Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Création d’une commission d’enquête parlementaire sur l’immigration clandestine

Par / 27 octobre 2005

Monsieur le Président,
Mes Chers Collègues,

La maison France brûlerait-elle ?
Y a-t-il péril en la demeure au point de créer, en toute urgence, une commission d’enquête parlementaire pour -nous dit-on dans l’exposé des motifs de la présente proposition de résolution- « appréhender l’ensemble du phénomène de l’immigration clandestine et ses conséquences » ?
Y avait-il urgence à inscrire dans la précipitation ce texte auquel il ne sera d’ailleurs consacré finalement par faute de temps qu’une heure de débat ?
On ne peut que s’étonner d’une telle proposition qui apparaît, dans le contexte actuel que nous connaissons tant au plan européen que national, aussi inopportune que déplacée.

En effet, elle intervient juste après les drames qui se sont déroulés dans les deux enclaves espagnoles situées au Maroc, où des innocents ont été tués par balles en tentant de franchir la frontière quand de nombreux autres ont été blessés, déportés, abandonnés en plein désert sans eau ni vivres.

L’Union européenne, qui mène depuis des années une guerre larvée aux migrants et aux réfugiés, a franchi cette fois-ci un cap supplémentaire.
Il s’agit là de l’un des exemples les plus significatifs des conséquences de la logique répressive par laquelle l’Europe a choisi de traiter la question des migrations.
L’union européenne a décidé de financer la répression contre les migrants notamment par la promesse faite au Maroc de recevoir 40 millions d’euros contre un engagement fort et clair à lutter contre l’immigration clandestine.
Ce qui traduit la volonté de l’UE de se défausser du problème des migrants sur les pays tiers de transit comme le Maroc ou la Libye tout en renforçant dans le même temps la forteresse Europe.

C’est ce qu’on appelle pudiquement « l’externalisation du traitement des réfugiés » ce qui en terme plus cru revient à parquer les demandeurs d’asile dans des camps de réfugiés aux portes de l’Europe.
Or, une telle politique ne répond en rien aux causes de l’immigration que sont la pauvreté, les famines, les guerres...
En France, les politiques d’immigration conduisent à expulser du territoire à tour de bras, au mépris des droits les plus élémentaires, des jeunes pourtant scolarisés en France, des familles entières, à multiplier les « rafles » de migrants.

J’ai bien lu l’interview que le ministre de l’intérieur a accordé à un journal du soir daté du mardi 25 octobre, soit juste 2 jours avant nos débats de ce matin...
J’ai noté qu’il demandait aux préfets de surseoir aux expulsions de jeunes scolarisés et ce, jusqu’à la fin de l’année scolaire. Est-ce à dire qu’ils pourront faire l’objet d’une mesure de reconduite à la frontière dès le mois de juillet 2006 en plein cœur de l’été au moment où les gens sont en congé et donc moins mobilisés ?
En revanche, je n’ai pas lu qu’il remettait en cause ses propos visant à porter le nombre de reconduites à la frontière à 24 000 d’ici à la fin de l’année 2005.
Le gouvernement va-t-il encore accélérer les « charters » -ces vols groupés permettant de renvoyer, plus rapidement, plus discrètement et à moindre coût, les étrangers chez eux en les regroupant par nationalité- alors même que les expulsions collectives sont condamnées par la convention européenne des droits de l’homme ?

Et comme si ça ne suffisait pas, il y a un nouveau projet de loi sur l’immigration qui est annoncé afin de restreindre davantage encore les droits fondamentaux des étrangers notamment en matière de regroupement familial et d’incidence du mariage sur le droit au séjour et l’accès à la nationalité (qui relèvent pourtant de l’immigration légale), créer une police de l’immigration, mettre en œuvre une politique des quotas...

Le ministre de l’outre-mer, M. Baroin, a quant à lui jugé utile d’en rajouter en annonçant la possibilité de remettre en cause le droit du sol à Mayotte.
Propos qui ont créé quelques remous au sein du gouvernement mais qui ont été immédiatement repris dans une proposition de loi déposée par un député UMP de Mayotte.
Sans compter que l’été dernier fut meurtrier à plus d’un titre : les incendies d’immeubles insalubres à Paris ont mis en avant, si besoin en était, le fait que les étrangers étaient aussi les victimes du mal logement.
Et, permettez-moi de citer également la remise en cause par deux décrets de l’aide médicale d’Etat et le scandale des conditions de travail des travailleurs saisonniers sous contrat OMI dans le sud de la France.

Aujourd’hui, d’aucuns voudraient laisser croire que la France est dépourvue de toute législation.
Pire, ils laissent accréditer l’idée que notre législation est trop laxiste, qu’elle constitue un appel d’air, qu’elle laisse entrer un grand nombre d’étrangers.
Dois-je vous rappeler que, depuis le retour de la droite à la tête du pays, deux lois ont été adoptées il y a moins de deux ans : celle du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l’immigration, et celle du 10 décembre 2003 relative au droit d’asile ?.
Beaucoup s’accordent, y compris dans les rangs de la majorité, pour dire que ces deux lois ont considérablement durci la législation en matière de droits des étrangers et d’accès au droit d’asile.

J’ajoute que ces réformes ont permis de jeter nombre d’étrangers en situation régulière dans la clandestinité. Permettez-moi de citer quelques exemples assez évocateurs de reculs en la matière :
Création de nouvelles possibilités de retrait de carte de séjour temporaire ; allongement de la durée du mariage ouvrant droit à l’obtention d’une carte de résident ; renforcement du contrôle de l’effectivité d’une paternité pour la délivrance de plein droit d’une carte de résident ; suppression de la délivrance de plein droit de la carte de résident au titre du regroupement familial ainsi qu’aux étrangers ayant bénéficié pendant cinq ans d’une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » ; création d’un délit spécifique de mariage simulé ; nouveaux cas de reconduite à la frontière ; réforme du régime de la rétention administrative marquée notamment par l’allongement de la durée de rétention de 12 à 32 jours ; augmentation du nombre de places en rétention administrative ; délocalisation des audiences et j’en passe ...
Alors, voyez-vous, il me semble qu’avant de déposer un énième projet de loi comme cela est annoncé, mes chers collègues, et avant de créer une telle commission d’enquête, il conviendrait de nous interroger :
Quel est le bilan de l’application de ces récentes lois ? Disposons-nous d’une évaluation de la législation en vigueur ? Où en sont les décrets ?

Allons-nous continuer à travailler ainsi, à légiférer sans cesse au gré de l’actualité, à modifier une fois encore l’ordonnance de 1945 ?
Je pense que ce n’est pas sérieux.
Voilà donc le contexte - qu’il était utile de rappeler - dans lequel intervient donc cette proposition de créer une commission d’enquête.
J’avoue que parler de laxisme en matière de politique d’immigration, tant au niveau national qu’européen, me rend perplexe. Cela laisserait-il sous-entendre que le pire est encore possible ?

Cela dit, il est vrai que malgré les mesures dissuasives et répressives, nationales et européennes prises pour se protéger des mouvements migratoires indésirables -les murs de plus en plus hauts, l’immigration « zéro », la fermeture des frontières avec l’instauration de l’espace Schengen- malgré tout cela l’immigration continue.
Cela me renforce dans l’idée qu’il ne s’agit pas de laxisme mais de l’inefficacité de ces politiques, au regard du phénomène qu’elles sont censées contenir, sans parler de leur dangerosité sur le plan des droits de l’homme comme d’un point de vue idéologique.
En réalité, loin d’endiguer ces déplacements, ces politiques les ont rendus plus difficiles, plus coûteux, plus dangereux, allant jusqu’à mettre à mal le respect de certains droits fondamentaux, tels que le droit d’asile et la libre circulation des personnes.

Sans compter évidemment la vie même de ces femmes, de ces enfants, de ces hommes - ces exilés en quête de travail et de sécurité au sein de l’Europe - que ces politiques mettent en danger. (De 1997 à 2004, on a recensé 4000 morts et portés disparus en mer aux frontières de l’UE).
Compte tenu des obstacles qui rendent le voyage vers un lieu sûr plus difficile, voire impossible, les candidats à l’immigration se trouvent alors à la merci des réseaux mafieux et autres marchands de sommeil et employeurs de main-d’œuvre en situation irrégulière, taillable et corvéable à merci, dont l’activité se nourrit bien évidemment de ces politiques de fermeture des frontières.
Le nombre croissant de migrants n’est ni un problème temporaire ni le fruit du hasard. C’est la conséquence prévisible de la crise des droits humains dans le monde.
Tant que les écarts économiques et sociaux ne cesseront de croître entre les régions du monde qui profitent de la mondialisation du libéralisme économique débridé et celles qui en sont les victimes, il est inévitable que les populations des pays ravagés par la misère, par les conflits ou par l’absence de démocratie, vont continuer à tenter de trouver ailleurs de meilleures conditions de vie, quand ce n’est pas tout simplement le droit de vivre.

En effet, quand 2,5 milliards d’individus dans le monde vivent avec moins de 2 dollars par jour, quand un habitant de la Zambie a moins de chance d’atteindre l’âge de 30 ans qu’un Anglais en 1840, quand l’aide au développement est moins forte en 2005 qu’en 1990 - les pays riches lui affectant que 0,25 % de leur revenu national brut - il n’est pas étonnant alors que des hommes, des femmes, des enfants migrent, se déplacent pour aller chercher ailleurs ce qu’ils n’ont pas, y compris au péril de leur propre vie.
Il faut savoir que sur les dizaines de millions de personnes qui sont contraintes par la violence à quitter leur lieu de résidence, l’Union européenne n’accueille que 10 à 15% de ces personnes réfugiées ou déplacées.
Contrairement aux idées reçues, les pays sollicités sont bien souvent les Etats voisins des zones de conflit eux-mêmes très précaires en terme d’économie et d’équilibre politique.

On assiste ainsi plus souvent à des déplacements Sud/Sud qu’à des déplacements Sud/Nord. C’est la réalité, il faut avoir le courage de le dire.
Tout comme il faut avoir l’honnêteté de combattre certaines idées reçues comme celle selon laquelle la France serait un « pays d’immigration massive ».

Si la France est un vieux pays d’immigration, elle n’est plus en revanche un pays d’immigration massive depuis au moins 25 ans. C’est le pays d’Europe où la croissance démographique dépend le moins de l’immigration.
C’est en tout état de cause le constat que fait, chaque année, l’INSEE dans son bilan démographique.
Si la demande migratoire existe à nos frontières, au travers de la procédure d’asile, elle ne peut en aucun cas être assimilée à « une invasion ». Elle correspond pour l’essentiel à un mouvement régulier en provenance de nos anciennes colonies d’Afrique et d’Asie.
Par ailleurs, il faut cesser cette hyprocrisie qui consiste d’un côté à dresser des obstacles pour empêcher les migrants de se rendre en Europe et à expulser tant qu’on peut les étrangers qui sont déjà installés en Europe, et de l’autre à vouloir faire venir des étrangers afin de satisfaire les besoins économiques des pays les plus riches.

Cette immigration utilitaire -ou immigration choisie ou politique des quotas, appelez-la comme vous le souhaitez, le résutat est toujours le même- est inscrite très clairement dans le Livre vert sur les migrations économiques publié par la commission européenne en janvier dernier, je cite : il faut « encourager des flux d’immigration plus soutenus pour couvrir les besoins du marché européen du travail et assurer la prospérité de l’Europe ».

Il s’agit là d’une conception purement économique de l’immigration qui consiste à évaluer le « besoin d’immigrés » des pays européens comme on évalue le besoin de marchandises disponibles sur le marché.
Cette conception figure déjà dans les lois récemment adoptées en France sur l’immigration et le droit d’asile qui présentent l’immigration sous un angle utilitaire.
L’étranger y est, en effet, considéré avant tout comme une main d’œuvre devant répondre aux besoins de l’économie libérale et suppléer pour un temps seulement les déficits de certains secteurs économiques de la France.
La présence de l’étranger en France est alors envisagée à titre provisoire : l’étranger - de préférence jeune et en bonne santé - doit être au service exclusif du marché de l’emploi et ne doit surtout pas être tenté de s’installer de façon durable sur le territoire français et ni, a fortiori, de faire venir sa famille par le biais du regroupement familial.

On ne peut que regretter que la France n’ouvre pas de nouvelles perspectives de coopération internationale dans lesquelles le respect des droits et des libertés fondamentales serait le préalable à toute législation concernant les flux migratoires.
Elle continue, au contraire, comme dans les années 60, à avoir une politique d’immigration reposant avant tout sur les besoins de son économie.
C’est une vision qui reproduit les mécanismes de la domination de l’exploitation et de la mise en concurrence des travailleurs - nationaux et immigrés - au profit exclusif du capitalisme.

Cette acceptation de la « libre circulation des travailleurs », loin de favoriser le développement des hommes, revient en réalité à piller les pays du Sud d’une part de leur population la plus active, la plus dynamique ; réduisant quasiment à néant dès lors les possibilités de développement sur place de ces pays.
Comme vous l’aurez compris, nous sommes foncièrement opposés à la mise en place d’une telle commission d’enquête.

Elle risque, selon nous, de cautionner une idéologie qui transpire déjà dans l’exposé des motifs de la proposition de résolution qui souligne, je cite : « des difficultés en matière de sécurité dans la mesure où cette immigration est principalement coordonnée par des organisations mafieuses ; des difficultés économiques en raison du travail au noir qui est la conséquence de cette immigration ; des difficultés sociales en raison de la précarité consubstantielle des condtitions de vie des migrants ».
On le voit, l’immigration n’est appréhendée ici que sous l’angle des difficultés qu’elle engendre nécessairement. Cet amalgame entre immigration et insécurité de toute sorte est inacceptable au moment où des migrants continuent de mourir aux frontières de l’Europe dans une relative indifférence générale.

J’ose espérer que cette enquête aura pour objectif certain de réprimer ceux qui tirent profit des politiques restrictives en matière de droits des étrangers : les réseaux mafieux, les employeurs de main-d’œuvre irrégulière, les marchands de sommeil, et de faire respecter les textes internationaux relatifs au droit d’asile, à la protection des migrants et contre la torture.
Qu’on ne compte pas sur nous si elle veut remettre en cause le droit du sol à Mayotte, durcir notre législation en matière d’immigration, ou bien encore mettre en place les quotas pour choisir les immigrés dont la France a besoin économiquemet parlant.
Les élus de mon groupe estiment que ni cette commission d’enquête sénatoriale, ni les propositions de loi déposées à l’Assemblée nationale par les parlementaires UMP, ni un énième projet de loi gouvernemental sur l’immigration, ne sont capables d’apporter un commencement de réponse à la question des migrants dans le monde.

Ces textes - qui sont d’ailleurs si complémentaires et forment un ensemble si logique qu’on pourrait penser que le chef d’orchestre n’est pas loin- ne répondent absolument pas à une situation qui mérite autre chose que la seule répression, le durcissement des lois, le renforcement des barrières aux frontières de l’Europe etc.
Et ce n’est pas la récente prise de position toute « personnelle » du ministre de l’intérieur sur le droit de vote des résidents étrangers aux élections locales qui va gommer ou atténuer en quoique que ce soit le caractère inhumain de la politique gouvernementale menée en matière d’immigration.

D’autres l’ont d’ailleurs fait avant lui, je veux parler de Messieurs Pasqua et Juppé qui, en leur temps, avaient annoncé une réforme en ce sens. On ne peut que constater aujourd’hui que rien n’a bougé.
Permettez-moi de vous rappeler, mes chers collègues, que les parlementaires communistes proposent depuis 1989, dans les propositions de loi qu’ils déposent régulièrement, le droit de vote des résidents étrangers aux élections municipales.

En réalité, avec sa proposition, le ministre de l’Intérieur nous rejoue le film de la « double peine » -qui quoiqu’il en dise n’a pas été supprimée- pour mieux faire passer les mesures les plus dures de sa politique en matière d’immigration.
Il feint de reculer sur le droit de vote des résidents étrangers mais ce n’est que pure démagogie, tout comme cette commission d’enquête ne consiste qu’en un affichage politique.

Car, je ne suis pas naïve, cette enquête parlementaire qui peut durer jusqu’à 6 mois va avoir un écho médiatique qui risque d’alimenter les débats les plus populistes. Elle va occuper le terrain jusqu’à ce qu’un projet de loi définitif soit déposé au parlement vers l’automne 2006 par exemple ?
Ce qui est bien calculé dans la perspective des échéances électorales de 2007.

En effet, le but à peine caché est de placer au cœur de la campagne pour la présidentielle de 2007 le thème de l’immigration, comme l’insécurité avait été le thème principal de la présidentielle de 2002, afin notamment de flatter l’électorat de l’extrême droite et récupérer ainsi quelques voix.

Pour toutes ces raisons, nous vous proposons d’adopter la présente question préalable pour décider qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur l’immigration clandestine.

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