Finances

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Ce sont les spéculateurs qui vont tirer parti de l’adoption des dispositions dont nous débattons aujourd’hui

Conventions fiscales internationales -

Par / 12 juillet 2011

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, on pourrait croire que l’organisation de nos travaux est ainsi conçue que nous soyons amenés à achever chaque session extraordinaire de juillet par l’examen d’une batterie de conventions fiscales internationales, comme s’il fallait, chaque année, battre un nouveau record dans le nombre des textes adoptés par les deux assemblées avant la fin de leurs travaux !

Pour autant, nous avons pris pour habitude de faire en sorte que cet examen ne passe pas comme une lettre à la poste et qu’il soit l’objet d’une discussion pour le moins contradictoire, qui soit tout, sauf superficielle.

Rappelons les données du problème.

Depuis 2008, la surchauffe des marchés financiers ayant conduit au blocage du système bancaire mondial, le Gouvernement, prenant la suite de l’OCDE et des recommandations du FMI, le Fonds monétaire international, s’est lancé dans une vaste entreprise de négociation de conventions fiscales internationales. Elle visait ce qu’on appelait jusqu’alors les paradis fiscaux « notoires », c’est-à-dire les endroits de la planète où une législation fiscale « version allégée » ou l’absence de législation fiscale et d’administration destinée à la mettre en œuvre étaient autant d’atouts pour les groupes et les hommes d’affaires peu scrupuleux. Peu scrupuleux étaient-ils ou soucieux de « protéger » une partie de leurs actifs ou de dissimuler quelques montages financiers et juridiques souvent considérés comme stratégiques.

Pour bien faire les choses, l’OCDE avait d’ailleurs dressé une liste noire, comportant un certain nombre de territoires dits peu coopératifs, assortie d’une liste grise de territoires et pays semi-coopératifs et d’une longue liste blanche de pays à fiscalité fiable.

Le but de ces recommandations était connu : amener les pays « blacklistés » à engager toute démarche pour sortir de cette situation et les faire rentrer dans le rang.

L’effort n’était pas bien important puisqu’il suffit, pour rejoindre la liste blanche, de passer un certain nombre de conventions fiscales, y compris entre États et territoires non coopératifs.

Nous sommes d’ailleurs saisis aujourd’hui de cet exercice de reconnaissance, au moins pour ce qui concerne Anguilla, le Costa Rica ou encore la Dominique. Car, dans cette affaire, nous sommes tout de même en présence d’un assez étrange échantillon de cas !

En effet, Anguilla est un micro-État, qui compte à peine 15 000 habitants et a pour chef d’État l’honorable Elisabeth II d’Angleterre. Mais 6 500 entreprises y sont immatriculées, qui pratiquent des activités de service constituant les deux tiers du PIB local.

La Dominique est une petite République de 75 000 habitants, située entre la Guadeloupe et la Martinique, et dont l’activité économique apparaît aujourd’hui dépendante du développement d’activités bancaires et financières off shore destinées à ceux de nos établissements de crédit qui veulent bien en user.

Les îles Cook sont un micro-État associé à la Nouvelle-Zélande, dont les ressortissants jouissent de la double nationalité – ce sont souvent des Maoris – et qui, faute de ressources naturelles, se sont lancés dans la prestation de services financiers.

Quant au Belize, l’ex-Honduras britannique, c’est un accident de l’histoire en pleine Amérique centrale, puisqu’il est le seul pays non hispanophone de la région ! Il compte un peu plus de 300 000 habitants. Que dire de cet État qui aurait dû disparaître, avalé par le Guatemala ?

Mme Nathalie Goulet. Ah oui !

Mme Isabelle Pasquet. En 1990, Belize a voté une loi, the International Business Companies Act, d’après le modèle des Îles Vierges britanniques, un État avec lequel la France avait passé un accord de même nature que ceux qui nous sont soumis aujourd’hui et que nous avions, pour notre part, rejeté.

En moins de dix ans, Belize a enregistré plus de 15 000 sociétés IBC. La situation est présentée en ces termes par le gouvernement local :

« La législation bélizéenne pour ces compagnies est considérée, d’un point de vue international, comme la plus moderne et la plus pratique.

« Une IBC bélizéenne est une entité idéale pour les transactions financières internationales et permet à l’investisseur de s’engager dans un vaste champ d’activités depuis la protection du capital jusqu’aux comptes bancaires, le courtage, la possession de bateaux, le commissionnement et autres transactions commerciales.

« Les autres avantages sont un enregistrement et une déclaration facilités : dans des circonstances normales, une IBC peut être créée en deux jours ouvrés ; une flexibilité de la structure de la compagnie : pas d’obligation pour un secrétariat ou autre résident ; un seul gérant ou actionnaire requis pour la création ; l’actionnaire et le gérant peuvent être une seule et même personne ; l’actionnaire ou le gérant peuvent être une personne physique ou morale ; pas d’obligation à employer un actionnaire ou un directeur local.

« Confidentialité des créateurs : le registre d’inscription des entreprises ne comporte aucun nom ou identité d’aucun actionnaire ou gérant.

« Ces noms ou identités n’apparaissent dans aucun document public.

« Taxation : d’après la loi IBC Act de 1990, les compagnies offshore sont exemptées de toutes taxes sur les profits. »

On peut d’ailleurs se demander quels renseignements pourront être échangés avec une administration fiscale qui semble bien s’imposer un minimum de règles...

Pour faire bonne mesure, Belmopan est le port d’attache de 180 navires battant pavillon de complaisance, fourni par les autorités britanno-honduriennes.

J’en viens aux Antilles néerlandaises.

Nous avons vu ce qu’il pouvait en être lorsque nous avons eu l’occasion de parler de Saint-Martin, dont la partie hollandaise constitue l’un des éléments. Toujours est-il que l’économie de cette confédération est liée à la fois aux activités touristiques offertes sur l’ensemble des îles, depuis Curaçao à Saint-Martin, au raffinage pétrolier sur Aruba jusqu’aux activités bancaires pour compte de tiers pratiquées du côté de Philipsburg. Soulignons que, au vu du contexte particulier de ces zones géographiques, on n’a jamais été trop regardant sur les conditions générales d’exercice de ces activités. Mais reconnaissons, dans le même temps, que notre pays serait bien en peine de donner des leçons, puisqu’il a érigé la partie française de Saint-Martin en paradis fiscal, en tout cas pour les hommes d’affaires !

Nous pourrions aussi évoquer le Sultanat du Brunei, petit État pétrolier situé sur l’île de Bornéo, qu’il partage avec la province du Kalimantan, en Indonésie, et les États de Sabah et Sarawak, éléments de la Fédération de Malaisie.

Le sultan de Brunei est l’un des hommes les plus riches du monde ; la production pétrolière du Sultanat constitue une forme de rente et justifie une quasi-absence de fiscalité, les revenus tirés de l’exploitation des hydrocarbures suffisant à couvrir les besoins du pays. Cependant, malgré cette richesse, une part croissante de la population locale est confrontée à une certaine forme de pauvreté.

Nous allons aussi passer un accord avec le Libéria, un cas sans nul doute intéressant.

Le projet de James Monroe a permis à quelques esclaves affranchis de retourner sur la terre de leurs ancêtres. Néanmoins, ce pays est devenu l’un des plus pauvres du monde. Ses infrastructures ont été détruites par des années de guerre civile, qui vit les bandes armées s’affronter pour le contrôle du pays, faisant main basse sur les diamants tirés de son sous-sol.

Le Libéria offre surtout l’un des pavillons de complaisance les plus utilisés sur toutes les mers du monde, flottant souvent sur des bateaux épaves, dont quelques-uns ont, dans le passé, alimenté la rubrique « marée noire ».

C’est donc avec un pays en pleine reconstruction, où la notion même d’État souverain est assez incertaine, que nous allons passer un accord. On peut craindre, de fait, que, au-delà des bonnes intentions affichées, la convention ne trouve guère à s’appliquer, faute d’une administration fiscale locale suffisamment outillée pour pouvoir mener les investigations requises. Encore faut-il que la volonté de mettre en œuvre cet accord soit exprimée !

En effet, en 2010, sans doute pour tenter de sortir de la désastreuse situation économique, conséquence des ravages de la guerre civile, qui a fait du pays l’un des plus pauvres du continent africain, le Gouvernement a fait voter une loi nationale sur les investissements, qui obéit à quelques principes simples, à savoir la libre entreprise, avec une régulation par le marché lui-même et une intervention minimale de l’État dans les affaires économiques. Avouez que tout cela a un air de déjà-vu ! On sent bien la patte du Fonds monétaire international derrière ce type de conseils !

L’agence chargée du suivi des investissements directs étrangers fait d’ailleurs du « bon accueil » réservé à ces investissements le seul moyen d’exprimer le potentiel de croissance de l’économie locale !

La coopération fiscale avec le Libéria sera donc sans doute assez formelle et peu fructueuse, la priorité du gouvernement local étant, avant tout, de sortir son économie de l’état de délabrement dans lequel elle se trouve.

Mais que l’on ne s’y trompe pas ! Une fois encore, ce ne sont pas les pays concernés qui s’avèrent les principaux bénéficiaires du blanchiment de la liste noire des territoires non coopératifs.

Au Costa Rica, les banques pourront peut-être continuer à pratiquer des taux de change différents pour une même monnaie – le dollar américain –, mais, en vérité, le fait de « sortir » tel ou tel pays de la liste noire permet, d’abord et avant tout, de donner un vernis de légalité aux opérations menées par nos entreprises, nos hommes d’affaires, nos banques, nos compagnies d’assurances, notamment, dans ces différents pays.

Si nous validons la convention avec Anguilla, une compagnie d’assurances œuvrant sur le territoire de la collectivité de Saint-Martin, bien que ne répondant pas aux critères d’agrément fixés par les autorités de contrôle prudentiel du secteur, pourra gagner le droit de prolonger et de développer ses activités !

Et s’il fallait trouver quelques exemples des situations visées par ces conventions, nul doute que l’expérience du trust des Wildenstein perdu dans un archipel caribéen pour y « loger » des tableaux de maître suffirait à prouver toute l’hypocrisie de la démarche du Gouvernement.

Un autre exemple nous est fourni par Areva.

Ainsi, Areva Resources Southern Africa, la holding regroupant les activités minières du géant nucléaire français en Afrique – à l’exception du Niger et du Gabon – affiche, si je puis dire, une géographie à vous faire perdre le nord ! Cette entité possède les gisements d’uranium autrefois détenus par la société canadienne UraMin, cotée à Londres et Toronto, rachetée par Areva au mois de juin 2007 pour un montant de 2,5 milliards de dollars, soit 1,8 milliard d’euros. Cette structure dispose aujourd’hui de filiales en Namibie, en République centrafricaine, au Sénégal et en Afrique du Sud. Devenue propriété du groupe nucléaire français, cette holding est pourtant toujours immatriculée aux Îles Vierges britanniques, paradis fiscal notoire.

Telle n’est cependant pas l’appréciation de l’OCDE, qui a retiré l’archipel de sa liste grise après qu’il eut signé, en 2009, des conventions portant sur l’échange de renseignements en matière fiscale avec douze pays, parmi lesquels... d’autres paradis fiscaux.

Comme les Îles Caïmans ou les îles de Jersey et de Guernesey, les Îles Vierges britanniques figurent désormais sur la liste blanche des « juridictions qui ont substantiellement mis en place la norme fiscale internationale ».

Je crois savoir qu’il était question, voilà peu, de procéder à la cession au privé de quelques-uns des droits d’exploitation des gisements exploités par Areva. S’agit-il de ceux que possède cette holding ?

En tout état de cause, la démonstration est ainsi faite qu’il est fort probable que ce sont, d’abord et avant tout, les acteurs des marchés financiers, les spéculateurs, les groupes parties prenantes de la mondialisation qui vont tirer parti de l’adoption des dispositions dont nous débattons aujourd’hui.

Une convention fiscale, amendée par le Gouvernement au cours de cette législature, n’est qu’une remise en forme de ce qui existe et qui est appelé à durer, sous une apparente transparence.

Il est temps de nous hâter de changer la logique comme les propriétaires de nos banques et de nos établissements financiers !

Les membres du groupe CRC-SPG ne voteront évidemment aucune des conventions qui nous sont soumises dans le cadre de cette discussion commune, eu égard au véritable détournement de sens dont elles sont l’objet.

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