Affaires étrangères et défense

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Nous devons agir pour une stabilisation du Moyen et Proche-Orient

Génocide et autres crimes contre les minorités religieuses et ethniques en Syrie et en Irak -

Par / 6 décembre 2016

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, alors que les conflits irakien et syrien se sont une nouvelle fois enlisés à Mossoul et Alep, avec pour seules victimes finalement les civils des deux pays, on ne peut qu’avoir une pensée émue et déterminée pour ces derniers.

Notre pensée doit être émue face à l’horreur vécue par les populations civiles, avec un nombre si important de victimes que le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme ne se jugeait déjà plus en position de calculer le nombre de morts civils.

Toutefois, elle doit être aussi déterminée, car les défis à relever sont nombreux. Les élus de mon groupe restent sur leur position : l’enjeu est aujourd’hui à la fois de permettre une stabilisation du Moyen et Proche-Orient en créant les conditions de transition démocratique et d’émancipation des peuples, et, dans l’urgence, d’assurer un accueil digne et solidaire des populations déplacées de force vers nos frontières. Ce n’est qu’en menant ces deux batailles de façon concomitante que nous arriverons à faire de la paix une réalité.

Cela implique une nouvelle façon de mener notre politique étrangère, car n’oublions jamais que Daech s’est constitué sur les cendres du pouvoir baasiste irakien avec l’aide d’Al-Qaïda, que l’Occident avait déjà mis en selle dans le cadre de la guerre froide, et à cause de l’enlisement de la révolution syrienne.

La stratégie de cette organisation obéit à une logique simple au fond : celle de l’épuration et du nettoyage ethnique en vue de s’imposer comme un État « pur » et ne souffrant « d’aucune hérésie ». Ce califat des Abbassides, devant s’étendre de l’Afrique du Nord jusqu’à l’Asie centrale, devrait donc être purgé des « apostats » chrétiens et yézidis, mais aussi kurdes et chiites. À ces groupes constitués, il faut encore ajouter les populations civiles, notamment sunnites, qui refuseraient d’adhérer aux préceptes édictés par le califat.

C’est là notre première réserve concernant la proposition de résolution. Pourquoi créer un distinguo regrettable entre, d’un côté, les populations chrétiennes et yézidies et, de l’autre, « les autres minorités et les populations civiles » ?

Si, juridiquement, l’évocation des autres groupes constitués qui sont massacrés pour ce qu’ils sont n’aurait pas apporté de sécurité supplémentaire, le message politique est maladroit. Il l’est d’autant plus que plusieurs édiles ont déjà entretenu l’idée que les réfugiés chrétiens et yézidis importaient au final davantage que les autres. Cela fut notamment le cas à Compiègne, Charvieu-Chavagneux, Roanne ou encore Belfort.

Comment expliquer et justifier alors ce distinguo ? Ce n’est pas par le nombre de personnes concernées, puisqu’on estime à 3,1 millions les yézidis convertis ou non au christianisme et les chrétiens, contre 9 millions de Kurdes et 20 millions de chiites sur les territoires syriens et irakiens. Ce n’est pas non plus par l’impossibilité de faire autrement : en atteste la définition donnée de la discrimination par l’article 225-1 de notre code pénal, bien plus englobante, et par l’énoncé du Statut de Rome.

Par ailleurs, si l’on peut comprendre que l’Occident prenne ses distances avec le conflit historique et doctrinal entre chiites et sunnites, il n’empêche que c’est sur cette rivalité que les États arabes, mais aussi européens, s’appuient dans le cadre de leur politique internationale.

Nous voulons signaler à nos collègues signataires de la proposition de résolution une autre réserve, qui est liée à la possibilité de considérer comme crime de guerre des exactions commises dans le cadre d’un conflit entre une organisation armée et une coalition d’armées étatiques. Les conventions de Genève de 1949 établissent qu’un crime de guerre ne peut concerner qu’un conflit armé international, c’est-à-dire entre deux États, ou un conflit armé non international, entre un État légitime et une organisation armée locale.

Dans ce cadre, ne risquons-nous pas d’en arriver à légitimer Daech comme un État à part entière ? L’exposé des motifs parle d’un « proto-état de type totalitaire », ce qui ressemble effectivement à la situation de Daech. Pourtant, ce dernier a l’ambition et est en mesure de se reconnaître comme un État de droit : contrôle d’un territoire donné, population correspondante et instauration de structures administratives et bureaucratiques. Ne risque-t-on pas de légitimer cette organisation en lui donnant un statut largement considéré comme source de légitimité ?

Je souhaiterais enfin soulever le problème de l’opportunité d’une telle initiative. À la création de ce groupe de liaison, rien ne laissait présager une telle aspiration à légiférer. En témoignent l’extrême diversité et la taille importante de ce groupe de liaison. Par ailleurs, si l’on peut considérer que le législateur a pour mission de reconnaître un génocide – nous avions d’ailleurs voté la proposition de loi conjointe à tous les groupes parlementaires reconnaissant le génocide arménien –, la qualification d’un crime ne devrait-elle pas revenir à la justice, en vertu de la séparation des pouvoirs ?

La nuance est importante ici, dans la mesure où il est certain que les exactions commises par les membres de Daech en Syrie et en Irak réunissent toutes les conditions pour être qualifiées par la Cour pénale internationale de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de génocide.

Mon groupe s’abstiendra sur cette proposition de résolution. Cette abstention s’explique par les réserves que je viens d’évoquer, notamment en ce qui concerne la distinction opérée entre chrétiens d’Orient et yézidis, d’une part, et les autres communautés victimes, d’autre part, au premier rang desquelles les Kurdes et les chiites.

Cela ne nous empêche pas de réitérer notre message de solidarité envers les populations irakiennes et syriennes, et notre volonté que les coupables soient traduits devant la justice pour répondre de leurs actes qui relèvent d’une horreur inimaginable.

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