Affaires sociales

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Comment ne pas s’interroger quand le Wall street journal écrit que cet accord est une victoire du patronat ?

Sécurisation de l’emploi : question préalable -

Par / 17 avril 2013

Monsieur le ministre, je regrette que la lecture d’un fameux journal du soir, comme l’on dit, vous ait plus intéressé que la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité présentée par mon ami Dominique Watrin. Je crois vraiment que vous avez tort, car, lorsque nous déposons une telle motion, ce n’est certainement pas pour nous faire plaisir ou pour faire perdre du temps à notre assemblée, c’est pour démontrer, comme son nom l’indique, d’ailleurs, l’inconstitutionnalité d’un texte ou d’une mesure contenue dans un projet de loi.

Nous l’avions fait récemment pour la fameuse proposition de loi Brottes sur l’énergie à propos du bonus-malus, dispositif qui vient justement d’être retoqué par le Conseil constitutionnel.

Cela étant dit, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’en viens au texte qui nous est soumis.

Avant moi, mes collègues Pierre Laurent, Dominique Watrin, mais aussi Laurence Cohen, ont rappelé la profondeur du gouffre qui sépare aujourd’hui nos concitoyens des politiques et de la politique.

Votre texte, dit de « sécurisation de l’emploi », constitue une des régressions sociales les plus importantes des trente dernières années, avec, en ligne de mire, la construction d’une civilisation de compromis social dominée par les exigences du MEDEF.

Pas de quoi, donc, combler ce gouffre, mais, bien au contraire, de quoi l’élargir encore, car, très vite, à l’épreuve des faits, le peuple de France, le monde du travail s’apercevront que votre texte constitue une rupture avec les acquis sociaux historiques du mouvement social français.

Pour notre part, nous ne pouvons l’accepter, car, pour le moins, il n’illustre pas une politique de gauche. Je dirais même plus : le Gouvernement rompt ici avec des valeurs et des combats de gauche.

D’ailleurs, même si ce n’est pas une de mes lectures quotidiennes, comment ne pas s’interroger quand le Wall Street journal écrit qu’avec cet accord « le patronat a remporté une victoire historique », comme l’a rappelé Dominique Watrin ?

Alors, n’ayons pas peur des mots : ce projet de loi, copie conforme de l’ANI, est clairement l’expression d’un choix de civilisation qui ouvre un renversement de la hiérarchie des normes en plaçant l’accord d’entreprise devant la loi et en faisant glisser le motif d’intérêt général au cœur du droit social des salariés vers l’entreprise.

Eh bien, pour notre part, monsieur le ministre, nous n’en voulons pas ! Nous rejetons cette surenchère incarnée par votre texte qui, sur certains points, va même au-delà des désirs des plus fous de Nicolas Sarkozy, alors Président de la République. Je pense particulièrement aux accords de compétitivité emploi.

Pour mémoire, je rappelle que nous étions pourtant ici nombreux, je dirais même que nous étions majoritairement opposés à la politique de ce président de la République et de son gouvernement,… (M. René-Paul Savary s’exclame.)

Mme Catherine Procaccia. Vous allez le regretter…

Mme Éliane Assassi. … à tel point que nous l’avons tous ensemble battu au printemps dernier, époque qui, vous en conviendrez, n’est pas si éloignée que cela.

Mme Catherine Procaccia. Regardez les sondages !

Mme Éliane Assassi. Monsieur le ministre, je vous le dis sans ambages : vous vous trompez, et c’est ce que nous allons vous démontrer tout au long du débat sénatorial, comme l’ont fait nos collègues du groupe GDR à l’Assemblée nationale. (M. Jean Desessard s’exclame.)

Ce qu’il faut pour notre pays, c’est non pas un texte de soumission au MEDEF, ce que vous appelez un accord, mais un texte centré sur les voies et les moyens d’une véritable sécurisation de l’emploi et de la formation. Voilà ce que nous allons donc démontrer dans nos interventions et à travers nos amendements.

Certes, il y a une concurrence mondiale, dont on parle beaucoup, mais celle-ci n’impose pas pour autant de rassembler salariés et syndicats derrière les entreprises et de se couler dans le moule d’un modèle de compromis social européen, au service des politiques d’austérité.

D’autres choix sont possibles, monsieur le ministre, et il va falloir que vous les entendiez !

Dans notre pays, les leviers pour préserver et développer l’emploi sont nombreux : assurer la reprise des entreprises viables, réformer l’impôt sur les sociétés, encadrer la rupture conventionnelle, etc. Nous avons fait des propositions, comme l’interdiction des licenciements boursiers, mais elles n’ont pas été prises en compte, encore moins au moment de la négociation du fameux accord.

Votre texte, monsieur le ministre, accroît encore la précarisation. Il est à ce titre bien mal nommé : c’est un projet de loi à contre-emploi ! Que l’on ne vienne pas nous dire que nous ne comprenons rien et qu’il faut faire preuve de pédagogie pour expliquer les bienfaits de ce projet de loi aux salariés. L’exigence exprimée par le patronat de ne rien changer à l’accord et les signes marqués de sa satisfaction, une droite parlementaire qui s’apprête à le voter pourvu que les amendements éventuels n’en modifient pas la substance sont autant d’indices qui suffisent à éclaircir son contenu.

Ce projet de loi revient à inscrire l’emploi dans les mouvements aléatoires des marchés financiers et c’est aux salariés qu’on laisse payer l’addition ! Il est donc nocif, et ce à bien des égards.

En ce qui concerne la mobilité, l’employeur peut imposer aux salariés, sous réserve d’un accord d’entreprise, des changements de poste ou de lieu géographique sans limitation kilométrique. En cas de refus du salarié, celui-ci est licencié pour motif personnel, sans aucune obligation pour l’employeur de motiver le licenciement ou de proposer des mesures de reclassement.

Une telle disposition est grave : en plus de la mobilité forcée, elle permettra aux employeurs de proposer des mobilités inacceptables, de façon à pouvoir licencier en masse pour motif personnel. Cette disposition, je le rappelle, est en contradiction avec la législation internationale et européenne en ce qu’elle est contraire à l’objet de la négociation collective qui doit porter sur l’amélioration des conditions de travail. Elle est contraire aux obligations de l’employeur en matière de licenciement économique, telles que les définit la directive 98/59/CE. Elle est contraire au droit concernant la justification du licenciement, tel qu’il résulte de la convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail. Enfin, elle est contraire au droit de mener une vie normale.

Comme le soulignent à juste titre des médecins du travail, dont Alain Carré, les effets de ce projet de loi seront extrêmement négatifs en matière de santé au travail. Si un niveau de revenu très bas ne va pas dans le sens d’un bon état de santé physique, mental et social, la mise en œuvre des dispositions de ce texte aura bien d’autres conséquences néfastes sur la santé des salariés. La mobilité interne « forcée », puisque c’est ainsi qu’il faut véritablement la nommer, détruira les valeurs collectives qui président à la construction de la santé au travail.

En effet, et comme le confirment de nombreux spécialistes en la matière, « c’est la prise de pouvoir du management libéral sur la qualité comme qualité pour le marché dans le temps du marché, son imperméabilité voulue à la réalité du travail pour promouvoir la culture unique de son résultat qui sont les vecteurs de la souffrance au travail ». Or ce projet de loi ne pousse que dans ce sens !

Il en va ainsi s’agissant du maintien de l’emploi : le projet de loi réintroduit une demande exprimée par le gouvernement Fillon, avec son accord « compétitivité-emploi », à savoir l’échange d’une baisse de salaire contre l’hypothétique maintien de l’emploi.

Il en va également ainsi s’agissant du licenciement et de l’évitement de l’accord du juge. Ce texte, en facilitant les licenciements et en réduisant considérablement le contrôle du juge sur l’exécution et la rupture du contrat de travail, constitue une grave régression pour les droits des salariés et une nouvelle source de précarité. Malheureusement, la liste de ses effets néfastes est encore longue !

Nous ne pouvons pas accepter de voir le patronat s’attaquer aux garanties associées au contrat à durée indéterminée. La compétitivité ne peut pas être le cadre de la réforme du droit du travail, il faut affronter la logique financière et l’exigence de rentabilité exorbitante. Ce n’est sûrement pas au moment où la circulation des capitaux est totalement libre, au moment où les actionnaires ont la possibilité de reporter les risques sur les autres parties prenantes au sein de l’entreprise, qu’il faut réduire, qu’il faut rendre flexibles les droits des travailleurs !

Ce projet de loi est un nouveau rêve, mais un rêve du patronat exaucé, un rêve qui se joue sur tous les plans, le salaire, le travail et la mobilité. Mes chers collègues, quel reniement des engagements pris pendant la campagne pour l’élection présidentielle ! Quelle grave déception pour tous ceux qui ont fait confiance à cette gauche,…

Mme Catherine Procaccia. C’est sûr !

Mme Éliane Assassi. … qui, aujourd’hui, s’apprête à bafouer les droits des salariés, au motif qu’aurait été signé un accord prétendument historique ! Encore faudrait-il s’entendre sur le sens du mot « accord » et sur celui du mot « historique » ! Quelle occasion manquée après dix-sept ans de déferlante libérale et de « casse » sociale !

La majorité de gauche élue était attendue sur des mesures concrètes et efficaces pour mettre un terme à la toute-puissance patronale, incarnée par le MEDEF, qui fait chaque jour la preuve de son incompétence, voire de sa suffisance. Avec ce texte, vous lui offrez une main-d’œuvre flexible, soumise et peu chère, mais vous lui permettez aussi d’ouvrir de nouveaux marchés aux assureurs privés. Ainsi, la flexibilité, c’est maintenant ! Mais la sécurisation de l’emploi, c’est pour quand ? Quelles avancées pour les salariés ? Ce projet de loi multiplie les fausses avancées.

Pour ne citer que quelques exemples, le CDI dont on parle pour les intérimaires ne touchera que les plus qualifiés d’entre eux, qui représentent seulement 15 % de cette catégorie de salariés. En réalité, il ne s’agit que de la concrétisation d’une revendication du patronat de ce secteur, destinée à rendre les intérimaires qualifiés plus captifs. En effet, une fois le CDI signé, l’intérimaire ne sera plus en mesure de travailler pour une autre agence.

Concernant la taxation des CDD, si le projet de loi prévoit la mise en place d’une légère augmentation des cotisations patronales pour certains contrats, celle-ci n’est en aucun cas dissuasive. Il s’agit là d’un faux recul du patronat, puisque, pour un CDD de moins d’un an, cette mesure ne coûtera que 42 euros de plus à un employeur.

Mme Catherine Procaccia. Ce n’est pas normal ! Ce n’est pas assez !

Mme Éliane Assassi. En clair, ce projet de loi est synonyme de garantie de souffrances au travail. Peut-être parviendrons-nous à égaler l’Allemagne et à atteindre ainsi le pourcentage de 20 % de travailleurs pauvres ?

Nous ne pouvons pas cautionner le recul historique du droit que représente ce projet de loi.

Par ailleurs, comment ne pas être choqué que le Parlement doive, en l’occurrence, se cantonner à un rôle de pure chambre d’enregistrement ? Que dire aussi des propos du Président de la République qui voudrait soumettre les éventuels amendements à l’accord des signataires ?

Je le répète, puisque la Constitution de notre République semble avoir été oubliée par certains, le Parlement tire sa légitimité du suffrage universel et non d’un quelconque accord national et interprofessionnel.

Le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de le rappeler le 28 décembre 2011 : « il incombe au législateur d’exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34 ». Or l’article 34 confie au seul Parlement la compétence de déterminer « les principes fondamentaux […] du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale ». Un tel accord ne peut en conséquence nous être imposé !

Comment le Président de la République ose-t-il s’empresser, par voie de communiqué, de demander au Gouvernement de préparer, et ce sans délais, un projet de loi afin de retranscrire fidèlement les dispositions législatives contenues dans l’accord ? Que penser de l’insistance avec laquelle le Gouvernement nous « invite » à nous tenir au texte de l’accord ? C’est bien là un vice qui affecte l’élaboration de ce texte et il est assimilable à de l’antiparlementarisme !

Je tiens pourtant à souligner que, dans une décision du 9 décembre 2004, le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de rappeler « qu’il est loisible au législateur, après avoir défini les droits et les obligations touchant aux conditions et aux relations de travail, de laisser aux employeurs et aux salariés, ou à leurs organisations représentatives, le soin de préciser, notamment par la voie de la négociation collective, les modalités concrètes d’application des normes qu’il édicte en matière de droit du travail ». Aujourd’hui, on voudrait nous imposer la procédure inverse !

Nous ne pouvons accepter, monsieur le ministre, de voir notre prérogative législative bafouée, notre Constitution de facto méprisée et, plus encore, nous ne pouvons accepter de voir transposer dans la loi des mesures qui ne permettent en rien de répondre aux défis de l’emploi et au besoin de sécurisation effective des trajectoires professionnelles des salariés. Pour toutes ces raisons, nous demandons au Sénat d’adopter cette motion.

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