Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Consulter le peuple est totalement justifié

Délimitation des régions : motion référendaire -

Par / 2 juillet 2014

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, peut-être débuterons-nous, ce soir, l’examen à proprement parler du projet de loi qui nous est soumis. Quoi qu’il en soit, le moment que nous vivons, cet après-midi, est solennel.

Le dépôt de cette motion référendaire n’est pas un acte de procédure, encore moins une manœuvre dilatoire destinée à refuser un débat auquel nous participons amplement. Ce débat, c’est celui de l’avenir de nos collectivités territoriales et de nos services publics !

Depuis l’annonce de ce que le Président de la République présente comme une refonte de notre architecture territoriale pour les décennies à venir, mon groupe, le parti communiste français et le Front de gauche ont demandé, avec beaucoup d’autres, la saisine directe du peuple par voie référendaire.

Tel est précisément l’objet de cette motion référendaire, reposant sur la mise en œuvre par le Parlement de l’article 11 de la Constitution. Je rappelle qu’au titre de cet article, le recours au référendum est décidé par le Chef de l’État, sur proposition conjointe des deux assemblées.

De toute évidence, la réforme territoriale entre dans le champ possible du référendum. En effet, l’article 11 de la Constitution prévoit explicitement que l’appel au peuple peut se faire pour tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics.

Vous le savez, la pratique du référendum est une question délicate à appréhender. Le groupe communiste, républicain et citoyen n’est pas favorable à une utilisation plébiscitaire, excessive, présidentialiste du référendum. En revanche, monsieur Dantec, il considère que le déclenchement par les citoyens ou leurs représentants correspond pleinement à une conception démocratique d’une telle disposition constitutionnelle.

M. Ronan Dantec. Je suis d’accord !

Mme Éliane Assassi. Nous avons d’ailleurs regretté avec – à l’époque – l’ensemble de la gauche, l’adoption en 2008, lors de la réforme constitutionnelle lancée par Nicolas Sarkozy, d’une conception a minima du référendum d’initiative populaire. Mais nous avons déploré, plus encore, que le gouvernement de Jean-Marc Ayrault fasse sienne la pratique restreignant ce type de référendum, au point de le rendre inapplicable !

Consulter le peuple sur l’organisation de la démocratie lorsque l’enjeu est de toute évidence national apparaît pleinement justifié.

Il faut d’ailleurs noter que, malgré le tir de barrage auquel le Gouvernement a procédé, avec l’aide bienveillante de nombreux médias, pour rendre ce projet impératif, urgentissime, et le réduire à un débat purement technique, 58 % des Français considèrent nécessaire de recourir au référendum.

J’avoue donc être particulièrement surprise, pour ne pas dire autre chose, par les propos tenus, hier, par notre ancien collègue André Vallini – celui-ci était effectivement sénateur avant d’être ministre. « Comment consulter par référendum les Français sur des sujets aussi techniques, voire compliqués, que les départements, les régions, la clause de compétence générale, les transferts de compétence d’une collectivité à une autre ? », s’interroge-t-il. Si ce n’est pas du mépris à l’égard du peuple français, cela y ressemble beaucoup !

Plus menaçant encore, M. Vallini, qui fut non seulement sénateur, mais aussi député, affirme : « Les sénateurs devraient faire attention à cette image négative qu’ils donnent. »

Mais, monsieur le ministre de l’intérieur, quand le Gouvernement, avec sa majorité étriquée, introuvable, donne l’image d’un pouvoir qui fuit le débat – j’entends par là le vrai débat national ! – en inscrivant à la va-vite un projet de loi rédigé à la hâte, au point de l’accompagner d’une étude d’impact quasi inexistante que le Conseil Constitutionnel a eu le plus grand mal à valider, n’est-ce pas lui, plutôt, qui devrait veiller à l’image négative qu’il donne ?

Je m’insurge aujourd’hui contre les attaques en règle de tous ces porte-paroles et hussards de la pensée unique qui tentent de dénier aux parlementaires, en particulier aux sénateurs, leur droit d’expression, leur droit d’action et leurs prérogatives constitutionnelles.

Oui, nous avons contesté la procédure accélérée sur un tel texte, car nous refusons la précipitation quand l’organisation de la République est en jeu !

Oui, nous avons demandé, avec succès, l’instauration d’une commission spéciale, car nous estimons que cette réforme touche l’ensemble des secteurs de la vie du pays ! Ainsi, tout le monde sait que le regroupement des régions porté par le présent projet de loi induit de lourdes modifications sur le plan des compétences économiques, culturelles, sociales, relatives au développement durable et, bien entendu, financières.

Oui, enfin, nous demandons un référendum sur l’avenir de notre démocratie ! C’est non seulement notre droit, mais aussi notre devoir !

M. Vallini ne devrait pas mépriser le peuple ! Rappelons-nous 2005. Rien n’était plus technique, plus rébarbatif que le projet de traité constitutionnel européen. Vous en savez quelque chose, monsieur le ministre ! Tout était organisé pour dégoûter le peuple du débat.

Or le peuple, qui sait faire preuve d’intelligence, s’en est saisi. Il a étudié, décortiqué, débattu, et il a rejeté le traité ! Le 29 mai 2005 fut un vrai traumatisme pour les partisans de la pensée unique, de ce monde conçu par et pour le marché.

Je m’insurge contre les cris d’orfraie de ceux que le débat démocratique rebute. Certains propos confinent à l’insulte à l’égard des représentants de la nation.

M. Vallini, encore lui, a appelé à ce que « l’intelligence l’emporte sur le conservatisme » ! Que faut-il en déduire nous concernant, nous et nos collègues du groupe RDSE qui, ensemble, alertons sur le caractère profondément rétrograde de cette réforme, portant en son sein de lourdes menaces contre l’égalité et l’unité républicaines ?

Que doit-on penser de l’ultralibéral M. Jacques Attali, maquillé en homme moderne et en détenteur de la vérité absolue (M. Jacques Mézard opine.), qui dénonce notre combat en invoquant une « juxtaposition de corporatismes et de rentiers » ? Après nous avoir traités d’idiots, on nous traite maintenant de rentiers !

M. Roger Karoutchi. Ou peut-être les deux ! (Sourires.)

Mme Éliane Assassi. Que penser de M. Valls, lui-même, qui nous accuse, je le cite, « de ne pas jouer le jeu » ? Idiots, rentiers… tricheurs peut-être ?

Ce tir de barrage à l’encontre de parlementaires se contentant d’utiliser les moyens, très limités, que leur offre une Ve République hyper-présidentialisée souligne la fébrilité des partisans de ce projet de réforme, accepté ni dans l’opposition ni dans la majorité.

Par conséquent, monsieur le ministre, je vous demande quand cesseront ces attaques aux relents d’antiparlementarisme, aux relents populistes, que certains, ou plutôt « certaine », ne renieraient pas.

M. Roger Karoutchi. Tout à fait !

Mme Éliane Assassi. Je rappellerai, pour clore ce chapitre, que le candidat François Hollande avait affiché parmi ses 60 engagements pour la France la nécessité de renforcer les pouvoirs d’initiative et de contrôle du Parlement. Les attitudes précitées me semblent peu conformes à cette promesse.

Le candidat François Hollande avait également défini, en avril 2012, ce qu’était pour lui le champ référendaire. Il le résumait à deux problématiques : les réformes institutionnelles importantes et les traités engageant la souveraineté de la France.

La réforme territoriale que nous abordons comprend deux volets étroitement liés, qui n’auraient dû faire qu’un seul projet. L’exposé des motifs du projet de loi n° 636, le second texte, relatif à la nouvelle organisation territoriale de la République, signale d’emblée « une étape complémentaire et ambitieuse », s’imposant « pour moderniser en profondeur notre organisation territoriale ». Il évoque un « acte fondateur » et propose d’engager le débat « sereinement sur les modalités de suppression des conseils départementaux à l’horizon 2020 ». M. Valls, ce matin encore, a rappelé l’objectif de suppression de ces conseils départementaux.

C’est donc un processus lourd qui s’engage avec le présent projet de loi, ce dernier, de toute évidence, ayant pour unique but de véhiculer le report des élections régionales et départementales.

Ce processus est d’autant plus lourd que le second projet comprend la suppression de la clause de compétence générale. Ce dernier point marque un virage à 180 degrés du Président de la République qui, devant les états généraux de la démocratie territoriale, avait affirmé qu’il n’était « pas question de revenir sur la clause de compétence générale ».

M. Éric Doligé. Aïe ! Il a dit ça ?...

Mme Éliane Assassi. Cette clause de compétence générale avait été supprimée – faut-il le rappeler ? – par le gouvernement Fillon, sous la férule de Nicolas Sarkozy, dans la loi du 16 décembre 2010.

M. Roger Karoutchi. Eh oui !

Mme Éliane Assassi. Elle a pourtant été rétablie l’an dernier après un long débat, approfondi, sérieux, dans le cadre de la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles.

Ce n’est pas par immobilisme ou conservatisme que nous y sommes profondément attachés mais, comme la grande majorité des participants aux états généraux, parce que nous tenons à ce grand principe de la libre administration des collectivités territoriales. Briser la compétence générale, c’est forcément décréter la mise sous tutelle de certaines collectivités par d’autres, voire par l’État.

Nous nous expliquerons lors des débats à venir sur ce point crucial, car nous craignons fortement une forme de recentralisation des pouvoirs dans le cadre d’un affichage de type fédéraliste, qui masquera mal le fait que les décisions échapperont aux élus et aux populations.

Je rappelle, monsieur le président Jean-Pierre Bel, qu’en tant que président du groupe socialiste du Sénat, vous défendiez la motion référendaire que nous avions déposée, ensemble, en ces termes :

« Le troisième motif du recours au référendum est de permettre aux Français de se prononcer directement sur le principe de l’organisation territoriale française.

« Alors que l’article 72 de la Constitution précise que les collectivités territoriales ″ ont vocation à prendre les décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon ″, le projet de loi envisage de supprimer la clause de compétence générale […].

« Les Français doivent pouvoir se prononcer directement pour savoir si les collectivités locales doivent être cantonnées dans des compétences décidées par l’État ou s’il convient de maintenir leur compétence générale afin, notamment, de répondre aux attentes des usagers des services publics. »

M. Roger Karoutchi. C’était avant ! (Sourires sur les travées de l’UMP.)

M. Francis Delattre. Eh oui !

Mme Éliane Assassi. Monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de regroupement des régions induit le second texte à venir, et en particulier la suppression de la clause de compétence générale souhaitée aujourd’hui – à rebours d’hier – par le Président de la République.

En 2010, nous avions demandé la consultation du peuple sur ce point ; c’est dire combien nous sommes cohérents ! Nous ne sommes pas immobiles : nous réitérons aujourd’hui cette exigence démocratique.

Faut-il rappeler que le général de Gaulle lui-même avait saisi le peuple et le Sénat sur le projet de loi relatif aux régions et au Sénat,…

Mme Isabelle Debré. C’était un autre temps !

Mme Éliane Assassi. … d’ailleurs au risque de s’y perdre ?

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen refusent « le calendrier très contraint » qu’évoque Michel Delebarre dès l’ouverture de son rapport et exigent un grand débat national, conclu par la consultation du peuple sur ce projet qui remet en cause l’organisation actuelle de la République.

Les écrans de fumée démagogiques diffusés par le Gouvernement quant à une réduction des dépenses publiques se sont évanouis. Les 15 ou 20 milliards d’euros d’économies, chiffres avancés bien imprudemment par M. Vallini, se sont transformés, selon l’étude de M. Delebarre, en 393 millions d’euros dans le meilleur des cas ; d’aucuns envisagent même, plutôt, un coût important…

Le seul objectif réel, c’est la création de grandes régions européennes au service du marché et gouvernées par le marché. Face à ce rouleau compresseur libéral, la démocratie et l’intérêt général sont peu de chose.

L’enjeu est là : la société s’organise-t-elle pour l’être humain ? Tend-elle à l’épanouissement des femmes et des hommes, ou bien le seul objectif est-il de répondre au mieux aux exigences du marché ? Cette question, monsieur le ministre, est fondamentale.

Cette réforme territoriale vise à abattre les digues démocratiques bâties depuis 1789 pour laisser libre cours à un libéralisme sans entrave. C’est pourquoi nous estimons que la seule voie possible pour l’adoption de ce projet de loi est celle du référendum.

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