Affaires économiques

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Votre texte est bien inspiré par une cohérence implacable, celle de l’idéologie ultralibérale

Loi Macron : question préalable -

7 avril 2015

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe communiste républicain et citoyen a souhaité déposer cette motion tendant à opposer la question préalable afin que soit rejeté l’ensemble de ce projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, intitulé qui traduit un mépris profond à l’égard de nos concitoyennes et concitoyens, en tout cas de celles et ceux qui nous font confiance, et qui ont fait confiance à François Hollande en 2012.

Non, monsieur le ministre, nous n’avons pas débité de contrevérités, pas plus que nous n’avons énoncé d’informations fallacieuses. Comme d’autres ici, nous avons étudié votre texte !

Comme le président du Sénat, Gérard Larcher, vous l’a indiqué, dans les colonnes du Figaro, :..

M. Didier Guillaume. Belle lecture ! (Sourires.)

Mme Annie David. ... « C’est de manière extrêmement pragmatique et non pas idéologique que ce projet de loi va être examiné par la droite sénatoriale ».

Or nous, sénatrices et sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, assumons pleinement notre engagement pour une société plus juste, plus égalitaire, pour retisser du lien social, pour lutter contre le chômage. Tel est, en somme, notre engagement politique et idéologique !

D’ailleurs, vous-même ne manquez pas d’idéologie, monsieur le ministre, notamment quand, à Las Vegas, vous expliquez au Wall Street Journal que « les entreprises pourront contourner les règles de travail rigides et négocier directement avec les employés ».

Votre idéologie est libérale. Elle sous-tend l’ensemble de votre projet de loi, ce qui nous amène à proposer de le rejeter en bloc. En effet, sous l’apparence d’un texte « fourre-tout » ou « éclectique », comme l’a qualifié le corapporteur dans la discussion générale, il suit une cohérence : déréglementation, recul de l’État, remise en cause des acquis sociaux, pour plus de libéralisme.

Cette cohérence ultralibérale est grave. Elle nous a conduits à la crise que nous connaissons aujourd’hui, ne répond pas aux grands enjeux de notre société et entraîne notre pays vers une situation économique et sociale pire que celle que nous vivons !

Or nos concitoyennes et nos concitoyens sont à bout. Ils l’ont montré, exprimé, crié par leur vote ou leur non-vote lors des dernières élections départementales. Pourquoi refusez-vous de les entendre ?

L’effritement du lien social, le manque de perspectives offertes à notre jeunesse, le développement de la précarité sociale et économique, non seulement ne sont pas pris en compte par ce projet de loi, mais s’en trouveront accentués.

Que dire aux 23 % de jeunes au chômage actuellement ?

Que dire aux salariés, contraints d’accepter tous les contrats qui leur sont proposés et de se plier à toutes les conditions de travail, pour garder ou trouver un emploi ?

Parmi eux, les plus précaires sont sans doute les saisonniers. Ils ont témoigné ici, au Sénat, dans le cadre d’un colloque organisé par mon groupe, des conditions de vie et de travail extrêmes qui sont les leurs, qui détruisent leur santé, leur vie familiale, sociale. Ils en ont fait part à votre collègue, Matthias Fekl, qui était présent.

Monsieur le ministre, comment leur expliquer que vous proposez un texte qui accentuera encore plus leur précarité ?

Et que dire aux 1 600 salariés du groupe Vivarte qui ont appris aujourd’hui même qu’ils avaient perdu leur emploi ?

Dans ce contexte de chantage à l’emploi, c’est toujours le « moins-disant social » qui prime et devient la règle. C’est ce que votre projet de loi organise.

Comme le résume très bien Martine Bulard dans le Monde diplomatique, ce texte s’articule autour de la formule « toujours moins » : moins de droits sociaux, moins de règles pour les entreprises, moins de contrôle public. Ainsi, on arrive à plus de libéralisme, plus de précarité, plus d’individualisme.

L’exemple du travail du dimanche est en cela flagrant. Le lien familial et social tissé durant ce jour de repos commun à toutes et tous n’existera plus. Cela touchera particulièrement les foyers les plus modestes, là où les gens « n’ont pas le choix » de travailler ou non le dimanche.

Au passage, monsieur le ministre, notez que 70 % des salariés du commerce sont des femmes et que 60 % à 70 % d’entre elles élèvent seules leurs enfants.

Ainsi, sans ce lien social, sans le temps consacré par les parents à leurs enfants, comment éviter le désespoir, l’échec scolaire, l’isolement, voire l’endoctrinement de certains jeunes, qui conduit parfois à des actes irréversibles ?

Qui plus est, aucun effet positif n’est prouvé sur l’économie. À pouvoir d’achat constant, l’ouverture des commerces une journée de plus aura pour résultat de détourner les achats vers cette journée et vers les grandes surfaces, au détriment des petits commerces.

Cette mesure, emblématique, met donc en évidence que ce qui est visé est non pas la croissance, pas plus que « l’égalité des chances économiques », mais la déstructuration du contrat de travail et la promotion d’une société fondée sur la consommation.

L’adoption du « contrat zéro heure » anglais ou du « mini job » allemand, si cher au MEDEF, se profile à l’horizon...

Et, pendant que vous déconstruisez le droit du travail et précarisez les salariés, monsieur le ministre, d’autres s’enrichissent : la France a atteint en 2014 la deuxième place mondiale en termes de rémunération de ses actionnaires, derrière les États-Unis !

En 2014, les entreprises du CAC 40 ont distribué 80 milliards d’euros de dividendes à leurs actionnaires, alors que leurs profits, en baisse, s’établissaient à 48 milliards d’euros… Nous aurons d’ailleurs l’occasion d’évoquer la question de l’épargne salariale au cours de ce débat, monsieur le ministre.

Parallèlement à cela, ou à cause de cela, depuis la crise, les entreprises ont détruit plus d’un demi-million d’emplois, pour 100 000 actifs qui arrivent chaque année sur le marché de l’emploi.

Vous nous parlez d’entreprises en difficultés. Je vous réponds entreprises gérées de manière court-termiste, le propre du système capitaliste, pour satisfaire la volonté des actionnaires sans prendre en compte les besoins en termes d’investissement et d’emploi.

Mais au lieu de lutter contre ce système, vous y adaptez notre droit du travail. L’entreprise est-elle en difficulté, car elle a distribué l’essentiel de ses ressources aux actionnaires ? Ce n’est pas bien grave : l’emploi fera office de variable d’ajustement. Pour ce faire, les conditions de licenciement sont assouplies.

Comment faire confiance à ce modèle pour nous sortir de la crise ? Pourquoi vendre à ce système des entreprises publiques, actives dans des domaines stratégiques, si ce n’est par idéologie ?

Il est en effet prouvé qu’en plus d’être injuste ce système libéral est inefficace sur le plan économique. Selon un rapport de l’OCDE, les inégalités ont coûté 8,5 points de PIB sur vingt-cinq ans dans les pays membres de l’OCDE.

Mme Nicole Bricq. Pas en France !

Mme Annie David. Cela rend urgente une intervention de l’État auprès des 40 % de personnes les plus défavorisées.

Ce n’est pas ce que fait ce texte. À la place, il prévoit de « libérer » le patronat de ses « charges » et, dans les faits, de toute responsabilité sociale, territoriale et environnementale.

Ainsi, ce qui nous pose problème, c’est la quasi-totalité des mesures de ce texte, qui remettent en cause le service public, le rôle de l’État dans l’économie, les acquis sociaux, les ambitions de notre pays, notamment en termes de développement durable ou de solidarité.

Ainsi, au lieu de vous attaquer à la rente des actionnaires, à la fraude fiscale ou encore à la fraude aux cotisations patronales, vous pointez du doigt la supposée rente des notaires.

« Moderniser » la France nécessiterait, selon vous, d’introduire la liberté d’installation des professions réglementées, en permettant de facto des concentrations au profit de grands groupes, là où ils les jugeront rentables, et des désertifications ailleurs, notamment en zone rurale.

« Moderniser » la France nécessiterait, toujours selon vous, de réintroduire le transport par autocar ! Ce faisant, vous incitez au développement d’un mode de transport présentant un risque de mortalité deux fois plus élevé que le rail, selon une étude de l’Union européenne, mais aussi plus polluant et dont le développement est en total décalage avec les objectifs affichés par le ministère du développement durable.

Là encore, l’objectif de modernisation n’est qu’un leurre, qui cache une volonté de casser le service public de la SNCF.

La casse du service public s’effectue aussi en « bradant » les avoirs de l’État dans certaines entreprises. Ainsi, l’article 47 organise la privatisation du Groupement industriel des armements terrestres. Il en est de même pour les aéroports de Nice-Côte d’Azur ou de Lyon-Saint-Exupéry. De plus, la privatisation du Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies, le LFB, est préparée, avec une ouverture partielle de son capital à la BPI. (Mme Catherine Génisson s’exclame.)

Ces « opérations sur le capital des sociétés à participations publiques » s’inscrivent dans une longue liste de cessions des participations de l’État : l’aéroport de Toulouse-Blagnac récemment, mais aussi EADS, Safran, Aéroports de Paris, GDF-Suez, Orange...

Pour améliorer sa trésorerie à court terme, l’État se prive de 4,5 milliards d’euros de recettes et, surtout, d’un contrôle sur des entreprises clés, actives dans des secteurs stratégiques.

D’ailleurs, la gestion actuelle des autoroutes prouve, s’il en était besoin, que la privatisation ne profite pas au consommateur et conduit à une augmentation des prix.

Mme Éliane Assassi. Exactement !

M. Jacques Chiron. C’est vrai !

Mme Annie David. En ce sens, 78 % des Françaises et des Français sont favorables à la nationalisation des autoroutes.

C’est donc non pas aux besoins de nos concitoyens que vous répondez, mais à ceux des entreprises. Ainsi, pour les entreprises du bâtiment, ce texte lève les obstacles réglementaires qui limiteraient l’offre de logement, afin de développer l’offre de logements intermédiaires. Soit ! Mais quelle réponse est apportée au 1,7 million de ménages en attente d’un logement social ? Quelle réponse est apportée aux 3,5 millions de personnes mal logées dénombrées par la Fondation Abbé Pierre ? Elles sont les grandes oubliées de ce projet de loi sur « l’égalité des chances économiques ».

D’ailleurs, monsieur le ministre, comment prendre en compte l’avis des citoyennes et des citoyens, quand vous méprisez même leurs représentants, en leur retirant leur pouvoir de légiférer ? (M. le ministre s’étonne.)

C’est que notre rejet du texte ne tient pas à son seul contenu : il tient aussi à sa forme.

« Brutalité », « déni de démocratie » : tels sont les mots employés à l’époque par François Hollande pour qualifier l’utilisation du 49-3. Je ne peux, pour une fois, qu’être d’accord avec lui.

Mme Nicole Bricq. Le 49-3 au Sénat ?…

Mme Annie David. Autre coup porté à la démocratie, le recours aux ordonnances, notamment pour modifier le code de l’environnement, mais aussi le code du travail, en particulier l’organisation de l’inspection du travail.

Alors que l’État devrait se donner les moyens de lutter efficacement contre la fraude aux cotisations patronales et le travail illégal, l’inspection du travail sort affaiblie de ce texte. Par voie d’ordonnances, elle devrait voir un certain nombre de ses prérogatives passer aux mains de l’administration ou des juges.

Quand les salariés doivent accepter toujours plus de sacrifices et d’insécurité, quand les assurés sociaux perçoivent de moins en moins de prestations, le détournement du droit du travail à moindres frais est organisé.

C’est notamment le sens de la suppression de la peine d’emprisonnement en cas de délit d’entrave. Certes, cette peine n’avait jamais été utilisée. Pour autant, elle comportait une force dissuasive réelle et envoyait un message fort. Aujourd’hui, une simple amende de 15 000 euros maximum pourra être demandée. Or l’exemple de l’emploi des travailleurs handicapés nous prouve que les entreprises préfèrent trop souvent payer plutôt que de respecter leurs obligations.

Il en va de même concernant les licenciements abusifs.

Avec le référentiel indicatif imposé aux conseillers prud’homaux, l’employeur pourra déterminer à l’avance ce qu’il lui en coûtera s’il licencie un salarié sans respecter le droit.

La casse des prud’hommes est également organisée, sous prétexte de raccourcir les délais de jugement. Effectivement, cette institution n’est pas du goût du MEDEF : chaque année, 200 000 salariés s’adressent à elle pour faire valoir leurs droits. Au lieu d’allouer les moyens nécessaires au bon fonctionnement de l’institution, le texte organise la mise en œuvre d’une justice expéditive et privilégie la relation directe entre l’employeur et le salarié, laquelle est forcément inéquitable.

Cette idée parcourt d’ailleurs l’ensemble du texte : la relation patron-salarié prime les accords collectifs. À terme, le code civil pourrait l’emporter sur le code du travail, qui a pour fondement et particularité de reconnaître le lien de subordination existant entre employeurs et salariés.

De même, les décisions prises d’en haut priment les décisions des responsables locaux. L’exemple du travail du dimanche est significatif : pour la délimitation des zones touristiques internationales, les maires ne sont consultés que pour avis, la décision finale revient au Gouvernement.

La liste des mesures qui nous posent problème est longue.

Nous aurions pu aussi évoquer l’assouplissement des conditions de licenciement ou encore des règles concernant l’emploi des travailleurs handicapés.

Ces mesures cyniques, ultralibérales, inefficaces pour sortir notre pays de la crise, la droite sénatoriale les approuve. Elle va même plus loin : ouverture à la concurrence des trains régionaux, remise en cause des seuils sociaux et des 35 heures, suppression du compte pénibilité, doublement du plafond du dispositif ISF-PME, etc. Elle propose même un amendement spécial « ferme des 1 000 vaches ». Car, oui, la recherche de rentabilité à tout prix n’épargne pas l’agriculture. Tant pis si cela nuit au consommateur et à l’environnement !

Nous ne voulons pas avoir à choisir entre le libéralisme du Gouvernement et l’ultralibéralisme d’une droite décomplexée qui se réjouit de voir passer les mesures qu’elle affectionne, mais qu’elle n’a pas mises en œuvre quand elle était au gouvernement, pour ne pas en supporter le coût électoral.

Nous ne pouvons assister sans réagir à cette casse de tous les garde-fous qui permettaient encore à notre pays de résister à la précarisation profonde de la société. En cela, madame Bricq, je vous rejoins.

D’après l’OCDE, « jamais en trente ans le fossé entre riches et pauvres n’a été aussi prononcé ». Ce n’est pas acceptable et cela ne vient pas de nulle part : c’est le fruit d’une politique délibérément libérale et injuste, qui consiste à supprimer tout ce qui fait obstacle à l’enrichissement des plus riches et à la mainmise des actionnaires sur les entreprises.

Le résultat est au rendez-vous. Dans certains pays d’Europe, pendant que les peuples luttent pour survivre, garder leur emploi, se soigner, les dividendes versés ont augmenté de 22 % depuis 2009 !

Pourtant, monsieur le ministre, vous continuez de suivre les dogmes libéraux, ce qui vous a attiré les compliments de la Chancelière allemande Angela Merkel et du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker. Ce dernier voudrait d’ailleurs que la France aille plus loin dans ses efforts. À lui qui a oublié de lutter contre la fraude fiscale lorsqu’il était Premier ministre du Luxembourg, vous offrez des gages, en lui promettant une loi « Macron II ». (Murmures sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur celles de l’UMP.)

Mme Nicole Bricq. Quel rapport ?

Mme Annie David. Nous aurions préféré voir votre gouvernement de gauche épauler le Premier ministre grec, M. Tsipras... (Exclamations sur les mêmes travées.)

Monsieur le ministre, au regard des difficultés que vivent nos concitoyens, votre positionnement idéologique est grave. Il s’exprime dans l’ensemble de ce texte. C’est pourquoi nous le rejetons en bloc et c’est la raison pour laquelle, mes chers collègues, je vous invite à adopter cette motion tendant à opposer la question préalable !

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