaurer un coefficient multiplicateur entre le prix d’achat et le prix de vente des produits agricoles et alimentaires, une proposition déjà formulée à plusieurs reprises par le passé.

« Il convient d’instituer un coefficient multiplicateur entre le prix d’achat et le prix de vente des produits alimentaires, justifie Christine Prunaud. Entre agro-business et grande distribution, l’agriculture s’inscrit dans de puissantes filières agro-industrielles et financières dominées par l’aval et par l’amont, ce qui favorise les dérives. Depuis 1992, les réformes de la PAC imposées par l’offensive libérale ont conduit à la suppression des outils de régulation et à l’ouverture des marchés agricoles à la spéculation financière, ce qui entraîne une grande volatilité des prix agricoles. La grande distribution, malgré les évolutions de la législation, a les coudées franches pour imposer sans vergogne aux producteurs des prix d’achat de plus en plus compressés, souvent inférieurs aux prix de production, et aux consommateurs des prix à la caisse toujours plus hauts. Il importe de mieux rémunérer les agriculteurs et de revoir la répartition de la valeur ajoutée au sein de la filière. »

L’amendement n’est pas adopté.

Après l’article 10 ter, la centriste Nathalie Goulet propose d’insérer un article additionnel ainsi rédigé :

« Les magasins de commerce de détail, d’une surface supérieure à 1000 mètres carrés, soumis à l’autorisation d’exploitation prévue à l’article L. 752-1 du code de commerce peuvent mettre en place une convention d’organisation de la collecte sécurisée des denrées alimentaires invendues encore consommables au profit d’une ou plusieurs associations d’aide alimentaire. Un décret fixe les modalités d’application du présent article. »

La disposition est unanimement soutenue. Y compris par les sénateurs communistes. Avec le bémol suivant.

« Il y a belle lurette que des contrats sont signés localement entre des associations et des commerces, note Évelyne Didier. Mais s’il faut sécuriser les choses, soit. Le sujet est complexe, on ne peut pas faire n’importe quoi. Les associations ont des problèmes de logistique, elles manquent souvent de place pour stocker les aliments frais. Le problème de la grande pauvreté n’appelle pas qu’une réponse charitable : c’est à l’ensemble de la société de s’en saisir. »

Brigitte Gonthier-Maurin complète : « La précarité, la grande pauvreté explosent : la réponse ne peut être toujours dans l’assistanat. Il faut s’en prendre aux responsables, à la politique d’austérité qui prive les gens de leur emploi, puis de leur logement et les plonge, pour finir, dans la pauvreté... Est-ce là l’humanité que nous voulons construire ? »

À minuit et après l’adoption de l’article 11 ter, un échange sur l’opportunité de poursuivre les débats illustre les difficultés d’examen du texte.

Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale, souhaite poursuivre jusqu’à l’article 11 sexies, ce qui représente encore 23 amendements.
Emmanuel Macron se dit lui tenté d’aller jusqu’à l’article 12.

« La gestion de l’ordre du jour commence à me poser problème, réagit Éliane Assassi. Le président du Sénat a annoncé, par exemple, la réduction des pauses pour repas à 1 h 30. Hier soir, ce fut 1 h 30 ; ce midi, 2 h 15 ; ce soir, 2 heures. Nous ne nous y retrouvons plus ! Quant à cette nuit, la Conférence des présidents n’a pas décidé de l’ouvrir. Le débat prend du retard, certes, mais parce que nous exerçons notre droit d’expression. Je le redis, nous n’aurions pas dû ne programmer que deux semaines pour un texte qui a pris trois semaines à l’Assemblée nationale. »

Finalement, il est décidé de poursuivre jusqu’à 1 h du matin. Le temps, notamment, que la proposition de renforcement de l’action de groupe défendu par les sénateurs communistes soit repoussée.

« Accroître la prévention passe par le renforcement de la répression et du contrôle, défend Michel Le Scouarnec. Avant la loi Hamon, le groupe CRC avait déposé une proposition de loi élargissant l’action de groupe aux litiges financiers, dont les dommages sont aisés à quantifier. Lorsqu’il présidait l’Autorité des marchés financiers, M. Jean-Pierre Jouyet a défendu cette proposition. Rien ne saurait justifier que nous attendions encore. »

L’article 11 quater B suscite le commentaire de Brigitte Gonthier-Maurin : « La commission spéciale a supprimé cet article qui oblige les opticiens à fournir à l’assuré un devis normalisé. Mieux aurait valu le réécrire pour renforcer l’information des assurés. Cependant, il n’abaissera pas le coût de ces produits. La solution serait la prise en charge par la sécurité sociale des frais d’optique à 100 %. Pour lever un verrou, nous pourrions autoriser les mutuelles à promouvoir leur réseau d’opticiens, avec des tarifs d’équipement encadrés. »

La sénatrice des Hauts-de-Seine intervient également à l’article 11 quater C. « Je souhaite, explique-t-elle, relayer les inquiétudes des ophtalmologistes qui craignent de voir disparaître leur activité avec cet article. Ce dernier autorise les opticiens à délivrer des verres correcteurs sans ordonnance au motif que, dans les zones touristiques et frontalières, les touristes n’ont pas le temps d’attendre un rendez-vous. D’aucuns ont brandi le risque de voir disparaître 2 025 emplois chez les opticiens, mais combien seront supprimés chez les ophtalmologistes ? Cependant, le risque est surtout sanitaire. Seuls les ophtalmologistes peuvent détecter des maladies asymptomatiques aux conséquences irréversibles, tels le glaucome ou la rétinopathie diabétique. Certes, le délai moyen d’un rendez-vous chez l’ophtalmologiste est de 77 jours, moins d’un mois à Paris, Lyon et Marseille. La solution est de relever le numerus clausus et d’interdire les dépassements d’honoraires. »

La séance est levée à 1 h 10.


Troisième jour

Jeudi 9 avril

9 h 30. Reprise de la séance. Evelyne Didier prend la parole pour rendre à Yves Coquelle, ancien sénateur du Pas-de-Calais, qui vient de décéder. « Yves Coquelle était membre de notre groupe CRC. L’un des rares ouvriers à avoir siégé dans notre hémicycle, il était très aimé dans sa région. »

L’article 3 prévoit une série de mesures découlant de la libéralisation des liaisons d’autocar. Les sénateurs du groupe CRC y sont donc opposés.

« Voici le seul moyen qu’a trouvé le gouvernement pour que les Français qui ne peuvent plus se payer le train puissent se déplacer, critique Annie David. C’est en contradiction totale avec la transition énergétique défendue par Mme Royal... qui nécessite de lourds investissements dans le rail, délaissé parce que ces investissements étaient jugés trop importants. D’où la dégradation continue du service aux usagers, le niveau élevé des prix et des conditions de travail qui se détériorent. Vous n’avez pas, semble-t-il, la volonté politique de redresser cette situation. »

Les dispositions prévues vont cependant plus loin, comme le souligne Michel Le Scouarnec. « L’actuel article L. 3421-2 du code des transports fixe des conditions précises à la desserte intérieure des lignes internationales et permet aux collectivités de s’y opposer, si elles ne sont pas remplies. Le présent article est bien plus qu’une simple coordination, car il banalise le cabotage routier par autocar et la concurrence qu’il implique. En cela, il va plus loin que les articles premier et 2. Demain une liaison Madrid-Londres, assurée par une entreprise étrangère, pourra librement s’arrêter en France sur son parcours ou une ligne Bruxelles-Rome, par exemple, puisque tous les chemins y mènent... On ne sait rien du droit social qui sera appliqué aux salariés : sera-t-il belge, allemand, espagnol, italien ou autre ? L’incertitude est grande, d’autant que l’article renvoie à un décret en Conseil d’État. Supprimons-le. »

Avec l’examen de l’article 3 bis A, s’engage un long débat sur le canal Seine-Nord, un chantier considérable qui doit débuter en 2017 et que le gouvernement veut piloter en procédant par ordonnances.

« Nous avons décidé de demander un bilan, plutôt que la suppression de l’article, pour ne pas nous opposer à un projet qui sera utile aux territoires, indique Annie David. D’accord, pour une fois, pour l’ordonnance, pourvu que le ministre revienne devant nous dans trois mois, pour combler le manque d’informations précises sur les conséquences de ce projet. Ce sera l’occasion de discuter, en particulier, de la qualité de l’emploi créé. »

Thierry Foucaud rappelle que « Rouen est le premier port céréalier de France ; la Seine, historiquement, est un axe industriel. Nous avons besoin d’une connexion avec le canal, sans quoi nous serons isolés, dans un véritable cul-de-sac. En outre, je regrette que la création de plateformes soit repoussée aux calendes grecques. Les terrains, auparavant dévolus à des établissements industriels, qui ont cédé la place à des friches, existent pourtant au Havre ou à Rouen, mais ils ne sont pas achetés et donc pas aménagés. Peut-être le ministre fera-t-il référence au CPER... Les usines chimiques et pétrochimiques, qui prospéraient naguère dans le bassin de la Seine, de même que les industries automobiles, ayant disparu, il faudrait les dépolluer. Hélas, rien n’a été fait. Allons tous dans le même sens sur le fluvial, la route mais aussi le ferroviaire - car Rouen est une importante gare de triage, ne l’oublions pas ! »

L’article 3 bis suscite également un échange fourni, à propos d’un autre grand chantier.

« Le CDG Express est un projet pharaonique : 1,9 milliard d’euros, gabegie incompréhensible alors que le RER B existe déjà. Pourquoi ne pas l’améliorer ? Faut-il répondre aux besoins du plus grand nombre ou offrir à quelques-uns un transport sur mesure ? Visiblement vous préférez les projets vitrines, déplore Laurence Cohen. Mieux vaudrait l’amélioration des conditions de transport de centaines de milliers de Franciliens. De plus, à l’heure où le gouvernement entend développer les liaisons par autocar, pourquoi ne pas proposer aux riches hommes d’affaires de le prendre pour rejoindre Paris ? Enfin, sur la forme, nous sommes opposés au recours aux ordonnances. Et nous ne connaissons pas le montage financier du projet. Comment être certain que l’État et les collectivités territoriales ne seront pas sollicités ?

« Cet article, renchérit Brigitte Gonthier-Maurin, autorise la réalisation en urgence pour des motifs hypothétiques - jeux Olympiques, exposition universelle - du CDG Express, un projet inutile, coûteux et socialement injuste. Il serait plus opportun de financer la rénovation des infrastructures existantes. Les élus franciliens discutent depuis longtemps de ce projet qui est loin de faire l’unanimité. Il n’est pas sûr d’ailleurs que les Franciliens l’approuveraient s’ils étaient consultés, surtout au regard du coût exorbitant qu’ils seront peut-être appelés à financer. Ce projet ne résoudra pas les difficultés quotidiennes de transport. Les sénateurs CRC ne sont pas les seuls à s’inquiéter de ce projet ; d’autres élus et les associations le font également. Comment ne pas voir que le CDG Express est destiné à relier des pôles d’affaires ? J’entends bien, les touristes emprunteront également la liaison. Mais, tout de même, le progrès ne vaut pas seulement pour quelques-uns. »

La séance est suspendue à 12 h 50.

Elle reprend à 15 heures avec les questions d’actualité au gouvernement.

Pour le groupe CRC, Dominique Watrin revient à la charge contre la loi Macron. « Je salue la mobilisation des retraités, salariés et chômeurs qui défilent actuellement contre l’austérité et le projet de loi Macron, déclare le sénateur du Pas-de-Calais. Ces dizaines de milliers de manifestants exigent le retrait du pacte de responsabilité et dénoncent les 40 milliards d’euros de cadeaux aux entreprises sans considération d’efficacité économique ni contreparties. Comme le ministre de l’économie, nous considérons que l’économie française est en état d’urgence. Et que faites-vous ? Au lieu de relancer l’activité, vous la marchandisez pour ensuite prétendre la réguler... Vous servez les intérêts de la finance sous couvert de l’intérêt général, vous abdiquez devant les sociétés concessionnaires d’autoroutes et les laissez s’asseoir sur leur rente de 20 à 24 %, privatisez les industries d’armement et les aéroports. »

Réponse d’Axelle Lemaire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie : « Il n’y a pas d’austérité en France. Le projet de loi Macron est un texte de progrès ! J’espère que vous vous y rallierez ! » C’est comme si c’était fait.

À la faveur de l’examen de l’amendement n°1353, présenté par le groupe CRC et qui prévoit que « le Gouvernement remet au Parlement avant le 1er octobre 2015 un rapport examinant les conditions de mise en oeuvre d’une nationalisation des sociétés d’autoroutes », Emmanuel Macron revient sur l’accord signé le jour même entre le gouvernement et les sociétés concessionnaires d’autoroutes.

Et d’expliquer : « Les différents scénarios - renationalisation, renégociation des concessions - ont été étudiés. La Cour des comptes a en effet pointé une rentabilité de certaines concessions supérieure à ce qui avait été envisagé. Mais la renationalisation, avec l’indemnisation, coûterait entre 40 et 45 milliards d’euros. Sans parler de la remise en cause de la parole de l’État. Quant à la résiliation, elle conduit à la renationalisation : les sociétés actuelles ne se représenteraient pas, et nous aurions à négocier avec des sociétés plus exotiques, chinoises ou canadiennes, probablement pour aboutir aux mêmes règles... Ce scénario ne nous est pas apparu souhaitable. Nous avons donc opté pour une meilleure régulation et une renégociation des contrats, à la lumière des travaux parlementaires. »

En fait, l’accord est surtout bénéfique pour ces sociétés privées : elles vont continuer de s’enrichir sur le dos des automobilistes et de l’État, tout en éloignant le spectre d’une nationalisation.

À l’article 5 qui suit, et qui touche à la régulation du secteur autoroutier, Évelyne Didier indique que « depuis toujours, le groupe CRC demande une renationalisation des autoroutes. Seul l’État peut garantir l’intérêt général et l’égalité sur le territoire. Dire que des entreprises chargées de mission de service public peuvent s’y substituer est, pour nous, une faute morale et politique ».

Rappel au Règlement d’Éliane Assassi : « J’entends ici ou là accuser le groupe CRC de faire de l’obstruction. À aucun moment nous n’avons dérogé au Règlement du Sénat. Nous ne faisons qu’utiliser notre droit constitutionnel d’amendement. Sur les 1 680 amendements déposés, nous n’en avons déposé qu’environ 450. L’Assemblée nationale a eu trois semaines pour débattre de ce projet de loi, le Sénat, deux semaines seulement. À l’Assemblée nationale, avec le temps législatif programmé, certains n’ont pas pu intervenir autant qu’ils l’auraient souhaité. Le Sénat a pour particularité de débattre sur le fond : c’est ici que les débats sont le plus approfondis. Forcément, cela prend un peu de temps... »

Rendre le permis de conduire plus accessible. D’accord, mais pas comme le prévoit le gouvernement à l’article 8 quater, en allégeant notamment les procédures d’agrément des professionnels et en favorisant les auto-écoles dématérialisées.

« Plus rapide, moins cher, plus accessible, voilà nos objectifs pour le permis de conduire, indique Cécile Cukierman. Aujourd’hui, passer son permis relève plus de la traversée de la jungle que d’une promenade en forêt. Le prix peut varier du simple au double, et atteindre 3 000 euros. Prix inaccessible pour nombre de jeunes, qui ont pourtant besoin du permis pour s’insérer dans le monde du travail. Les aides des communes et des départements sont mises en péril par l’austérité qui leur est imposée. Le recours à l’endettement pour le permis à un euro par jour n’est pas une solution satisfaisante. Comment ces jeunes, sans revenus réguliers, pourraient-ils s’engager à rembourser ? Le député Jean Lassalle en a fait l’expérience : le délai d’attente pour pouvoir passer l’examen est insupportable : plus du double que la moyenne européenne ! Le permis est pourtant un sésame indispensable pour la mobilité en zone rurale. Résultat de cette situation, de plus en plus de personnes sont interpellées en défaut de permis, au détriment de la sécurité. Il est dommage que la seule réponse apportée par le projet de loi soit de priver les commissions départementales de la sécurité routière, composées de représentants des collectivités territoriales, des organisations professionnelles et des usagers, de la faculté de formuler un avis sur l’agrément des auto-écoles. »

« Il faut, ajoute Patrick Abate, encadrer l’apparition de nouveaux acteurs dématérialisés qui concurrencent les auto-écoles. Certes, le coût du permis est trop élevé, mais n’entérinons pas les pratiques de réduction des coûts qui reposent sur une précarisation des employés à qui on impose le statut d’autoentrepreneurs. Cette évolution pourrait en outre aboutir à l’affaiblissement du dispositif de la conduite accompagnée, qui a fait ses preuves. »

La séance est levée à minuit vingt-cinq.


Deuxième jour

mercredi 8 avril

14 h 30 : reprise de la séance. D’emblée, les élus du groupe CRC souhaitent aller à l’essentiel. Que doit être une véritable politique de croissance, juste et durable ?

Elle doit avoir pour objectif, estiment-ils, dans un amendement créant un article additionnel, « la satisfaction des besoins de la population, en premier lieu, le retour au plein emploi, le droit à l’éducation, l’accès aux soins, le droit au logement, l’accès à la culture et aux loisirs et enfin le droit à une retraite digne. Cette politique de croissance juste et durable doit s’appuyer sur la transition énergétique et promouvoir la protection de l’environnement. Les services publics et l’investissement seront au coeur de ce mouvement. Cette politique de croissance juste et durable se fondera sur un principe simple : la richesse produite par le travail doit servir la relance industrielle et l’emploi et ne plus alimenter les marchés financiers. Une politique bancaire et fiscale nouvelle doit porter cette nouvelle politique. De nouveaux droits pour les citoyennes et les citoyens, pour les salariés permettront à ces derniers d’accompagner cette politique de développement au service de l’intérêt général. »

Éliane Assassi indique que cet amendement montre qu’une autre voie économique est possible que celle, libérale et dérégulatrice, proposée par le Gouvernement. « Monsieur le ministre, les récents désastres électoraux de la majorité devraient vous alerter... La gauche peut-elle être libérale ? Ou doit-elle être le fer de lance d’une vision où l’humain a toute sa place ? Comment rassembler une gauche fidèle à ses valeurs ? Notre amendement rectifié rappelle que la croissance doit servir à la satisfaction des besoins de la population, à l’emploi et au service public, et non à l’enrichissement de quelques-uns. En août dernier, vous expliquiez que la gauche vise à changer le réel mais qu’au regard des contraintes, ce serait compliqué. C’était déjà abdiquer... Pourquoi renoncer à aborder la question du coût du capital ? Pourquoi ne pas faire une réforme de gauche pour contraindre les banques à financer l’investissement ? »

Des banques auxquelles, curieusement, le projet de loi Macron ne fait jamais référence. Ce qui étonne Éric Bocquet. « Nous opposons à la logique libérale une logique sociale et humaniste. Interrogeons-nous sur le rôle des banques, demande le sénateur du Nord. A l’évidence, la faible maîtrise de la puissance publique sur la circulation de l’argent est une des causes de son impuissance à agir sur la réalité économique. Le peuple et ses représentants doivent reprendre la main, réfléchir à la constitution d’un nouveau pôle public bancaire. On sait le rôle des banques dans l’évasion fiscale, on sait qu’elles jouent trop souvent contre l’intérêt général, contre le développement industriel, contre l’emploi. Il faut revoir leur gouvernance et renforcer le contrôle public, donner davantage de pouvoirs aux salariés et aux usagers. Un peu d’audace, voilà ce qu’il nous faut ! Ainsi, la puissance publique pourrait-elle orienter le crédit hors la pression des marchés financiers, diriger l’investissement vers l’outil industriel, par exemple grâce à des taux d’impôt sur les sociétés différenciés. Nous sommes surpris que les banques soient absentes de cette loi. Les quatre premières banques françaises ont réalisé un résultat net cumulé de 15 milliards en 2013 ; et BNP-Paribas envisage un taux de distribution de 45 % en 2016... Ne faut-il pas s’intéresser à cette manne pour stimuler la croissance, l’activité, l’égalité des chances économiques ? »

Réponse : non, pour le gouvernement et pour une majorité du Sénat. L’amendement est rejeté.

Examen de l’article premier qui élargit les compétences de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires (Araf) au transport public routier et aux sociétés concessionnaires d’autoroutes.

Une évolution dangereuse, estiment les sénateurs communistes.

« Cette extension des pouvoirs d’une autorité administrative marque le désengagement de l’État et son renoncement à défendre l’intérêt général dans un système de concurrence dite libre et non faussée, relève Evelyne Didier. En outre, l’article premier ne règle pas le problème du financement de la nouvelle autorité. Le risque existe de voir la nouvelle Arafer noyée sous une charge de travail excessive. Face à la puissance et à l’expertise des concessionnaires d’autoroutes, le régulateur semble mal armé. Il ne s’agit, en l’état, que d’un affichage. Sinon, donnons-lui les moyens de fonctionner. Je vous demande, monsieur le ministre, de nous confirmer qu’elle les aura. Nous voulions déposer des amendements pour proposer de nouvelles ressources mais ils auraient été balayés par l’article 40 de la Constitution. »

« Au nombre des reculs de ce texte, il faut compter la transformation de l’Araf en Arafer, autorité indépendante qui joue un rôle que l’État a renoncé à assurer, assure pour sa part Jean-Pierre Bosion. On voit bien la logique... L’Arafer contrôlera la rentabilité des contrats et les marchés de travaux, sera consultée sur tout allongement de la durée des concessions. Alors que de nombreux parlementaires souhaiteraient un encadrement des futures concessions, voire la remise en cause du régime des concessions, le Gouvernement a fait le choix de déléguer encore davantage ses prérogatives, en suivant les propositions de l’Autorité de la concurrence. Le contrôle des autoroutes ne relèverait plus du ministère des transports. Belle illustration de la philosophie de ce texte : laisser-faire les acteurs de marché animés par la recherche du profit... Seraient-ils garant de l’intérêt général, de la cohérence du territoire ? »

« Avec cette article premier, vous sortez du giron de l’État les compétences sur le contrôle du système ferroviaire et autoroutier, déplore également Christian Favier. Les fonctionnaires des services déconcentrés sont inquiets ; nous refusons qu’ils soient, une nouvelle fois, les victimes des réorganisations administratives. D’après un rapport d’information de la commission des lois sur le bilan des autorités administratives indépendantes entre 2006 et 2014, il faudrait rationaliser leur organisation et surtout assortir d’une étude d’impact toute décision d’étendre ou de créer une autorité indépendante. Plutôt que de multiplier les agences technocratiques, il faudrait nationaliser les autoroutes et créer un grand service public des transports. »

Surprise : un amendement communiste est adopté. Celui-ci stipule que « l’État veille à l’organisation des services de transport ferroviaire de personnes d’intérêt national. Il en est l’autorité organisatrice. »

Explication de Thierry Foucaud : « Nous précisons que l’État est l’autorité organisatrice des TET (trains d’équilibre du territoire), afin d’encadrer juridiquement les conventions passées entre l’État et l’entreprise exploitant ces services conventionnés. En effet, qualifier dans la loi l’État d’autorité organisatrice aura pour conséquence de qualifier la convention TET conclue entre l’État et SNCF Mobilités de contrat de service public, au sens du règlement européen de 2007 dit « obligation de service public » (OSP). Mme Schurch avait reçu un écho favorable quand elle avait soulevé cette question. Il s’agit de protéger les lignes d’équilibre du territoire de toute ouverture à la concurrence. La régionalisation serait catastrophique, faute de moyens suffisants accordés aux régions. Le désengagement unilatéral de la SNCF sur le service des TET se traduit par une baisse de l’offre de 10 % depuis 2011. Le constat est sans appel. On ne peut accepter un tel renoncement de l’État en matière de desserte du territoire, alors que la SNCF propose de supprimer 160 TET sur 300 ! Regardez la cartographie proposée par la SNCF, elle est édifiante... »

L’adoption de cet amendement, contre l’avis du gouvernement, est le signe de l’inquiétude des élus dans les territoires. Il a malheureusement fort peu de chance d’être retenu dans la version définitive de la loi.

Ajouté par la droite, l’article Premier quinquies met fin au monopole de SNCF Mobilités en ouvrant à la concurrence totale ou partielle les conventions de délégations de service public régissant les transports ferroviaires organisés par les régions, et cela au 1er janvier 2019.

« Cette mesure finira par être imposée à l’échelle européenne, dit l’UMP. Nous ne sommes pas d’accord avec vous, réagit Evelyne Didier : ce n’est pas une fatalité ! Généralement, vous prônez plutôt une transposition a minima. Il n’y a, ici, aucune raison d’anticiper, surtout quand on voit le résultat de l’ouverture du fret à la concurrence, avec, à la clé, une dégradation du service public pour les usagers. »

« Cet article a malheureusement été ajouté par la commission spéciale du Sénat, regrette Christian Favier. Si nous partageons le constat selon lequel le développement des autocars entraînera une concurrence déloyale pour le ferroviaire, nous ne vous rejoignons pas sur la conclusion que vous en tirez, à savoir l’accélération de la libéralisation du transport ferroviaire. Le chiffre d’affaires du rail en Europe est de 73 milliards d’euros, il emploie 800 000 personnes. Les trains régionaux, qui représentent en France 15 % du trafic et transportent 800 000 passagers chaque jour, suscitent bien des appétits... La mesure proposée ne tire aucune leçon de l’expérience de la libéralisation du fret et des études économétriques qui montrent les limites de la libéralisation. En proposant une ouverture à la concurrence dès le 1er janvier 2019, vous bradez le service public, avec le risque d’une hausse des tarifs, d’une dégradation du service, d’un abandon des lignes les moins rentables au risque de créer des déserts ferroviaires. Ce sont toujours les entreprises qui pratiquent le moins-disant qui profitent de l’ouverture à la concurrence, avec des risques évidents de dumping social. »

L’article 2 autorise l’organisation de services de transport non urbains par autocar de façon libre. Une bonne idée, selon Emmanuel Macron, pour faciliter les déplacements et même créer des milliers d’emplois. Sauf que…

« La dérégulation des liaisons par autocars a toutes les apparences du bon sens et de la modernité. Mais comme le diable se niche dans les détails, le bon sens et la modernité masquent parfois des réalités moins riantes, prévient Elianne Assassi. Ainsi les autorités organisatrices des transports se trouvent dessaisies de leur pouvoir de décision au profit d’une autorité de régulation au pouvoir exorbitant de mettre en balance intérêt public et intérêt privé. Les lignes de car risquent d’entrer en concurrence avec le train, de dissuader les investissements dans le ferroviaire. L’étude d’impact est bien discrète sur ce point ! De plus, la dérégulation ne contribuera pas au financement des infrastructures ni à l’amélioration du réseau existant. Les entreprises privées n’exploiteront que les lignes les plus rentables, en concurrence avec les lignes des collectivités territoriales. Les transports par car ne sont ni plus courts ni plus confortables. En termes de progrès social, favoriser la mobilité dans les meilleures conditions passe par le développement du ferroviaire. Enfin, les préoccupations écologiques sont essentielles à toute politique de développement du transport collectif. Mais qui s’en soucie ici... Lutter contre la pollution est aussi un impératif. »

« Pour les jeunes pauvres, il y a encore mieux, moins cher et plus écologique que l’autocar : la diligence, ironise Jean-Pierre Bosino. Il faut y penser ! Les régions, dont le transport représente un quart du budget, seront tentées de fermer des lignes TER, d’en fusionner d’autres du fait de cet article. Quelque 16 000 emplois de cheminots sont en jeu ! On organise la casse du service public, de l’ingénierie publique. Décidément, le compte n’y est pas, qu’il s’agisse d’emploi, de préservation des savoir-faire, de sécurité. Pour avoir une vision juste du coût réel, il faut inclure les coûts externes, supportés par la collectivité, pollution de l’air, bruit, embouteillages, accidents : sans quoi, c’est un jeu de dupes ! »

00 h 20 : fin de la séance.


Premier jour

mardi 7 avril

Et revoilà Macron. C’est aujourd’hui, à partir de 16 h, que le Sénat entame en séance publique l’examen du projet de loi pour la croissance et l’activité présentée par le ministre de l’Économie. On s’en souvient, l’examen de la loi à l’Assemblée nationale avait tourné au cauchemar pour le gouvernement, obligé de recourir à l’article 49.3 pour faire adopter aux forceps un texte jugé trop libéral par une partie de sa propre majorité. Un exploit inédit sous la V eme République, comme quoi il ne faut jamais désespérer du pouvoir socialiste.

Au Palais du Luxembourg, où la droite est désormais majoritaire, Manuel Valls et son jeune ministre ne seront pas confrontés aux mêmes difficultés. Pour autant, le débat qui s’annonce ne devrait pas un être pour eux un long fleuve tranquille. En commission, l’UMP et les centristes ont apporté de nombreuses retouches, plus ou moins importantes, au texte issu des travaux de l’Assemblée nationale, poussant ici ou là les feux de la dérégulation. Tout en préservant l’essentiel : une philosophie (qu’ils partagent) et des tonnes de dispositions touchent à tout (qu’ils approuvent). « Le Senat peut être un éclaireur et pousser le gouvernement à agir », espère Vincent Capo-Canellas, le sénateur UDI de Seine-Saint-Denis qui a présidé la commission spéciale créée pour l’examen du texte. Bilan : 254 articles retenus au lieu des 295 initiaux, et 347 amendements adoptés. Bref, si la droite s’opposera pour la forme, elle le fera dans un esprit constructif. Avec un leitmotiv : toujours plus (pour le Medef).

Le groupe socialiste au Sénat se fera pour sa part le défenseur du texte, comme l’a annoncé à plusieurs reprises l’ancienne ministre Nicole Bricq, et collera la plupart du temps aux positions du gouvernement. C’est d’ailleurs son attitude depuis que François Hollande est installé à l’Élysée. En cas de désaccord, les sénateurs PS ont toutefois recours à une méthode éprouvée : ils se taisent et avalent couleuvre sur couleuvre. Attention à l’indigestion tout de même.

Avec quelques rares sénateurs écologistes (Jean-Vincent Placé, président du groupe EELV au Sénat ne fait pas partie du lot, trop occupé qu’il est à devenir ministre), les élus du groupe CRC sont finalement les opposants les plus résolus à la loi Macron, comme le furent les députés Front de gauche à l’Assemblée nationale. Ils ont prévenu, ils l’attendent de pied ferme, armés de 480 amendements (sur un total de 1600).

« Plusieurs semaines de débats seront nécessaires de toute évidence pour examiner sérieusement, de manière approfondie, cette profusion de dispositions plus libérales les unes que les autres sans efficacité aucune en matière de création d’emplois, expliquent-ils. Ces semaines vont permettre à la population, aux salariés de se saisir d’un débat que le pouvoir voulait leur confisquer.Nous seront fortement présents dans ce débat parlementaire.Nous tenteront de porter au sein de l’hémicycle la voix de tous ceux qui ne veulent pas subir le joug de l’austérité imposée par les marchés financiers que la Loi Macron symbolise si parfaitement. »

Le communiqué complet

Dans une tribune libre publiée dans le numéro du mois de mars d’Initiatives, le journal du groupe CRC, Jean-Pierre Bosino estime même que ce projet de loi n’a, sur le fond, rien à envier aux lois les plus libérales des précédents gouvernements de droite.

« D’ailleurs, rappelle le sénateur de l’Oise, il s’inspire fortement des travaux de la Commission Attali, formée à la demande du Président Sarkozy, et dont le rapporteur n’était autre qu’un certain Emmanuel Macron. L’argumentation du gouvernement pour expliquer les difficultés économiques de notre pays repose sur trois fondements : les réglementations existantes seraient trop anciennes, les procédures manqueraient de fluidité et les lois seraient trop complexes.Pour contrer ces obstacles, le gouvernement présente alors un texte, qui apparait à première vue comme « fourre-tout ». Pourtant, il est guidé par une cohérence globale, consistant à remettre en cause les acquis sociaux, à acter un désengagement de l’État et à ouvrir la voie à la marchandisation complète de la société. Les dispositions relatives au travail du dimanche symbolisent parfaitement le choix du gouvernement de ne plus laisser de place dans la société à ce qui n’est pas marchand : le lien social, le temps passé en famille ou entre amis, les activités associatives et militantes, la culture… »

La quintessence du libéralisme, par Jean-Pierre Bosino

La loi Macron est une loi touche à tout et va bien au-delà de l’extension du travail du dimanche. Elle prévoit la privatisation des aéroports de Nice et de Lyon ou encore celle du groupe industriel public d’armement Nexter. De multiples dispositions conduisent à une remise en cause profonde du droit des salariés, en cas de licenciements notamment. La reconnaissance du rapport de subordination dans lesquels se trouvent les salariés est effacée, un principe pourtant essentiel du droit du travail, fruit de plus de deux siècles de lutte. En cas de délit d’entrave, les sanctions des employeurs sont allégées. Avec la loi, l’obligation d’embauche de travailleurs handicapés pourra aussi facilement être contournée par les employeurs. Aux Prud’hommes, si un salarié fait reconnaître le caractère abusif de son licenciement, le juge pourra décider de façon forfaitaire le montant des indemnités de préjudice, alors que ce montant est actuellement fixé par le Code du travail à un minimum de 6 mois de salaire. Un tableau auquel il faut ajouter la libéralisation des trajets interurbains par autocars, au détriment du transport ferroviaire, ou en matière de logement, l’annulation de la protection des locataires opposés à la vente à la découpe de leur immeuble…

Fait peu connu, cette volonté de marchandisation s’étend jusqu’au sang humain, comme le dénonce Annie David dans une autre tribune publiée dans Initiatives.

« L’Assemblée nationale a adopté l’article 48 du projet de loi Macron qui autorise la participation de la banque publique d’investissement au capital du Laboratoire français du Fractionnement et des Biotechnologies, rappelle la sénatrice de l’Isère. L’ouverture de son capital à la BPI ouvre la voie au retrait de l’État et lève les obstacles à l’entrée d’acteurs privés au capital du LFB. Nous assistons donc à une marchandisation progressive d’une partie du corps humain, le sang. »

Quand même le sang devient une marchandise, par Annie David

16h30. Les débats commencent avec deux rappels aux règlement de deux sénateurs communistes.

Eric Bocquet souligne d’abord que "ce qui était un texte pléthorique est devenu tout bonnement un monstre juridique, un texte instable, instable comme un terrain argileux où le parlement risque fort de s’embourber.Les quelques semaines de délais pour examiner ce projet se sont immédiatement avérées bien trop courtes.Votre projet, Monsieur le Ministre, comprend maintenant des dizaines de thèmes différents qui chacun aurait pu exiger un projet particulier.La commission spéciale du sénat a reconnu d’emblée ce caractère hétéroclite qui examine des points aussi différents que le travail dominical, le permis de conduire, le logement, la libéralisation du transport par car, la méthode de privatisation, trois privatisations importantes, la filialisation des CHU, la simplification comptable des entreprises, une réforme importante des tribunaux de commerce, le fonctionnement des conseils des prud’hommes, l’urbanisme commercial, les professions réglementées, le canal Seine Nord, les obligations d’emplois de travailleurs handicapés, d’importantes modification du droit de licenciement et par exemple la liste peut encore être longue, l’évolution de la profession de taxi et j’en finirai pour cette démonstration, l’organisation des concessions d’autoroutes et sur ajout de la commission sénatoriale, les seuils sociaux, le compte pénibilité et cerise sur le gâteau l’ouverture à la concurrence des TER."

Le rappel au règlement d’Eric Bocquet

Dans la foulée, Jean-Pierre Bosino déplore la précipitation avec laquelle le texte est examiné par le Sénat, ce qui nuit fortement à la qualité du débat démocratique. "Alors que le texte issu des travaux de l’Assemblée Nationale ne fut transmis au Sénat que le 19 février, alors que les assemblées suspendaient leurs travaux du 23 février au 27 février, alors que la campagne électorale d’élections départementales aux enjeux nationalisés mobilisait les énergies de tous, la première date limite de dépôt d’amendements sur près de deux tiers des articles fût fixée au jeudi 12 mars. Il était quasiment impossible aux groupes politiques et en particulier aux groupes de faible effectif d’effectuer un travail d’analyse et de proposition. Mon groupe s’est contenté de déposer à cette occasion des amendements de suppression. Monsieur le Président, vous qui recherchez une attitude constructive du Sénat par rapport à ce texte, cette précipitation ne peut permettre de rapprocher les points de vue, bien au contraire.Ce projet de loi, mes chers collègues est une démonstration par l’absurde de la raison essentielle des difficultés du travail parlementaire : l’inflation législative."

Le rappel au règlement de Jean-Pierre Bosino

Avec l’aisance et la verve qu’on lui connait, Emmanuel Macron ouvre la discussion générale pour défendre son projet de loi. Le ministre de l’Économie est égal à lui-même. Extrait : « Ce projet de loi est un texte d’ambition. L’ambition des Français, pour eux-mêmes, pour leur famille, nous oblige. C’est notre principal atout. Ce n’est rien d’autre que la volonté ardente d’avancer, de s’en sortir, de retrouver des perspectives après des années de crise. C’est l’ambition d’investir, d’entreprendre, de travailler, trop souvent bridée par la défiance, la complexité ou les corporatismes. » Un discours un peu techno, mais finalement très convaincant. Surtout quand on est de droite.

Nicole Bricq prend la parole :« Le groupe socialiste soutient ce texte qui dégage de bons compromis, utiles à la France dans une économie de marché régulée et face à la mondialisation ». Dans Macron, tout est bon ! (pub PS).

L’orateur suivant est beaucoup moins enthousiaste.« On dit ce texte technocratique, je le vois idéologique, analyse l’écologiste Jean Desessard, fondé sur une idée simple - je ne dis pas simpliste ! - celle selon laquelle notre pays disposerait d’un potentiel de croissance inexploité qu’il faudrait libérer. Vous voulez donc favoriser l’entrée de nouveaux acteurs sur le marché et lever des obstacles pour stimuler la croissance. Mais là où vous voyez des obstacles, les écologistes voient des garanties. Certains garde-fous sont légitimes. Votre volonté de libéralisation est partagée par la droite, sur qui on peut toujours compter pour aller plus loin. »

La chute est malheureusement moins claire : « Vous aurez compris notre réserve, mais nous resterons pragmatiques - vous aimez le pragmatisme, monsieur le ministre - et attentifs à la suite du débat ; peut-être voterons-nous certaines mesures. »

19 h. Pierre Laurent intervient à son tour, au nom du groupe CRC. Le secrétaire national du PCF et sénateur de Paris estime que la loi Macron s’apparente à une loi d’orientation du gouvernement. Une orientation évidemment libérale :

« Votre projet de loi est un vrai fourre-tout. On s’y perd, on s’y noie. 1.656 amendements déposés montrent bien la diversité d’un projet qui aurait pu et dû être examiné en 20 ou 30 textes différents. Nous ne sommes pas dupes du fait que cette confusion organisée, cet amoncellement d’articles, relève d’une tactique déjà éprouvée pour dissimuler au débat public les mesures les plus anti-sociales. Mais cette profusion masque mal une profonde cohérence, cette ligne dérégulatrice qui traverse l’ensemble du texte, y compris dans ses très rares aspects positifs pour les salariés, et qui est directement inspiré du rapport de la commission ATTALI dont vous fûtes le co-rapporteur, et dont M.Sarkozy jugeait les propositions « raisonnables ». D’ailleurs M. Attali ne s’y trompe pas en disant : « Ce n’est pas pour son contenu que la loi MACRON doit être votée, mais parce qu’elle pourrait annoncer d’autres lois portant sur des sujets de fond. Elle est un peu comme le démarreur d’une voiture dont le conducteur appuiera ensuite sur l’accélérateur »...Votre démarrage, Monsieur le Ministre, est déjà en vérité une belle accélération libérale. »

L’intervention de Pierre Laurent

Un peu plus tard, Bruno Retailleau, le président du groupe UMP, se montre finalement assez compréhensif à l’égard d’Emmanuel Macron. « Vous avez sans doute joué un rôle déterminant dans la conversion du président de la République à l’économie de l’offre, monsieur le ministre. Vos diagnostics sont souvent justes. Mais nous ne pouvons nous contenter des entre-deux où se complaît le président de la République. » Sur un certain nombre de points, la majorité sénatoriale va donc aller « plus loin » que le gouvernement. Mais toujours dans la même direction.

19h40. Interruption de la discussion générale.

La séance reprend à 21h45. Vers 23 h, Eliane Assassi monte à la tribune de l’hémicycle pour y défendre la première motion de procédure déposée par le groupe CRC. Une « exception d’irrecevabilité » justifiée par le fait que le projet de loi du ministre de l’Economie est contraire à plusieurs principes constitutionnels dont ceux de l’intelligibilité de la loi et de la sécurité juridique.

« Cohérent sur le plan doctrinal, ce projet de loi, par son hétérogénéité, met à mal les principes constitutionnels de clarté et d’intelligibilité de la loi, explique la présidente du groupe CRC. Il est question ici des administrateurs judiciaires, des autocars, des commissaires-priseurs, du conseil en propriété industrielle, de publicité dans les installations sportives, des micro-entreprises, des péages autoroutiers, des PSE, du repos dominical ou en soirée, du haut débit, des taxis, des tribunaux de commerce... J’arrête là cet inventaire à la Prévert. Le travail parlementaire en devient impossible. En outre la rédaction byzantine de certains articles contrevient au principe d’accessibilité de la loi, qui n’a pas qu’une signification matérielle.Pas moins d’une vingtaine de demandes d’habilitation à légiférer par ordonnances : cette procédure est détournée de sa finalité et de sa justification par l’urgence et la technicité. Sous prétexte d’une urgence jamais démontrée, le recours aux ordonnances a explosé depuis le début des années 2000, le Parlement se trouvant ainsi dessaisi de ses prérogatives. Non seulement, c’est une méthode antidémocratique, mais c’est une des causes d’inflation et de malfaçon législative. »

L’exception d’irrecevabilité d’Eliane Assassi

Cécile Cukierman approuve. « La pérennité des services publics nationaux figure aussi dans le préambule de 1946. L’attaque contre la SNCF est une insulte à la mémoire des grandes conquêtes ouvrières de 1936. Les salariés seront nombreux à vous le dire, jeudi, dans la rue », lance la sénatrice de la Loire à l’adresse d’Emmanuel Macron.

L’explication de vote de Cécile Cukierman

La motion est finalement repoussée par 327 voix. Seuls les 19 élus du groupe CRC votent pour.

Seconde motion, cette fois défendue par Annie David. Cette « question préalable »
dénonce le vaste chantier de dérégulation libérale qu’est la loi et oppose à cette conception de la société, qui loin d’être moderne renvoie aux vieux poncifs du libéralisme du XIXème siècle, une conception novatrice, celle d’une croissance démocratique, sociale et durable.

« Sous son apparence de fourre-tout, votre texte est bien inspiré par une cohérence implacable, celle de l’idéologie ultralibérale, développe la sénatrice de l’Isère. Or c’est l’ultralibéralisme qui nous a plongés dans la crise économique et sociale. Nos concitoyens sont à bout, ils l’ont crié lors des dernières élections. Le manque de perspective, le délitement du lien social, la précarité croissante sont loin de trouver des réponses ici - au contraire, vous les aggravez ! Que dire aux 1 600 salariés du groupe Vivarte, qui viennent d’apprendre aujourd’hui même qu’ils perdent leur emploi ? Avec le chantage à l’emploi, c’est toujours le moins-disant social qui prime et devient la règle, et c’est ce que votre projet de loi organise. »

La question préalable d’Annie David

« La part de la richesse consacrée au versement de dividendes atteint désormais 85 %, contre 30 % dans les années 80, au détriment de l’emploi et de l’investissement, rappelle à la suite Laurence Cohen, sénatrice du Val-de-Marne. Ainsi, la rémunération des actionnaires représente 2,6 fois les sommes consacrées à l’investissement, contre moitié moins au début des années 80. Les salaires ont stagné ces trente dernières années - sauf pour les mieux rémunérés... Étonnant que cette loi, loin de corriger ces inégalités, les renforce, avec les actions d’entreprises pour les dirigeants... Rien pour moderniser les banques, qui bénéficient pourtant du CICE. Et où est la croissance verte dans ce texte ? »

L’explication de vote de Laurence Cohen

Cette seconde motion est également rejetée par les sénateurs (enfin, ceux qui restent en séance à cette heure tardive). Résultat : contre, 33 voix ; pour 20.

00 h 45 : fin de la séance.

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