Affaires étrangères et défense

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Le dispositif Sentinelle doit évoluer, car il a vite atteint ses limites

Conditions d’emploi des forces armées lorsqu’elles interviennent sur le territoire national pour protéger la population -

15 mars 2016
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Le dispositif Sentinelle doit évoluer, car il a vite atteint ses limites

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord me féliciter de la tenue de ce débat. En effet, hormis lors de la révision du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, nous n’avons pas eu de discussion ni de réflexion en séance publique sur les grands enjeux de notre défense.

Ces questions, pourtant essentielles et fondamentales dans la vie de la nation, ne sont publiquement évoquées que par le biais des débats de politique étrangère sur nos interventions militaires à l’extérieur de nos frontières.

Or, depuis les attentats terroristes sur le territoire national même, la politique de défense de notre pays est interpellée et prend une nouvelle dimension, qui n’avait pas été appréhendée avec l’intensité d’une telle menace.

Monsieur le ministre, vous nous avez présenté les grandes lignes et les principes inspirant le rapport au Parlement que vous avez préparé sur les conditions d’emploi des forces armées sur le territoire national, conformément à l’article 7 de la loi de juillet 2015 actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense.

Après les attentats de janvier 2015, qui ont entraîné un déploiement massif et rapide de 10 000 militaires en dix jours sur le territoire national, il était urgent et nécessaire de redéfinir les modalités de leur emploi, ainsi que les missions qui leur sont assignées.

Cette posture de nos armées, si elle n’est pas fondamentalement nouvelle, est inédite par son ampleur. C’est la raison pour laquelle j’ai été très attentive votre présentation de ce qui me semble être un changement dans la conception des missions de nos armées, lesquelles, depuis leur professionnalisation, ont comme principale vocation de se projeter pour intervenir à l’extérieur de nos frontières.

Ce rapport se présente, me semble-t-il, comme une « feuille de route » donnée aux armées : il réaffirme et clarifie leur rôle sur le territoire national et rappelle leur légitimité à combattre, en France, des actions terroristes qui se jouent des frontières, qui menacent directement notre société et qui visent à en brouiller les repères.

La question, bien sûr, est de savoir si cette redéfinition de la doctrine d’emploi de nos armées sur le territoire national est justifiée et si les réponses apportées sont pertinentes.

Globalement, nous pouvons partager les principaux éléments de la réflexion que vous nous avez présentée. En matière d’antiterrorisme, il me paraît effectivement nécessaire de proposer de nouvelles missions de sécurité intérieure pour nos armées, sans changer le cadre légal de leur intervention. Il est essentiel de rappeler que ce sont les attentats du mois de janvier qui obligent à recentrer nos armées, en particulier l’armée de terre, sur leur mission première de protection du territoire national.

Ce cadre d’intervention était prévu dans le Livre blanc, avec 10 000 hommes à terre, ainsi que la protection de nos approches maritimes et la sûreté de l’espace aérien, soit 15 000 hommes au total.

Toutefois, comme vous le préconisez, il faut faire évoluer le premier dispositif mis en place après les attentats, mais – vous l’affirmez – sans modifier la Constitution ni la loi. Conformément à nos principes et à la tradition républicaine, l’emploi des armées doit bien entendu rester soumis à l’autorité civile, sous la forme de la réquisition.

De même, il est exclu naturellement de conférer aux militaires des pouvoirs de police judiciaire pour procéder à des fouilles ou à des contrôles d’identité, ou de les mettre en situation de participer à des opérations de maintien de l’ordre.

À cet égard, je suis très réservée sur les discussions en cours concernant les modifications du régime juridique d’utilisation de la force armée, qui relève actuellement exclusivement du régime de la légitime défense des policiers.

Dès lors que le régime aura été modifié pour les policiers, comme le prévoit le texte en discussion à l’Assemblée nationale, qu’en sera-t-il des conditions d’ouverture du feu pour les militaires ? Il pourrait y avoir là un enchaînement préoccupant. Pour notre part, nous nous y opposerons, à l’instar des collègues de notre groupe à l’Assemblée nationale, qui ont défendu un amendement visant à supprimer cette mesure pour les policiers.

À la lumière de l’expérience, il apparaît que le dispositif Sentinelle doit évoluer, car il a vite atteint ses limites. Nous sommes nombreux à nous interroger – ce débat en est le reflet – sur l’efficacité réelle de cette opération, ainsi que sur la pertinence qu’il y aurait à utiliser des unités combattantes, souvent très spécialisées, pour lutter en milieu urbain contre la forme de terrorisme que nous connaissons en France.

Je sais que le dispositif change pour des missions plus dynamiques. Il faut ainsi rétablir la dissuasion et la surprise, avec une armée qui soit en mesure d’appliquer sur le territoire national ce qu’elle sait faire à l’extérieur. Il faut lui confier les missions qu’elle connaît, au regard de son expérience sur les théâtres, comme sécuriser une zone, un quartier, un territoire, avec un objectif à atteindre. Toutefois, on doit la laisser s’organiser. C’est par exemple à elle de choisir le format nécessaire et le mode de déplacement, puis de les faire valider par le préfet. J’approuverai les mesures concrètes qui pourraient être prises dans ce sens.

Par ailleurs, depuis un an, nos armées sont pleinement mobilisées dans la lutte antiterroriste. Elles sont à la limite de l’usure, entre opérations extérieures et mission Sentinelle de protection de la population que les soldats enchaînent à une cadence inédite.

En 2015, plus de 70 000 soldats de l’armée de terre y ont participé, une situation sans précédent depuis la guerre d’Algérie, certains ayant cumulé jusqu’à cinq ou six déploiements. Vous l’avez souligné, monsieur le ministre, ils ont été mobilisés jusqu’à 230 jours hors de leur garnison.

Nous avons 30 000 militaires mobilisés à l’intérieur et à l’extérieur ; certains d’entre eux en sont à huit mois d’absence. Avant les attentats, quelque 5 % du temps des soldats était mobilisé pour Vigipirate, avec Sentinelle ce taux est passé à 40 % ! M. Louis Gautier a tiré la sonnette d’alarme : il s’agit d’un rythme non compatible avec une action dans la durée. Or la durée, monsieur le ministre, c’est le grand mystère de notre débat.

En outre, cette situation pèse sur l’entraînement et la préparation opérationnelle, qui sont « l’assurance vie » de nos soldats en opérations extérieures. Et je n’insisterai pas sur les faiblesses logistiques et matérielles, notamment sur les conditions d’hébergement souvent très difficiles, surtout dans la durée. Je sais que vous y êtes sensible, monsieur le ministre, et que les choses devraient s’améliorer.

Enfin, je dirai un dernier mot concernant la rénovation de la politique des réserves militaires. Nous approuvons les efforts tant en matière budgétaire - ceux-ci doivent maintenant se concrétiser -, qu’en matière d’augmentation des effectifs pour atteindre une capacité permanente de déploiement de 1 000 réservistes par jour, afin d’assurer les missions de protection sur le territoire national.

Avec des mesures visant également à augmenter le nombre de jours d’activités des réservistes salariés, à réduire le préavis d’information de leurs employeurs et à simplifier les démarches de gestion administrative, nous avons là un ensemble qui, je l’espère, renforcera enfin les liens entre nos concitoyens et leurs armées.

Telles sont, monsieur le ministre, les quelques appréciations que ce rapport m’a inspirées et dont je voulais vous faire part au nom du groupe communiste républicain et citoyen.

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