Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Il faut respecter l’accord de Nouméa

Nouvelle-Calédonie et Mayotte -

Par / 7 juillet 2009

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les sénatrices et les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen ont toujours soutenu l’évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie.

Ce territoire, peuplé depuis 4 000 ans par des tribus d’origine mélanésienne, a été annexé par la France en 1853. Le peuple kanak a été ainsi dépossédé de ses terres, le travail obligatoire lui a été imposé, de même des taxes et autres mesures niant ses droits.

À partir de 1946, année où la Nouvelle-Calédonie devient un territoire d’outre-mer, les contours d’une certaine autonomie se dessinent, mais une autonomie dont le contenu varie en fonction des gouvernements en place en métropole.

Les révoltes de la population kanake sont ainsi fréquentes, dans un climat de violence opposant les deux communautés principales, kanake et européenne, jusqu’aux terribles événements de 1988 survenus sur l’île d’Ouvéa, qui coûtèrent la vie à vingt et une personnes.

Les tensions politiques s’apaiseront après la signature, le 26 juin 1988, des accords de Matignon, qui rétabliront la paix et la stabilité institutionnelle.

Si le référendum sur l’autodétermination qu’ils prévoyaient n’a pas eu lieu dix ans après, des négociations sur l’avenir institutionnel du territoire sont engagées et aboutissent, le 5 mai 1998, à la signature de l’accord de Nouméa.

Cet accord, dont le préambule évoque « les ombres de la période coloniale », est déterminant puisqu’il reconnaît l’identité du peuple kanak et engage la Nouvelle-Calédonie vers la pleine souveraineté. Le 8 novembre 1998, ce sont près de 72 % des Néo-Calédoniens qui approuvent l’accord de Nouméa.

C’est donc un long processus qui s’est mis en place en 1998 et que la France se devait d’accompagner démocratiquement.

En 1998, nous avons donc tout naturellement approuvé la révision constitutionnelle nécessaire pour la mise en œuvre de l’accord de Nouméa du 5 mai 1998. Elle constituait une étape capitale dans l’histoire de la Nouvelle-Calédonie, au même titre que la loi organique du 19 mars 1999, à laquelle nous avons également apporté notre soutien.

Inscrit dans un processus de décolonisation et d’accès à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie, l’accord de Nouméa prévoit un partage progressif des compétences entre l’État et la Nouvelle-Calédonie. Des compétences seront transférées dès la mise en œuvre de la nouvelle organisation, d’autres le seront selon un calendrier défini, modulable par le congrès, suivant le principe d’auto-organisation. L’accord de Nouméa prévoit que les compétences transférées ne pourront revenir à l’État, ce qui traduit le principe d’irréversibilité de cette organisation.

Le calendrier et les modalités des transferts de compétences sont organisés par la loi organique du 19 mars 1999. Conformément à l’accord de Nouméa, la loi organique distingue les compétences transférées immédiatement après l’entrée en vigueur de la loi - la plupart étant déjà dévolues au territoire - et celles qui seront transférées ultérieurement, lors d’étapes qui correspondent au renouvellement du Congrès de la Nouvelle-Calédonie en 2004 et en 2009.

L’article 21 de la loi organique distingue les compétences régaliennes conservées par l’État, les compétences partagées et, dans son paragraphe III, les compétences destinées à être transférées à la Nouvelle-Calédonie. Je rappelle que ces dernières concernent la police et la sécurité en matière de circulation aérienne intérieure et de circulation maritime dans les eaux territoriales, l’enseignement du second degré public et privé, la santé scolaire, l’enseignement primaire privé, le droit civil, les règles concernant l’état civil, le droit commercial, la sécurité civile.

Selon l’article 26 de la loi organique, les compétences transférées et l’échéancier des transferts prévus par le paragraphe III de l’article 21 doivent faire l’objet d’une loi du pays adoptée à la majorité des trois cinquièmes des membres du congrès, au plus tard le dernier jour du sixième mois suivant le début du mandat commençant en 2004 et en 2009.

Enfin, l’article 27 prévoit que le congrès peut, à partir de son mandat débutant en 2009, adopter une résolution tendant à ce que lui soient transférées, par une loi organique ultérieure, les compétences dans les domaines suivants : les règles relatives à l’administration des provinces, des communes et de leurs établissements publics, le contrôle de légalité et le régime comptable et financier de ces collectivités et établissements, l’enseignement supérieur et la recherche, la communication audiovisuelle. Ces transferts pourront intervenir dès 2009 et se poursuivre après 2014.

Si les articles 21 et 26 reprennent chacun des points de l’accord de Nouméa, il n’en est pas de même de l’article 27, relatif à des points qui ne sont pas traités dans cet accord.

En 2004, le congrès n’a pas usé de son droit de demander de nouveaux transferts de compétences. Des travaux préparatoires à de nouveaux transferts ont donc été engagés dès le mois de septembre 2006, sous l’autorité du haut-commissaire de la République. Ont été mis en place un comité de pilotage au mois de février 2007, puis des groupes de travail et des comités consultatifs au cours de l’année 2007 et enfin une mission d’appui au mois de février 2008.

Les conclusions de la mission d’appui ont été validées au mois de décembre 2008 : lors de cette réunion, le comité des signataires de l’accord de Nouméa a approuvé la définition des périmètres et des modalités de transferts de compétences donnée par le projet de loi. Cependant, les membres de la mission d’appui et les partenaires calédoniens ont considéré que la loi organique de 1999 n’offrait pas un cadre juridique de nature à conduire à un consensus sur les transferts de compétences. Le Gouvernement s’est alors engagé à présenter au Parlement un projet de loi en priorité pour que la loi organique de modification puisse être promulguée au mois d’août 2009.

Même si le Gouvernement respecte cet engagement - la loi sera vraisemblablement promulguée le mois prochain -, nous regrettons qu’elle soit adoptée dans l’urgence, au cœur de l’été, alors que les débats sur les transferts de compétences ne sont pas clos, ni en Nouvelle-Calédonie ni en métropole, comme nous avons pu le constater lors des travaux de la commission des lois.

Par ailleurs, le calendrier fixé par le Gouvernement au mois de décembre 2008, lors de la réunion du comité des signataires, n’a pas été respecté. Dans le relevé de conclusions du comité, il était prévu que le haut-commissaire réunirait, au début de l’année 2009, un groupe de travail pour lui soumettre l’avant-projet de loi organique. Puis le congrès devait recevoir, pour une consultation informelle, une information sur l’avant-projet. Enfin, le congrès nouvellement renouvelé devait être consulté dans les jours qui ont suivi les élections provinciales du 10 mai 2009. C’était uniquement à l’issue de ce processus d’information et de consultation que le Gouvernement devait présenter le projet de loi organique au Parlement.

Or l’avant-projet de loi n’a pas été soumis au groupe de travail qui aurait dû se réunir au mois de janvier dernier. Lorsque les élus calédoniens ont reçu le texte au mois de mai dernier, c’est déjà le projet de loi définitif qui leur a été présenté. Ce dernier a ainsi été soumis en urgence au congrès, qui a rendu son avis le 12 juin, après avoir eu seulement trois jours pour en débattre et pour défendre des amendements.

Le non-respect du calendrier fixé par le Gouvernement est l’une des raisons pour lesquelles certains élus du congrès se sont opposés au projet de loi. Nous considérons que cette présentation en urgence ne respecte ni les partenaires calédoniens ni leur droit légitime à élaborer des propositions sur l’évolution de leurs institutions et de la Nouvelle-Calédonie.

Une autre raison motive notre opposition : la présentation du projet de loi définitif aux élus calédoniens est intervenue un mois après le référendum du 29 mars à Mayotte. Le Gouvernement a ainsi rattaché la départementalisation de Mayotte à ce projet de loi organique, sous prétexte qu’il avait besoin d’un véhicule législatif adapté pour inscrire dans la loi cette départementalisation. Or, en décembre 2008, dans le cadre du comité des signataires, le Gouvernement n’a pas informé les élus calédoniens de son intention de procéder de la sorte.

Est-ce un hasard ? Nous ne le pensons pas : rapprocher la départementalisation de Mayotte de l’évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie est, hélas, assez symbolique. L’État veut-il garder la mainmise sur la Nouvelle-Calédonie, comme il le fait avec Mayotte ? Il est vrai que des intérêts économiques liés au nickel constituent un enjeu important pour la France.

Dans un passé récent, le Gouvernement a exprimé des positions qui nous laissent sceptiques quant à l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, positions en contradiction avec l’accord de Nouméa et avec l’objectif d’accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie.

À l’occasion d’une question orale posée le 20 novembre 2007, ma collègue Nicole Borvo Cohen-Seat a interrogé Christian Estrosi, alors secrétaire d’État chargé de l’outre-mer, sur le respect de l’accord de Nouméa. En effet, lors d’un déplacement en Nouvelle-Calédonie au mois d’octobre 2006, Christian Estrosi avait insisté sur le rôle de l’État et souligné que l’avenir de la Nouvelle-Calédonie était dans la France. La réponse donnée à Nicole Borvo Cohen-Seat ne nous a pas rassurés : concluant son intervention sur le référendum d’autodétermination qui devra intervenir entre 2014 et 2018, il a affirmé avoir « le sentiment que » les Néo-Calédoniens « ne se tromperont pas lors du référendum d’autodétermination et qu’ils opteront, dans une large majorité, pour le maintien de la Nouvelle-Calédonie au sein de la France, en réaffirmant leur attachement à la République ».

Cette position gouvernementale reflète en réalité la volonté du Président de la République de maintenir la Nouvelle-Calédonie dans la France.

Lorsqu’il était candidat à l’élection présidentielle, Nicolas Sarkozy, dans sa « lettre aux Calédoniens », affirmait son souhait de voir la Nouvelle-Calédonie « confirmer » sa « volonté d’un destin français ».

Analysant le scrutin de l’élection législative de 2007, le conseil politique du Rassemblement-UMP du 23 juin 2007, constatant que 63 % des Néo-Calédoniens avaient voté pour Nicolas Sarkozy, n’a pas hésité à affirmer qu’« en votant pour Nicolas Sarkozy, près des deux tiers des électeurs calédoniens ont donc clairement exprimé leur adhésion à sa personne, à son projet pour la France, leur volonté que la Nouvelle-Calédonie reste française et que l’État assume pleinement ses responsabilités ».

M. Charles Revet. Vous l’avez dit !

Mme Éliane Assassi. Ce type de raccourci est souvent utilisé par le Gouvernement pour faire croire qu’il bénéficie d’un soutien populaire, afin de faire passer ses réformes, alors que, bien souvent, il n’en est rien.

Appliqué à la Nouvelle-Calédonie, ce raisonnement revient à oublier que 72 % des électeurs néo-calédoniens ont approuvé l’accord de Nouméa.

M. Charles Revet. 63 % !

Mme Éliane Assassi. Pourtant, le conseil politique du Rassemblement-UMP ne s’en cache pas : son projet pour la Nouvelle-Calédonie est de « garantir le maintien de la Nouvelle-Calédonie, fière de sa personnalité et de son identité, dans la France » et « de mettre un terme [...] à la lecture indépendantiste de l’accord de Nouméa ».

Il était nécessaire de rappeler ce contexte, alors que nous examinons aujourd’hui ce projet de loi organique, qui prévoit de modifier la loi organique de 1999 afin de faciliter la mise en œuvre des transferts de compétences et de modifier l’organisation institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie.

S’agissant des transferts de compétences, le projet de loi initial tirait les conséquences des décisions prises par le comité des signataires. Comme je l’ai indiqué, cette instance a approuvé, le 8 décembre dernier, les modifications de la loi organique de 1999 rendues nécessaires par les scenarios adoptés durant les travaux de réflexion.

Dans ce cadre, le comité des signataires a constaté que, « dans un souci de réalisme et de progressivité, des préalables sont requis pour certaines compétences inscrites à l’article 21-III (sécurité civile, droit civil, droit commercial). » Il a donc été décidé que « les modalités de transfert doivent tenir compte de ces préalables » et que ces compétences, destinées à être transférées dans les conditions prévues par l’article 26, « seront inscrites à l’article 27 de la loi organique du 19 mars 1999 ».

Ainsi, les articles 1er et 3 du projet de loi initial opéraient un glissement des quatre compétences de l’article 21, paragraphe III, à l’article 27.

La commission a apporté deux modifications substantielles au projet de loi initial portant sur ces transferts de compétence : elle maintient, au sein de l’article 21, paragraphe III, les quatre compétences énumérées précédemment et crée, à l’article 26 de la loi organique, un nouveau délai de deux ans durant lequel leur transfert devra avoir lieu.

Nous avons toujours souhaité que l’accord de Nouméa soit respecté. Il prévoit qu’en 2014 toutes les compétences, à l’exception des compétences régaliennes, doivent être transférées. Si l’on veut que cet accord soit respecté, il est nécessaire que ces transferts aient lieu durant l’actuelle mandature du congrès, donc avant 2014.

Le congrès ayant été renouvelé le 10 mai dernier, le Gouvernement comme la commission considèrent que le délai de six mois prévu par l’article 26 est trop court puisqu’il expire le 30 novembre 2009. Mais il s’agit simplement de prendre une décision sur les compétences à transférer dans les six mois, et non de procéder au transfert effectif des compétences. Les quatre compétences peuvent parfaitement rester inscrites au paragraphe III de l’article 21. Rallonger le délai et le porter à deux ans ne changera pas le fond du problème : pendant ce laps de temps, le congrès adoptera-t-il une décision qu’il n’a pas prise depuis 2004 ? Nous pensons que maintenir un délai de six mois permettrait, enfin, de faire avancer rapidement la question des transferts de compétences.

Je terminerai mon intervention en évoquant Mayotte.

Le Gouvernement a fait le choix, contestable - et, apparemment, je ne suis pas seule à le penser -, d’inscrire dans le présent projet de loi relatif à l’évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie la départementalisation de Mayotte.

Mes chers collègues, vous connaissez la position des parlementaires communistes sur le fond. Nous nous sommes fermement opposés à cette départementalisation. Mais un vote est intervenu, c’est vrai, monsieur Giraud, et nous respectons le choix des électeurs mahorais, qui ont opté pour la départementalisation.

Nous n’en considérons pas moins que la question de Mayotte n’a pas sa place dans ce projet de loi. C’est un signe extrêmement négatif envoyé aux Néo-Calédoniens. La départementalisation de Mayotte est un cas de partition d’un ex-territoire français, le territoire des Comores, devenu indépendant en 1975. L’État se prépare-t-il à procéder de la même manière en Nouvelle-Calédonie, alors que le point n° 5 du document d’orientation annexé à l’accord de Nouméa prévoit expressément ceci : « Le résultat de cette consultation s’appliquera globalement pour l’ensemble de la Nouvelle-Calédonie. Une partie de la Nouvelle-Calédonie ne pourra accéder seule à la pleine souveraineté ou conserver seule des liens différents avec la France, au motif que les résultats de la consultation électorale y auraient été différents du résultat global. »

Or c’est un décompte par île des Comores qui a été pratiqué en 1974 et qui conduit aujourd’hui à la départementalisation de Mayotte ; dès lors, nous ne pouvons qu’être inquiets de l’accrochage de la départementalisation de Mayotte à ce projet de loi.

Madame la secrétaire d’État, je vous demande aujourd’hui de prendre, au nom de Gouvernement, l’engagement solennel de ne pas procéder à une partition du territoire de la Nouvelle-Calédonie et de respecter l’accord de Nouméa.

Les conditions d’examen de ce projet de loi, malgré le bon travail des collaborateurs de la commission et de M. le rapporteur, sont loin d’être satisfaisantes et le flou entourant la question de Mayotte n’est pas, pour nous, anecdotique : il soulève de nombreuses interrogations. Les membres du groupe CRC-SPG ont donc déposé un amendement sur ce point, et nous serons très attentifs au sort qui lui sera réservé.

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