Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Les conditions de préparation et d’examen de ce texte ne sont pas satisfaisantes

Modernisation de l’action publique territoriale et affirmation des métropoles : demande de renvoi en commission -

Par / 30 mai 2013

Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, il est, j’en conviens, un peu tard pour présenter une motion, d’autant qu’il n’y a pas grand-monde dans l’hémicycle, ce qui est bien dommage.

M. Louis Nègre. La qualité remplace la quantité, ma chère collègue ! (Sourires.)

Mme Éliane Assassi. Pour une fois, je suis d’accord avec vous, monsieur Nègre !

Selon nous, les conditions d’examen au Sénat du projet de loi dit « de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles » ne sont pas satisfaisantes.

Comme cela a été rappelé, depuis plusieurs mois, près de dix avant-projets ont circulé. Une fois finalisé, après consultation du Conseil d’État, le projet fut scindé – certains ont employé d’autres verbes ; moi, j’utilise celui-là – en trois textes avant son passage en conseil des ministres, faisant perdre une visibilité globale, s’agissant tant de la cohérence des contenus que du rythme d’examen par les assemblées.

La séparation en trois textes, qui s’est faite dans la précipitation, a abouti à de fortes incohérences dans le projet du Gouvernement. Ainsi, le premier texte fait référence au Haut conseil des territoires, un organe présenté comme essentiel par François Hollande lors des États généraux, mais qui ne sera créé que dans le troisième texte ! Je pourrais mentionner également les chefs de filat créés en faveur de certaines collectivités sur des compétences qui ne leur sont pas encore attribuées, comme la qualité de l’air pour les communes…

Par-delà ces désordres rédactionnels, ces textes, chacun le sait, soulèvent beaucoup d’interrogations – nous l’avons encore vu aujourd’hui –, d’inquiétudes, voire de colère ou de désarroi, et suscitent l’opposition de très nombreux acteurs de la vie locale.

Cette profonde contestation du projet s’est d’ailleurs traduite par une réécriture importante, complexe du texte par la commission des lois, particulièrement par M. le rapporteur, dont je salue le talent et qui a su également développer des qualités d’écoute et de respect de la parole de chacun. Soyons néanmoins lucides, aucune réunion de la commission des lois n’a pu favoriser un échange de fond sur les enjeux de cette réforme.

Certains se plaisent à dire que la commission des lois a travaillé : c’est tout de même la moindre des choses ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Tout à fait !

Mme Éliane Assassi. Il s’agit d’un texte qui structurera non seulement la vie de nos institutions, mais surtout celle de nos concitoyens dont il est peu question depuis le début de l’après-midi.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. C’est vrai !

M. Louis Nègre. Je suis d’accord !

Mme Éliane Assassi. De nombreuses interventions étaient désincarnées ; on ne parlait plus des gens, ce qui est tout de même un problème quand on traite de nos institutions. Voilà pourquoi, écoutant le propos de mon ami Christian Favier, je me suis dit : « enfin de l’humain ! »

Certes, nous avons travaillé, mais soyons humbles, pour ne pas dire très humbles. Rappelons-nous ce pour quoi nous avons été élus : nous sommes là pour travailler, pour réfléchir et pour construire une vision de notre société qui réponde, in fine, aux besoins et aux attentes de nos concitoyens.

Examiner des centaines d’amendements jusqu’à trois heures du matin, nous savons le faire.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. On est là pour ça…

Mme Éliane Assassi. Oui, mais permettez-moi de noter que tous ne sont pas là ce soir…

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Ce n’est pas exceptionnel, hélas !

Mme Éliane Assassi. Il s’agit d’un texte dont chacun désire se préoccuper. Or, à l’évidence, peu d’élus semblent vouloir y consacrer du temps, du travail et de la réflexion !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Il faut le dire à ceux qui sont absents...

Mme Éliane Assassi. Bien sûr, mais, proportionnellement, vous en conviendrez, les élus de mon groupe sont présents.

Revenons-en au texte. Dans ces conditions, il a été difficile, pour ne pas dire impossible, aux sénateurs qui ont déposé des amendements d’en exposer les objets et de les défendre.

C’est donc finalement un nouveau texte, celui que nous examinons aujourd’hui, qui est sorti laborieusement des travaux de la commission des lois. Ce nouveau texte n’est disponible que depuis neuf jours, week-end de la Pentecôte compris. Les sénateurs de la commission, mais aussi tous les autres, n’ont eu alors qu’une toute petite semaine pour examiner ce nouveau texte et proposer des amendements pour la séance.

Monsieur le président de la commission des lois, le Président de la République dans son discours de Dijon, il y a quelques semaines, déclarait qu’il faisait confiance au Sénat pour réécrire, s’il le fallait, ce texte. C’est fait : reste à savoir si c’est bien fait…

De plus, le rapporteur et vous-même, monsieur le président de la commission des lois, expliquiez dès les premières auditions, devant la contestation soulevée par certaines parties du texte, que celui-ci allait être profondément modifié. Finalement, il avait été annoncé depuis plusieurs semaines que le texte serait réécrit, mais il n’a pas été prévu pour autant d’accorder des délais supplémentaires pour l’examiner. Le président du Sénat annonçait même l’ouverture d’une large concertation avant l’examen du projet de loi par la Haute Assemblée, rappelant les très intéressants États généraux des collectivités territoriales qui ont eu lieu à l’automne dernier.

En définitive, le Gouvernement n’a tenu compte d’aucune de ces propositions, les a balayées d’un respectueux revers de main et a inscrit cette réforme à l’ordre du jour du Sénat, à une date rapprochée, sans tenir compte des délais nécessaires à son examen. La nouvelle concertation annoncée, reprenant l’esprit des rencontres d’octobre, s’est en fait traduite par une simple multiplication d’auditions – soixante-dix au total – en un peu plus de trois jours par la commission des lois. Ce travail a débouché sur une réécriture du texte par le rapporteur, sans qu’aucune nouvelle consultation n’ait été possible ni même envisagée !

Sur le premier texte, soixante-dix auditions ont été conduites. Pourquoi n’avons-nous prévu aucune audition sur le deuxième texte ? Comme beaucoup de sénateurs dans cet hémicycle, j’ai rencontré les élus de mon département – lundi soir, pour ne rien vous cacher – et je leur ai parlé d’un texte dont ils ne savaient absolument rien. Ils ne connaissaient que le texte du Gouvernement, avant sa réécriture par la commission des lois du Sénat. C’est un problème démocratique !

L’idée très intéressante d’un aller-retour entre les élus, les citoyens et les associations d’élus, défendue par le président du Sénat, et que nous soutenions, a donc été abandonnée. La réalité fut tout autre. C’est une commission des lois réduite à sa portion congrue, en pleine nuit, qui a finalement débattu pour l’essentiel des propositions du rapporteur, aussi bonnes soient-elles, lequel a réécrit le texte.

Ce qui s’est produit va radicalement à l’encontre de l’esprit des États généraux des collectivités territoriales, qui furent le projet du président du Sénat et qui connurent une belle réussite démocratique à laquelle nous avons contribué, au Sénat comme dans nos départements. Notre assemblée n’a pas pu se saisir sérieusement de ce texte malgré sa mission de représentant des collectivités territoriales.

Mesdames les ministres, mes chers collègues, la démocratie est au cœur de la réflexion qui m’anime ce soir. Mon intention n’est pas de polémiquer. Ce projet fait débat ; sa profonde réécriture accentue encore un sentiment de précipitation et d’incertitude ressenti sur de nombreuses travées. Le nombre d’intervenants inscrits dans la discussion générale est, à cet égard, révélateur. Aussi, nous pensons qu’il faut prendre le temps de l’échange pour remettre cette réforme à l’endroit, en s’appuyant sur l’exigence démocratique qui croît considérablement dans notre pays.

Nous pensons que le Sénat n’est pas prêt à examiner ce projet de loi dans de bonnes conditions. Des expériences récentes en matière d’ordre du jour ont montré qu’il ne fallait pas confondre vitesse et précipitation. Rappelez-vous l’inscription à l’ordre du jour, dès le 5 septembre dernier, du projet de loi sur le logement, qui s’est soldé par une censure du Conseil Constitutionnel.

Cette motion tendant au renvoi en commission ne vise pas à reporter l’examen d’un texte, mais vise à créer de bonnes conditions pour l’examen d’un nouveau texte. Les éléments-clés de ce texte, qu’il s’agisse de la mise en place des conférences territoriales et de la création des métropoles, ont été profondément remaniés.

Alors que le rôle du Gouvernement est, à notre sens, de proposer une perspective d’organisation harmonieuse du territoire, nous assistons de manière détestable – j’ose le terme – à l’émergence d’un débat qui préfigure une France morcelée, éclatée entre quelques immenses collectivités drainant compétences, moyens financiers et capacités de développement au détriment de grandes zones en proie à la désertification.

Vu l’ampleur de l’enjeu pour l’avenir de notre pays et de nos concitoyens, cette réforme mériterait une tout autre réflexion qu’une simple réunion – ce qualificatif n’est pas péjoratif – de la commission des lois, dont je suis membre. Dans ces conditions, nous prenons le risque que chacun – cela s’est vu encore cet après-midi – défende son territoire, sa collectivité, son EPCI, sa métropole, centré sur sa conception, soucieux, en fait, de la pérennisation de véritables « baronnies », oublieux d’un développement harmonieux du territoire. Tout cela pourrait aboutir à accentuer la mise en concurrence de ces mêmes territoires. De ce point de vue, nos débats de cet après-midi étaient assez caricaturaux.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Ils étaient intéressants !

Mme Éliane Assassi. L’un n’exclut pas l’autre, monsieur le président de la commission !

Ainsi, l’objet de la mise en place de ces nouvelles grandes métropoles échappe à un nombre croissant de personnes, y compris sur nos travées. Si nous faisions une interrogation écrite, je ne suis pas sûre que mes collègues donneraient les bonnes réponses... En revanche, ce qui est compris par un nombre croissant d’élus, c’est le déficit démocratique que créera l’instauration d’une nouvelle strate territoriale singulièrement éloignée des citoyens. La complexité du concept de métropole, son absence de cohérence justifient pleinement la remise en chantier du projet de loi, d’autant que l’opposition monte considérablement parmi les élus locaux, et fort heureusement pas seulement à Marseille, mademoiselle Joissains.

L’autre point fort de notre demande de renvoi en commission est l’incohérence du découpage en trois textes du projet de loi initial du Gouvernement. Pour résumer, nous avons pris les choses à l’envers : je crois que M. le rapporteur partage ce constat.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Tout à fait !

Mme Éliane Assassi. Quoi qu’il en soit, à l’heure où je vous parle, nous ne savons strictement rien des modifications qui pourraient intervenir sur les deux autres textes : c’est incroyable ! Bref, nous avons perdu toute visibilité de l’ensemble de la réforme, au-delà même du calendrier surréaliste qui nous est proposé. Monsieur le rapporteur, il apparaît indispensable d’éclairer la commission sur votre vision globale de la réforme. À ce titre, j’aurais plusieurs questions à vous poser.

Quels outils donnerez-vous aux communes, par exemple, pour se protéger de l’influence écrasante des futures métropoles, tant pour celles qui en seront membres que pour toutes les autres, qui subiront leur mise en place ? Pouvez-vous, sans avoir cette vision globale, démentir solennellement aujourd’hui l’idée que les métropoles seront des outils de réduction des dépenses par la mutualisation des moyens, mais aussi par voie de conséquence des outils de réduction de l’offre de service public ? Les départements et les communes ne seront-ils pas cantonnés à un rôle de proximité, sans pouvoir décisionnel réel ?

Un autre élément important qui fonde notre demande de renvoi en commission est l’absence de visibilité sur les contrats de plan que le Premier ministre doit, selon ses propres dires, présenter d’ici à l’été.

Mme la présidente. Veuillez conclure, chère collègue !

Mme Éliane Assassi. En effet, une dépêche nous apprenait, mardi, que M. Ayrault avait déclaré, devant le groupe socialiste : « j’ai […] annoncé aux sénateurs socialistes que le Gouvernement travaillait à relancer les contrats de plan État, régions, grandes collectivités ». L’annonce est ainsi faite que l’État va dorénavant contracter non plus seulement avec les régions, mais aussi avec de « grandes collectivités », sans savoir lesquelles, ni dans quels domaines !

Autre question, est-il concevable de débattre aujourd’hui de la création d’une nouvelle strate institutionnelle, les métropoles, sans connaître leur place dans le dispositif annoncé ?

De même, nous avons appris le lancement, pour le mois de juin prochain – donc dans quelques semaines –, d’un « pacte de confiance » déterminant en particulier la répartition des dotations de l’État et un cadre rénové pour garantir l’autonomie financière et fiscale des collectivités, sans que les départements soient réellement assurés de la compensation totale du transfert des versements des allocations de solidarité nationale auquel ils doivent faire face.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Non !

Mme Éliane Assassi. Puisque vous semblez disposer de la réponse, le bon sens n’aurait-il pas voulu que le Sénat ait connaissance de ces perspectives financières avant de se lancer dans la réorganisation de l’architecture institutionnelle des territoires ?

Cette question de l’avenir des finances locales est au cœur d’une réforme décentralisatrice audacieuse, porteuse de progrès et de développement du service public. Or à notre sens, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission des lois, notre commission n’a pas éclairé le Sénat sur le réalisme de la réforme proposée dans le cadre de l’exigence de réduction des dépenses publiques souhaitée, voulue et, dirai-je, imposée par Bruxelles.

Mme la présidente. Il faut conclure, madame la sénatrice.

Mme Éliane Assassi. Je conclus, madame la présidente, mais certains de mes collègues ont usé de beaucoup plus de temps.

Je voudrais tout de même vous lire une des recommandations de M. Barroso.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Quel rapport ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Je ne suis pas d’accord avec M. Barroso !

Mme Éliane Assassi. Il y est question de l’acte III de la décentralisation et, pardonnez-moi, monsieur le président, c’est un peu ce qui nous occupe depuis ce matin. Que dit M. Barroso ? « À cet égard, l’examen en cours des dépenses publiques (modernisation de l’action publique) qui concerne non seulement l’administration centrale, mais aussi les administrations des collectivités locales et de la sécurité sociale devrait indiquer comment améliorer encore l’efficacité des dépenses publiques. Il est également possible de rationaliser davantage les différents niveaux et compétences administratifs afin d’accroître encore les synergies, les gains d’efficacité et les économies. La nouvelle loi de décentralisation prévue – c’est bien ce dont nous parlons – devrait traiter de cette question ».

Cet extrait est tiré d’une lettre de M. Barroso ; je ne l’ai pas inventé. Il serait donc intéressant que nous puissions aussi discuter de ces différents points à l’occasion du débat qui va nous occuper dans les prochains jours. Compte tenu de tous ces éléments, la commission, nous semble-t-il, doit réexaminer le texte et ses propres propositions, à l’aune des injonctions de la Commission européenne.

J’aurais encore beaucoup à dire, madame la présidente, mais j’ai bien conscience d’abuser de mon temps de parole. J’en termine donc pour laisser la parole à M. le président de la commission des lois qui, j’en suis certaine, va se faire un plaisir de nous répondre.

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