Affaires sociales

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Une banalisation qui ne dit pas son nom

Travail du dimanche -

Par / 21 juillet 2009

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la procédure utilisée par le Gouvernement pour ce texte sera abordée tout à l’heure par ma collègue Annie David ; aussi, je ne m’y attarderai pas, sinon pour insister sur son caractère inapproprié et, en l’occurrence, uniquement destiné à masquer aux Français, singulièrement aux salariés, les véritables intentions du législateur : la banalisation du travail le dimanche.

Je le sais - qui ne le saurait d’ailleurs pas après une telle campagne de promotion ? -, le seul et unique objectif du Gouvernement, en faisant passer ce texte en plein été, avec la procédure accélérée, est de réaffirmer « le principe du repos dominical ». C’est d’ailleurs le titre même de la proposition de loi déposée par M. Richard Mallié. Il s’agit de la seconde version de ce texte, la première ayant paru tellement radicale, en termes de réponses tant économiques que sociales aux légitimes inquiétudes des Français, que, même au sein de l’UMP, il s’est trouvé des parlementaires, et non des moindres, pour bouder le texte, voire l’hémicycle lui-même.

Si nous nous sommes réjouis que cette première mouture soit « retoquée », nous n’avions guère d’illusions sur l’acharnement du Gouvernement à vouloir de toute urgence réaffirmer le principe du repos dominical, pour mieux le contourner. En effet, il s’agit là d’un véritable enjeu de société, de classes, d’un enjeu pour le modèle social de notre pays et le droit du travail, dont M Sarkozy vante les effets modérateurs sur les conséquences de la crise, mais qu’on nous demande de démanteler au nom d’un libéralisme débridé, de la liberté du renard introduit dans le poulailler.

M. Roland Courteau. C’est vrai !

Mme Isabelle Pasquet. Or la crise dans laquelle nous a entraînés l’incroyable cécité dont vous avez fait preuve et que vous continuez à manifester au regard de la financiarisation de l’économie se traduit désormais par des dizaines de milliers de chômeurs supplémentaires tous les mois, et des centaines de milliers sont attendus à la fin de l’année.

Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat et Annie David. Eh oui !

Mme Isabelle Pasquet. La consommation des ménages a fortement chuté par la conjonction d’une bulle spéculative de l’immobilier et de la baisse de la part des salaires dans la valeur ajoutée.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Avec des dizaines d’emplois supprimés ! C’est honteux !

Mme Isabelle Pasquet. Les perspectives offertes à notre jeunesse à l’issue du baccalauréat ou même des filières universitaires se tarissent au point que les « stages rémunérés » promus par M. Frédéric Lefebvre deviennent la norme, contrairement à ce qu’il affirmait dans l’exposé des motifs de sa proposition de loi visant à mieux rémunérer les stages et à valoriser ceux-ci dans la formation des jeunes : « Il convient de veiller à ce que les stages ne soient utilisés que pour les besoins de la formation des jeunes et combattre les abus induisant une utilisation des stagiaires comme des faux salariés payés en dessous du SMIC. C’est pourquoi il faut donc réserver les stages uniquement aux cursus pédagogiques et les interdire en dehors. En effet, dans les autres situations, il pourra être recouru à la formation professionnelle ou à un contrat de travail. »

Aujourd’hui, il serait donc urgent de favoriser le travail du dimanche pour rendre du charme à nos villes, notamment Paris, de l’attractivité à nos zones commerciales, du droit dans les zones de non-droit, telles que Plan-de-Campagne, de la compétitivité à nos entreprises et de l’appétit aux consommateurs, à défaut de pouvoir d’achat.

J’aborderai le volet concernant le tourisme.

La France, première destination touristique au monde, serait-elle acculée à user des mêmes expédients que Bahreïn ou Abu Dhabi, que Cancun ou Las Vegas pour attirer le chaland ?

Notre patrimoine architectural, culturel, historique et géographique, de même que notre patrimoine industriel, œnologique et gastronomique sont pourtant en tête des raisons invoquées par les touristes séjournant dans notre pays. Leur séjour ne se cantonnant pas à une journée - que je sache, ils ne viennent pas que le dimanche -, ils peuvent donc en profiter pour fréquenter également les artères commerçantes.

Annie David. En effet !

Mme Isabelle Pasquet. En outre, pour le tourisme de transit - je pense aux croisières, aux correspondances aériennes ou ferroviaires -, il existe déjà des dispositifs spécifiques autorisant l’ouverture dominicale.

Permettez-moi d’ailleurs de m’interroger sur un argument invoqué par le Président de la République, censé démontrer l’anachronisme de la fermeture dominicale des commerces dans un pays moderne. M. Sarkozy a dû lui-même prendre son téléphone pour faire ouvrir les magasins afin de permettre au couple présidentiel américain de faire quelques emplettes pendant sa visite officielle à Paris. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

On peut - M. Sarkozy en particulier gagnerait à le faire - s’interroger sur la pertinence de notre arsenal législatif, sur son adaptation à nos pratiques contemporaines dans de nombreux domaines. Mais il est inconcevable que le chef de l’État, en charge plus que tout autre du respect de nos institutions, s’estime autorisé à exiger de personnes privées qu’elles enfreignent la loi, fût-ce pour faire plaisir à un ami.

La question des frontières à ne pas dépasser semble, en l’occurrence, échapper à l’entendement commun.

Il faut relever, par ailleurs, que cette dérogation par la grâce présidentielle au jour de fermeture habituel des commerces résulte d’abord d’impératifs de sécurité. Imaginons un instant le couple Obama faire ses courses pendant les soldes, au milieu d’une foule empressée : c’est impensable ! (Sourires sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.) Eût-il fallu faire fermer les magasins le temps nécessaire ? L’argument est donc irrecevable !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Bien sûr !

Mme Isabelle Pasquet. Pour conserver l’illusion que le repos du dimanche reste la règle et que le travail ce jour serait dérogatoire et donc exceptionnel, on nous annonce que les zones touchées par le dispositif seraient au nombre de cinq cents environ, plus précisément quatre cent quatre-vingt-dix-sept, et qu’une généralisation à la quasi-totalité de notre territoire ne serait qu’une interprétation abusive de quelques farfelus, voire carrément une invention au caractère bassement politicien. (Mme Annie David rit.)

Mais qu’en est-il vraiment ? Les zones désignées comme touristiques, qui bénéficieront donc de la possibilité d’ouvrir le dimanche, capteront de la clientèle, mécaniquement, dirons-nous, et les communes voisines, sous la pression des acteurs économiques, souhaiteront entrer dans le dispositif.

Encore une fois, au nom de la concurrence, on verra s’étendre les zones touristiques et, encore une fois, ce sont les salariés qui en feront les frais. Comment pourrait-il en être autrement dans un pays comme le nôtre, qui cumule un tel patrimoine dans chacun de ses départements ?

J’en viens aux périmètres d’usage de consommation exceptionnel, les PUCE.

S’agissant du principe d’égalité de droits et de devoirs devant la loi, force est de constater que nous construisons des usines à gaz qui s’en éloignent de plus en plus, sans autre raison que l’intérêt bien compris de quelques privilégiés.

Ainsi, l’agglomération de Lyon, qui compte plus de deux millions d’habitants est concernée a priori à double titre, pour le tourisme et, plus prosaïquement, pour les périmètres d’usage de consommation exceptionnel ; pourtant, elle se trouve exclue du dispositif, puisqu’il n’y existe apparemment pas d’usage de consommation le samedi et le dimanche.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Bizarre !

Mme Isabelle Pasquet. Nous ne fustigerons pas des élus qui ont choisi de ne pas être demandeurs pour leurs communes de travailler le dimanche. En revanche, il se trouve, parmi ces élus, des partisans de cette proposition de loi, à condition qu’elle s’applique aux autres, c’est-à-dire en dehors de leur circonscription électorale.

Voilà qui démontre bien, s’il en était besoin, que l’égalité des citoyens, l’égalité des salariés d’une même branche professionnelle, d’une même enseigne, ne sont pas respectées.

Je ne peux pas parler des PUCE sans évoquer « l’affaire » de Plan-de-Campagne, zone située dans mon département, puisque c’est de là qu’est partie toute l’histoire, si l’on peut dire.

M. Jean Desessard. Absolument !

Mme Isabelle Pasquet. Sans revenir sur la genèse de ce qui est aujourd’hui l’une des plus grandes zones commerciales d’Europe, ni sur quarante-trois ans de dérogations, d’ouvertures illégales,...

M. Jean Desessard. Et qui le sont toujours !

Mme Isabelle Pasquet. ... de conflits, de procédures judiciaires, et j’en passe, je ferai simplement un petit rappel.

Le 24 janvier 2007, les partenaires sociaux se sont réunis, sous l’égide du préfet de région, pour trouver un accord de méthode, qualifié à l’époque de particulièrement positif, permettant un retour progressif au droit commun, à la légalité. Cet accord faisait suite à un conflit résultant d’un jugement rendu par le tribunal administratif de Marseille dénonçant l’arrêté préfectoral pour l’ouverture dominicale de certaines enseignes.

Cet accord envisageait la nécessaire modernisation de la zone afin de permettre la diversification de ses activités, sa sécurisation et son accessibilité. Il prévoyait également des contreparties à négocier avec les différents interlocuteurs concernés, c’est-à-dire l’État, la région, le conseil général et les propriétaires, de manière que les entreprises ne soient pas pénalisées et que les emplois puissent être maintenus. Ces contreparties portaient notamment sur la révision des loyers, l’allégement de la taxe professionnelle et de la taxe foncière.

Seule la communauté du Pays d’Aix a émis un avis favorable.

M. Jean Desessard. Oui !

Mme Isabelle Pasquet. « Les partenaires sociaux ayant constaté le défaut d’engagement de l’État et des collectivités locales sur un programme précis pouvant garantir la pérennité de la zone de Plan-de-Campagne sur le plan social et le plan économique ont donc mis fin à l’accord de méthode du 24 janvier 2007 conformément à ses dispositions », est-il écrit dans l’accord.

Ils sont convenus d’un nouvel accord, le 19 juillet 2007, tendant à un retour au droit commun sur la zone de Plan-de-Campagne dans un délai expirant le 30 juin 2008. Malheureusement, rien n’a été fait depuis.

La seule réponse apportée à ce jour aux partenaires sociaux est la proposition de loi de M. Mallié, qui, soit dit en passant, lui a coûté son canton, ce qui me fait dire que le travail du dimanche ne fait peut-être pas consensus au sein de la majorité !

M. Dominique Braye. Vous n’avez pas le droit de dire cela !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il a perdu son canton au profit d’un communiste, alors taisez-vous !

Mme Isabelle Pasquet. Cette proposition de loi vise à légaliser l’ouverture des magasins le dimanche mais, surtout, elle met fin à tout espoir de trouver un consensus entre les salariés et les chefs d’entreprise, les usagers et les habitants de la zone, sans oublier les collectivités territoriales concernées.

Petite précision : il ne reste plus que sept cents salariés à régulariser sur sept mille, dont cent étudiants, à la suite de l’adoption de l’amendement de Mme Debré visant à autoriser l’ouverture le dimanche des établissements de commerce de détail d’ameublement, dans le cadre du projet de loi pour le développement de la concurrence au service des consommateurs.

On le voit bien, le problème que veut régler la majorité est ailleurs.

M. Mallié a mené une campagne acharnée contre les organisations syndicales qui veulent faire respecter la loi

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Qui a gagné ?

Mme Isabelle Pasquet. Aujourd’hui, il nous demande en réalité de légiférer pour légaliser une zone de non-droit (M. Jean Desessard applaudit.), où l’État a complètement démissionné.

En matière de permis de construire, par exemple, de grandes enseignes se sont installées sans déposer de demande ; d’autres ont déclaré la construction de bâtiments à usage d’entrepôts qui se sont transformés en surfaces de vente sans autorisation. (M. Jean Desessard applaudit.)

Pour ce qui est de la sécurité, aucun plan d’évacuation ni même de secours ne peut être mis en œuvre un jour de grande affluence. Selon un rapport de la direction départementale de l’équipement, il faut une heure trente pour traverser la zone et il est impossible d’y faire atterrir un hélicoptère.

Mme Annie David. Et voilà ! C’est important !

Mme Isabelle Pasquet. Telle est la réalité de Plan-de-Campagne, et la proposition de loi de M. Mallié n’apporte aucune solution. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Isabelle Pasquet. J’ajoute que, en ces temps où la majorité semble découvrir que le développement, pour être véritablement durable, a besoin de toute autre chose que de slogans - et je vous renvoie aux débats sur le Grenelle de l’environnement -, encourager le développement de ce type de zones - même les États-Unis en reviennent ! -, c’est aller à l’encontre des besoins et des réponses que nous devrions apporter collectivement aux menaces qui pèsent sur notre planète.

En effet, ne l’oublions pas, le développement de l’activité commerciale le dimanche s’accompagne de toute une logistique, de nombreuses heures perdues dans les embouteillages, des hectares de parkings, des tonnes d’emballages, des travailleurs sous-payés. Que de gaspillages, de contresens, qui menacent l’avenir de l’humanité ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.) Et, maintenant, ils auraient lieu également le dimanche, pour régulariser une situation de fait !

Et au nom de quoi ? Pour « répondre aux nouvelles habitudes de consommation », alors que des études ont montré qu’elles changent très vite, pour éviter que la précarité, qui est le lot de la majorité des salariés du commerce, ne rime définitivement avec « travailleurs pauvres », et, surtout, pour en finir avec cette vieille conquête sociale et collective du repos hebdomadaire, que le patronat n’avait pas réussi à contourner jusqu’à présent.

Après la Commission européenne qui s’accorde sur la semaine de travail de quarante-huit heures, après le Gouvernement qui estime raisonnable de retarder l’âge de départ à la retraite jusqu’à soixante-sept ans, nous devrions aussi nous accorder sur la mise à mort du repos hebdomadaire.

Pour les sénateurs de notre groupe, comme cela a été le cas pour nos collègues à l’Assemblée nationale, c’est « non » et nous continuerons à ferrailler contre ce texte, jusqu’au Conseil constitutionnel s’il le faut !

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