Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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La loi sert encore une fois de support de communication au Gouvernement

Récidive criminelle : question préalable -

Par / 17 février 2010

Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, faut-il le rappeler encore une fois, c’est à la suite d’un fait divers atroce que ce texte, enterré pendant un an, a été inscrit à l’ordre du jour des travaux du Parlement.

Si de tels faits sont de véritables drames auxquels nous ne pouvons évidemment que compatir, leur réutilisation à des fins politiques est inadmissible. Ils ne peuvent justifier une surenchère sécuritaire et répressive. C’est pourtant une pratique à laquelle le Gouvernement a désormais systématiquement recours depuis 2002, où chaque événement tragique fait naître ou resurgir un projet de loi.

En 2008, le projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental avait été présenté au Parlement dans un contexte identique. Ce n’est pourtant ni l’émotion ni la peur que chacun d’entre nous peut ressentir qui doivent guider l’action du législateur.

En s’appuyant sur des émotions, le législateur manipule l’opinion publique, s’en sert pour conduire une politique toujours plus attentatoire aux libertés publiques. En nous laissant guider par la peur, par l’obsession sécuritaire, nous sommes incidemment conduits par prudence à enfermer toujours plus longtemps – et pourquoi pas à perpétuité – et à surveiller toujours davantage, au nom d’un principe de précaution qui se fonde sur une appréciation non objective et non scientifique de l’éventualité qu’une personne condamnée ayant purgé sa peine puisse récidiver.

On manipule l’émotion légitimement ressentie, on fait peur en agitant des faits divers, dans cette société du spectacle dénoncée par Guy Debord, où le crime devient une marchandise médiatique jouant sur une fascination morbide. Tout se passe comme Daniel Boorstin l’affirmait dans les années soixante : « Nous n’allons pas mettre l’image à l’épreuve de la réalité, mais mettre la réalité à l’épreuve de l’image ».

Ces faits divers souffrent d’une distorsion médiatique et politique. Ils mettent toujours plus en avant des événements tragiques, mais heureusement isolés, et laissent ainsi penser, à tort, à une inflation de ces crimes, dont le principal avantage est de permettre la mise en place d’une politique de contrôle, de surveillance, d’enfermement et de justifier des mesures attentatoires aux libertés publiques !

Si l’on s’efforce un tant soit peu de sortir de l’émotion, ce qui est de notre devoir et ce qu’ont fait deux chercheurs en criminologie, Annie Kensey et Pierre-Victor Tournier, on constate que la récidive de crime à crime ne représente que 1 % des cas !

À chaque horrible assassinat relayé par les médias, devrons-nous durcir davantage la loi ? La rétention de sûreté créée en 2008 franchissait déjà des limites bien dangereuses en permettant l’enfermement d’un condamné, une fois la peine purgée, sans jugement, sans nouveau fait, pour une durée indéterminée et au motif d’une dangerosité impliquant une éventualité de récidive : la prison après la prison pour un fait non commis.

Ce dispositif inadmissible est aujourd’hui encore durci, avec, entre autres, mais pas seulement, la quasi-obligation de suivre un traitement antihormonal. Mais quelle sera la prochaine étape ? Doucement mais sûrement, cette surenchère peut nous mener aux réactions les plus dangereuses.

Aujourd’hui, on enferme de manière indéfinie les condamnés dangereux ayant des troubles mentaux au lieu de les soigner, mais demain peut-être les éliminera-t-on définitivement pour s’assurer qu’ils ne récidivent pas. Cette logique est bien trop dangereuse et nous devons la refuser.

Aussi, à des fins que nous pouvons clairement qualifier d’opportunistes et d’électoralistes, ce projet de loi permet au Gouvernement d’afficher sa prétendue efficacité dans la lutte contre la récidive en exploitant la fibre sensible de l’insécurité.

Eh oui, madame la ministre d’État, entre un texte sur les violences de groupe, la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, la LOPPSI 2, et le texte qui nous occupe aujourd’hui, il faudrait être naïf pour ne pas voir un tir groupé sur l’insécurité, thème cher à votre formation politique, à l’aube d’échéances électorales !

C’est toujours le même scénario et, encore une fois, nous n’y échappons pas !

Là est également le problème : la loi sert encore une fois de support de communication au Gouvernement. Elle lui permet, dans une démarche, que je qualifierais de populiste et d’électorale, de justifier d’une prétendue action dont la nécessité, je l’ai dit mais je le répète, est davantage fondée sur la capacité à agiter les peurs populaires qu’à s’appuyer sur une quelconque réalité de ce que représente la récidive.

Ce projet de loi est le quatrième à s’attaquer à la récidive depuis 2002 ! Si un constat devait être fait, j’aurais plutôt tendance à penser que cette multiplication de lois prouve l’incapacité des dispositions prévues précédemment à régler le problème et une vraie nécessité à changer de politique pénale.

Ce projet de loi s’inscrit davantage dans une démarche de communication. On pourrait imaginer qu’il vient pallier une absence ou une insuffisance de dispositifs, mais ce n’est évidemment pas le cas. Comme le souligne le rapport « Amoindrir les risques de récidive criminelle des condamnés dangereux » du 30 mai 2008 de Vincent Lamanda, que nous avons évoqué à plusieurs reprises, notre arsenal juridique est déjà suffisamment coercitif pour prévenir les risques de récidives.

En effet, la loi du 27 juin 1990 permet d’interner les malades mentaux, criminels ou non, préventivement, en dehors de toute conduite délictueuse ou de crime. La loi du 17 juin 1998 institue le suivi socio-judiciaire qui permet d’imposer aux condamnés des obligations telles que le placement sous surveillance électronique mobile et l’injonction de soins.

Le 12 décembre 2005, une nouvelle loi crée le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes et assortit la surveillance judiciaire d’un grand nombre d’obligations dans le délai de la réduction de peine accordée, notamment l’assignation à domicile et le maintien à distance des mineurs.

Enfin, la loi de 2008 instaure la rétention et la surveillance de sûreté qui permet tout de même l’enfermement à vie de criminels jugés dangereux selon un pronostic arbitraire !

Pour lutter contre la récidive, la loi ne fait pas défaut, loin de là. En créer une nouvelle est ainsi complètement inutile. Ce nouveau projet de loi venant s’ajouter à une profusion de mesures législatives n’est pas seulement inutile, il est également inadmissible.

Il illustre à quel point le Gouvernement méprise le travail des parlementaires. Il l’utilise bel et bien, n’hésitant pas à déposer projet de loi sur projet de loi, s’en servant comme d’un instrument d’affichage politique et ne se souciant guère de la qualité du travail produit ni du bon fonctionnement démocratique.

La dernière loi portant création de la rétention et de la surveillance de sûreté n’est que partiellement appliquée, pourtant, ce nouveau projet de loi a été déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale en novembre 2008.

Ainsi, alors que le Gouvernement s’est permis d’attendre un an entre son dépôt et son inscription à l’ordre du jour fin 2009, le projet de loi est soudainement décrété urgent ! Quel motif peut donc justifier si soudainement la nécessité d’adopter une loi en procédure accélérée alors qu’une année a pu s’écouler sans que cela semble primordial ?

Surtout, si urgence il y a, elle vient du Gouvernement qui souhaite couper court au débat parlementaire : il est urgent d’amputer toujours davantage le Parlement des maigres pouvoirs qu’on a encore daigné lui laisser !

Et je ne suis pas seule à le penser : l’excès est tel que MM. Larcher et Accoyer ont annoncé la création d’un groupe de travail pour « améliorer la qualité de la loi et les conditions de son élaboration ». Eux-mêmes font le constat d’une loi qui devient trop déclarative et qui se dévalorise, d’une loi redondante, dont le projet de loi d’aujourd’hui est une parfaite illustration. « Une bonne loi », affirment-ils encore, « nécessite un temps de réflexion incompressible. Il en va de la sécurité juridique de nos concitoyens et du bon fonctionnement de la démocratie ».

Cet élément justifie à lui seul, pour le bon fonctionnement de la démocratie, que la délibération du projet de loi soit suspendue pour rétablir des conditions de débats parlementaires convenables !

Cependant, si ce seul élément le justifie pleinement, malheureusement, le contenu du texte nous donne encore bien d’autres raisons de l’invoquer.

En effet, nous sommes face à un constat invraisemblable : une absence totale d’étude d’impact. C’est alarmant. Comment débattre intelligemment, qui plus est, en procédure accélérée, si aucune étude d’impact sérieuse n’a été effectuée au préalable pour évaluer l’effet des lois précédentes pourtant nombreuses ?

Cette absence de transparence est véritablement problématique. L’adoption d’une nouvelle loi dans un domaine où le Gouvernement a tant légiféré ces dernières années ne doit se faire qu’après analyse des conséquences et de l’utilité des lois précédemment adoptées.

Cependant, on ne comprend que trop bien les raisons de cette absence : effectuer une étude d’impact reviendrait à supposer que cette loi a une autre intention que celle de donner l’illusion d’une action du Gouvernement. Cela mettrait également en lumière le fait que la plupart des mesures législatives d’ores et déjà adoptées par le Parlement en matière de récidive n’ont tout simplement pas les moyens de s’appliquer et sont inefficaces, et pour cause ! Nous avons ainsi souligné, par le biais d’amendements déposés en commission des lois et inspirés du rapport Lamanda, l’absence de moyens accordés à la justice.

Il est ainsi nécessaire de renforcer les secrétariats des services de l’application des peines des juridictions. Leur nombre insuffisant, face à l’augmentation spectaculaire de l’activité des juges de l’application des peines, peut se traduire par des retards dans le traitement des dossiers.

Dans le même esprit, il est indispensable que le Gouvernement augmente le nombre de conseillers d’insertion et de probation, de façon à permettre aux services pénitentiaires d’insertion et de probation, les SPIP, d’effectuer des suivis renforcés et de mettre en place un accompagnement adapté à chaque condamné pour prévenir efficacement le risque de récidive.

Nous vous proposons également d’augmenter les effectifs des médecins coordonnateurs et les moyens dont sont dotés les services médicaux psychologiques afin de pallier leur pénurie dans le système judiciaire. À l’heure actuelle, les injonctions de soins ne peuvent être mises en place de façon satisfaisante dans plus de la moitié des juridictions !

Il paraît ainsi d’autant plus inutile de généraliser l’injonction de soins et de rendre le traitement antihormonal quasiment obligatoire que le suivi médical ne pourrait être effectif.

Enfin, une attention particulière doit être portée à la médecine pénitentiaire, en complétant la formation des médecins, en particulier des psychiatres, et en revalorisant les conditions matérielles de leur intervention en milieu pénitentiaire. Cette proposition entend remédier à l’insuffisance de l’intervention des médecins psychiatres dans les lieux de détention.

De plus, l’utilisation et les effets des traitements inhibiteurs de libido doivent impérativement faire l’objet d’une étude approfondie ! Leur utilité et leur efficacité ne sont pas avérées, leur utilisation est largement contestée par grand nombre de médecins et leurs effets secondaires sont encore mal connus ; il paraît donc aberrant de généraliser de tels traitements sans une meilleure connaissance de leurs effets réels et de leur capacité à apporter véritablement des solutions à des problèmes dont il ne faut pas oublier l’origine avant tout psychologique.

Une question se pose : comment appliquer des décisions de prise en charge psychiatrique des personnes en prison sans moyens humains et budgétaires supplémentaires ?

Or la France est le pays d’Europe qui dépense le moins par habitant pour sa justice : elle occupait en 2008 le trente-cinquième rang européen, avec un budget représentant seulement 2 % de celui de l’État.

Mais si cette absence d’étude permet également au Gouvernement d’éviter d’affronter les véritables causes de la récidive, la situation dramatique des prisons françaises et la nécessité d’entreprendre de véritables réformes adaptées sont frappantes.

Les conditions de détention dans les prisons françaises sont inhumaines, avec une augmentation du nombre de suicides en prison et des conditions de travail de l’ensemble des personnels totalement dégradées. La surpopulation carcérale, avec 55 000 places de prison pour 63 000 personnes incarcérées, est d’ailleurs la conséquence immédiate de la multiplication des lois répressives censée apporter des solutions à la récidive criminelle.

Le résultat est, bien au contraire, la création de structures inhumaines, non adaptées à la survie et qui peuvent entrainer de nouvelles souffrances, de nouvelles pathologies et de nouvelles violences. La prison est le véritable espace de l’injustice sociale, de la misère et de la souffrance. En cela, elle est elle-même créatrice de violence et de récidive. Il est donc urgent de changer de politique pénale, en se dirigeant vers un accompagnement et un suivi social, médical et judiciaire adapté, pendant les détentions.

L’accumulation de mesures pénales répressives ne résoudra en rien la question délicate de la récidive, elle l’aggravera même davantage, tant que les prisons françaises resteront cette « humiliation pour la République », selon les termes utilisés par la commission d’enquête sénatoriale, qui avait déjà tiré la sonnette d’alarme en 2000.

Je finirai en citant Vincent Lamanda, dans son rapport intitulé « Amoindrir les risques de récidive criminelle des condamnés dangereux ».

« Le phénomène [de récidive criminelle], à des degrés divers, selon les lieux et les époques, marque malheureusement l’histoire du monde. C’est pourquoi, il faut s’efforcer de le juguler au mieux, faute de pouvoir jamais le supprimer.

« L’objectif […] était bien celui-là : viser à une meilleure appréhension de ce risque, inhérent, en quelque sorte, à la nature humaine, et rechercher les moyens de le réduire toujours. […]

Il ne pouvait s’agir d’atteindre l’illusoire idéal d’une société sans récidive criminelle, mais de contribuer à éclairer […] une société qui, consciente de sa propre part de violence, se doit d’être lucide et vigilante à la fois. »

La lucidité, madame la ministre d’État, doit nous faire voir toute la responsabilité de l’État, de par son incapacité à donner les moyens nécessaires à la prévention de la récidive criminelle pour que les mesures existantes puissent s’appliquer.

La vigilance nous pousse aujourd’hui à affirmer qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la discussion sur ce texte, dangereux pour la loi, le Parlement, la justice française et la démocratie !

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