Affaires sociales

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Les soignants sont vent debout contre cette proposition de loi

Amélioration du système de santé par la confiance et la simplification : question préalable -

17 février 2021

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre groupe a fait le choix de déposer cette motion tendant à opposer la question préalable, car nous sommes opposés aux orientations de cette proposition de loi. D’ailleurs, soignants comme non-soignants sont vent debout contre la plupart des mesures qu’elle contient.

Monsieur le ministre, vous avez utilisé la proposition de loi de la députée Stéphanie Rist pour compléter certaines mesures du Ségur de la santé, voire en ajouter d’autres. L’adoption de ce texte serait lourde de conséquences pour notre système de santé – des conséquences bien éloignées de la volonté de simplification affichée...

Ainsi, il s’agit notamment de renforcer l’échelon des groupements hospitaliers de territoire, qui devient davantage encore la référence, alors même que le rapport de la Cour des comptes d’octobre dernier est plutôt mitigé.

De même, cette proposition de loi offre une place prépondérante aux gestionnaires et technocrates, ceux-là mêmes qui ont conduit l’hôpital public à l’asphyxie.

Parallèlement, ou paradoxalement, le texte autorise le bénévolat à l’hôpital, ce que mon collègue député Pierre Dharréville a comparé, à juste titre, à une forme d’ubérisation des activités associatives.

Notre groupe a déposé cette motion car nous nous opposons au texte non seulement sur le fond, les mesures étant en deçà des attentes et des besoins, mais aussi sur la forme. De fait, le Gouvernement a travesti cette proposition de loi en véritable projet de loi, engageant en outre la procédure accélérée. Cette méthode présente l’avantage pour lui de l’exonérer d’une étude d’impact et d’un avis du Conseil d’État, ce qui laisse de fortes incertitudes sur les conséquences de ce texte que nous refusons.

Le plus grave est le décalage entre ce texte et le vécu des professionnels de santé et du médico-social. Comment oublier que ce texte, présenté comme le prolongement du Ségur de la santé, fait suite à la première vague de covid-19 et, surtout, à des mois de mobilisation de collectifs et de syndicats des personnels ?

Contradiction supplémentaire : malgré la volonté affichée d’enrichir le Ségur, ce texte contient seulement cinq des trente-huit propositions qui y figurent.

Alors qu’il faudrait s’attaquer aux racines du malaise des personnels soignants – manque de moyens, pilotage comptable, gestion calquée sur le privé –, ce texte prolonge une vision libérale de l’hôpital public en assumant l’introduction des règles du management privé dans le secteur public. Dans la lignée du new public management, il vise à renforcer la vision gestionnaire et managériale de l’hôpital.

Cette conception détourne le système public de sa fonction première : le soin. Il s’agit de rapprocher le fonctionnement de l’hôpital public de celui des cliniques privées, au mépris de l’histoire du service public hospitalier, des valeurs incarnées par ses agents et des services rendus aux populations dans le respect de l’égalité de toutes et tous, quels que soient l’origine sociale et le territoire.

Derrière l’argument des contraintes organisationnelles se dissimulent l’autonomie de gestion et l’autonomie de moyens des établissements de santé. L’autonomie n’est donc qu’un paravent pour justifier, plus tard, une baisse supplémentaire des dépenses de l’État ou de la sécurité sociale.

De plus, en renforçant l’autonomie des hôpitaux, vous forcez la main aux réorganisations des services et des métiers administratifs et techniques.

Il faut au contraire renforcer l’égalité d’accès aux soins, plutôt que de casser le cadre national du service public de santé en prenant modèle sur l’autonomie des universités, qui a aggravé la mise en concurrence des établissements et encouragé le financement privé.

La crise semble ainsi vous fournir un prétexte pour aller plus loin dans la déréglementation. Vous ne le faites pas au hasard : vous le faites pour pousser le plus loin possible les logiques gestionnaires et technocratiques qui ont contribué à affaiblir l’hôpital public.

Voilà qui va encore alimenter la mise en concurrence des structures et favoriser la gestion pyramidale et centralisée des hôpitaux. Par exemple, le départ d’un directeur d’hôpital pourrait être le prétexte à faire de cet établissement, au bout du compte, une annexe de l’hôpital support du groupement hospitalier territorial.

Alors que les bilans financiers démontrent l’échec des groupements hospitaliers de territoire, vous décidez d’accélérer ce que vous appelez l’intégration par l’installation de méga GHT. Pourtant, les personnels que je rencontre lors de mes nombreux déplacements dans les hôpitaux et les Ehpad publics continuent, comme ils l’ont toujours fait, de remettre en cause ce pilotage à distance par des superstructures.

Redonner de l’attractivité aux professions de la santé et du médicosocial passe par la revalorisation des métiers et l’augmentation salariale, mais aussi par le partage des pouvoirs et donc des décisions.

À cet égard, la réhabilitation des chefs de service est totalement amoindrie par le maintien des pôles. Pourquoi ce maintien, alors que la majorité des professionnels, à l’image du collectif interhôpitaux, demandent leur suppression, critiquant la bureaucratie qu’ils engendrent ?

A contrario, ce que vous appelez la gouvernance doit redonner à chacune et à chacun sa place et s’appuyer sur deux piliers : la fin des politiques d’austérité, avec un objectif national des dépenses d’assurance maladie à la hauteur, a minima, de l’évolution naturelle des dépenses ; et l’instauration d’une véritable démocratie sanitaire, avec une représentation plus importante de l’ensemble des professionnels médicaux, administratifs et techniques, des étudiantes et étudiants internes de médecine, des usagers et des élus locaux, totalement absents des prises de décision.

Or rien de tout cela ne se retrouve dans le texte – à part une mesure à l’article 9.

En outre, il manque dans ce texte des éléments fondamentaux pour un meilleur maillage de proximité, donc une offre de soins égale pour l’ensemble des territoires.

Ainsi, les centres de santé sont totalement oubliés. Pourtant d’après les chiffres du Conseil national de l’ordre des médecins, le nombre de médecins exerçant au moins une partie de leur activité en centre de santé a presque doublé entre 2010 et 2018. De fait, l’attrait du salariat et de l’exercice regroupé séduit de plus en plus les jeunes médecins : malgré les tentatives de certains pour les maintenir dans le sacro-saint exercice libéral, nous assistons à un développement indiscutable de la médecine salariée, notamment chez les généralistes.

Il est donc nécessaire de renforcer l’attractivité des centres de santé, qui assurent l’accès aux soins non programmés que les médecins libéraux ont abandonnés depuis le décret Mattei supprimant les gardes les nuits, les week-ends et les jours fériés.

C’est d’autant plus nécessaire que, selon l’Association des maires de France et les maires ruraux, la désertification médicale s’accélère, en sorte que les habitantes et habitants des zones rurales ont de moins en moins accès aux hôpitaux. Ainsi, en 2019, ce sont 7,4 millions de Françaises et de Français qui habitaient dans un désert médical, soit 11 % de la population ; ils n’étaient que 5,7 millions trois ans plus tôt...

Le manque de médecins est l’une des causes fondamentales de l’accélération de la désertification médicale. Mme Buzyn y avait répondu par la suppression du numerus clausus dans les études de santé. Mais sans moyens supplémentaires accordés aux universités, sans investissements immobiliers et sans revalorisation du tutorat, cela revient à la situation actuelle de stagnation du nombre de médecins formés.

Selon Emmanuel Vigneron, géographe de la santé, plus on est loin, moins on a d’informations et moins il y a de médecins. Pourtant, la crise sanitaire de la covid-19 souligne l’enjeu d’investir dans l’éducation à la santé et dans un maillage territorial d’accès aux soins.

Mes chers collègues, nous vous invitons à voter la question préalable malgré deux éléments positifs – la suppression de l’article 1er, qui créait des professions médicales intermédiaires, article vilipendé de tous, et le maintien de plusieurs articles renforçant les prérogatives des sages-femmes et contribuant ainsi à une meilleure reconnaissance de cette profession médicale –, parce que nous sommes en désaccord avec la conception générale de ce texte. Quel que soit notre appétence pour le débat, nos désaccords de fond avec le texte rendent l’adoption de nos amendements très hypothétique.

Le plus grave, monsieur le ministre, est qu’aucun enseignement n’a été tiré de la pandémie que nous vivons depuis près d’un an et qui ne s’éteint toujours pas : vous continuez à prendre des mesures dans le droit-fil des réformes qui ont conduit notre système de santé là où il en est aujourd’hui – loi HPST de Roselyne Bachelot, loi Santé de Marisol Touraine, loi « Ma Santé 2022 » d’Agnès Buzyn –, avec en supplément la casse du cadre national du service public de santé.

Mes chers collègues, Cathy Apourceau-Poly et moi-même avons entendu des critiques virulentes contre ce texte en commission ; nous avons même entendu monter de la colère, depuis tous les groupes politiques. Nous invitons donc toutes celles et tous ceux d’entre vous qui prétendez défendre le service public de santé et refuser la casse du système hospitalier à voter notre motion. Ne remettez pas encore à plus tard ce que vous pouvez faire maintenant !

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