Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Nicolas Sarkozy a échoué en matière de lutte contre la délinquance

LOPPSI 2 -

Par / 7 septembre 2010

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « la sécurité est la première des libertés »… C’est à partir de ce leitmotiv sarkozyste qu’un collectif de la droite populaire a publié, la semaine dernière, un appel dans un quotidien.













Dans cet appel, les députés signataires affirment connaître les racines des problèmes liés à la délinquance. Je les cite : « Connaître et reconnaître les causes d’un problème, c’est déjà avoir la volonté de le régler. L’apparition de quartiers ethniques en France, symbole de l’échec d’une immigration incontrôlée durant plus de trente ans, et le taux de chômage des étrangers non communautaires qui a atteint 24 % en 2009 devraient suffire par eux-mêmes à convaincre les plus irresponsables en la matière. »













Ils poursuivent ainsi : « Les mesures prises depuis 2007 et celles préconisées par le Président de la République à Grenoble vont dans la bonne direction. »













Toutefois, ils ne manquent pas, dans cet appel, de nous rappeler que cela passe par l’adaptation de notre code pénal.













J’oserai dire que la messe est dite.













Cet appel – qui est sans doute une commande – plante assez bien le décor du projet de société de la droite ultralibérale et des dérives dont elle est capable dès lors qu’elle plonge notre pays dans l’insécurité sociale.













Outre que ces allégations sont complètement fausses, xénophobes et outrageantes et qu’elles peuvent exciter des passions nationalistes, cet appel est fort intéressant car il résume à merveille l’esprit du projet de loi que nous nous apprêtons à discuter et le socle idéologique à partir duquel il a été bâti.













Nous sommes aujourd’hui saisis de la vingt-troisième loi sécuritaire depuis 2002.













Les majorités de droite empilent les textes répressifs tout en sachant que les résultats de cette politique ne servent à rien, si ce n’est à légitimer de façon malhonnête des politiques sécuritaires qui frappent toujours plus dur. De toute évidence, nous n’en avons pas fini avec cette surenchère puisque le Président de la République a tranché hier : la déchéance de la nationalité pour tout meurtrier de policier ou de gendarme va être incluse dans le texte sur l’immigration à la fin du mois au mépris de l’article 1er de notre Constitution. Pour peu qu’il se produise d’ici là un nouveau fait divers dramatique, je n’ose imaginer de quoi vous serez capables…













Pour en revenir à la LOPPSI, contrairement aux assertions du Gouvernement et au préambule du rapport de la commission des lois, les résultats ne sont pas bons en matière de délinquance. En janvier dernier, optimiste, vous fustigiez les « professionnels du dénigrement »…













M. Brice Hortefeux, ministre. Oui !













Mme Éliane Assassi. … qui avaient refusé de constater la baisse des chiffres de la délinquance.












Mais le « ministère de la vérité » – je l’entends bien évidemment au sens du roman 1984 de George Orwell – aura eu raison des plus sceptiques.












Après neuf ans de hausse ininterrompue, la délinquance avait brusquement, ou miraculeusement, baissé de 1 %, et ce grâce à une « mobilisation accrue des policiers » et des gendarmes mais aussi « des entreprises de la sécurité privées » : on comprend maintenant mieux pourquoi elles deviennent de fidèles auxiliaires de la protection publique grâce à ce projet de loi.













Selon vous, il suffisait donc d’un simple surcroît de volonté politique, dont vous avez le secret, bien sûr, pour obtenir de meilleurs résultats que votre prédécesseur.













Mais cette baisse ne concernait en réalité que, d’une part, les infractions commises par de « petits voyous », comme vous vous plaisez à les appeler, à savoir celles qui sont liées aux voitures, aux deux-roues ou à leur dégradation et, d’autre part, la délinquance économique et financière, c’est-à-dire celle qui est commise par de grands voyous, comme vous refusez à les appeler, ceux mêmes que l’actualité nous conduirait légitimement à dénoncer.













Mais c’est toujours la petite délinquance que la droite préfère viser alors que, de l’autre côté du prisme, la délinquance en col blanc est soigneusement écartée des débats, confortée par la dépénalisation du droit des affaires.












La vérité est que, globalement, la délinquance n’a pas baissé. Les violences faites aux personnes ne cessent de croître – augmentation de 2,8 % en 2009 –, les forces de police – auxquelles je rends hommage moi aussi – dénoncent publiquement la dictature du chiffre, qui les empêche d’accomplir leurs véritables missions, les juridictions françaises et européennes épinglent tour à tour notre procédure pénale en raison de la négation croissante des droits de la défense, en particulier dans le cadre du placement en garde à vue.













En témoigne d’ailleurs la récente décision du Conseil constitutionnel, rendue le 30 juillet dernier, qui vient abonder nos préoccupations en la matière, en pointant l’utilisation abusive de la procédure de la garde à vue de la part des autorités, sans garanties nécessaires pour le respect des droits de la défense.












En plus d’ouvrir la porte à de nombreuses dérives, la réponse systématiquement répressive donnée aux problèmes de sécurité est, on ne peut qu’objectivement le constater, un échec cuisant à tout point de vue.













Et pourtant, force est de le constater, vous insistez et vous persistez dans cette voie, en ajoutant à l’invraisemblable arsenal des lois votées depuis 2002 une énième loi de surenchère.












Malgré le ton et la philosophie martiale du texte qui souligne les menaces en tous genres pour justifier les mesures mises en place, police et gendarmerie n’échappent pas à l’arbitraire arithmétique de la RGPP.













Les deux précédentes lois avaient lancé l’offensive : 3 500 postes de gendarmerie supprimés d’ici à 2012, suppression de 4 829 équivalents temps plein dans la police au cours des trois ans à venir, sans oublier le gigantesque plan social de la loi de programmation militaire 2009-2014 qui supprime encore plus de 50 000 postes.












C’est ainsi que le rapport que l’on nous demande d’adopter évoque les nécessaires « économies d’échelle » et autres « synergies » pour justifier le dégraissage des « emplois de soutien techniques et administratifs des deux forces ».













Ainsi que le soulignait le directeur de la police nationale, Frédéric Péchenard, lors de son audition à l’Assemblée nationale, la totalité des postes créés ultérieurement dans la police se voient détruits ou redéployés à l’orée de 2010.












À la bonne heure, la LOPPSI a trouvé des solutions pour pallier cette baisse drastique des effectifs. Elles sont toutes articulées autour d’une externalisation dramatique des pouvoirs de police, qui sont pourtant des compétences régaliennes par excellence.













La première consiste à faire du directeur de la police municipale d’une ville comptant plus de quarante agents un agent de police judiciaire. En plus des nombreuses compétences qui lui sont dévolues, ce que nous regrettons, il ne viendra cependant pas renforcer les chiffres de la garde à vue car il n’aura pas ce pouvoir…












Néanmoins, en ouvrant grand la porte du pénal à un fonctionnaire de l’administration territoriale qui, à la différence d’un policier ou d’un gendarme, n’a reçu aucune formation en la matière – ce que souligne d’ailleurs le Conseil constitutionnel dans sa décision rendue à propos de la garde à vue –, on peut s’interroger sur l’objectif visé.












La seconde « astuce » que vous avez trouvée est l’institution d’un corps de volontaires de la police nationale et d’un autre corps de civils affiliés à la police nationale, conformément au souhait exprimé à maintes reprises par Nicolas Sarkozy.













Si ces vœux devenaient concrets, sachez-le, ils auraient des relents tout à fait nauséabonds, qui devraient être impérativement dissipés. S’il s’agit effectivement d’un corps de citoyens mandatés pour effectuer les basses œuvres de la police nationale en faisant régner l’ordre sans habilitation, je suis désolée, mais il vaudrait mieux parler de milice !












Le flou du texte à ce sujet ne nous éclaire en rien sur les missions qui seront confiées à ces escadrons. Les lacunes de la politique sécuritaire du Gouvernement ne justifient pas d’en arriver à de telles extrémités et ne justifient pas non plus à ce jour – si on s’accorde en effet pour dire que le métier de policier n’est effectivement pas un métier comme les autres – d’octroyer des pouvoirs de police à de simples citoyens. Soit c’est un aveu de faiblesse, soit c’est une entreprise des plus condamnables.













Une autre mesure phare, qui a aussi trait à l’accélération de la suppression d’un poste de fonctionnaire sur deux, est l’extension de la vidéosurveillance. En effet, je continuerai de la désigner ainsi, tant est dérisoire la tentative de jouer avec la sémantique pour ancrer dans les esprits le bien-fondé de la vidéosurveillance.












Si les mots ont effectivement encore un sens, la vidéosurveillance n’a rien de protecteur et ne peut en aucun cas être assimilée à une forme de protection. La plupart du temps, elle intervient seulement a posteriori, une fois que les infractions sont commises, pour en éclairer le déroulement ou éventuellement permettre l’identification des auteurs.












À l’aune du fiasco que constitue la vidéosurveillance outre-Manche – je ne m’étendrai pas sur le cas de Londres –, il nous paraît tout à fait exagéré de prétendre qu’il s’agirait d’une protection. Monsieur le ministre, tous les pays qui en ont fait l’expérience font état d’une inutilité de ces systèmes (M. le ministre fait un signe de dénégation.), qui ne font en réalité que déplacer la délinquance vers des lieux non surveillés. Si l’on met cela en rapport avec le coût de ces installations, augmenter la couverture du territoire pour arriver à 60 000 caméras relève pratiquement du délire.













En toute logique, il aurait fallu que les parlementaires disposent d’une évaluation précise du coût pour se rendre compte de l’absurdité de la chose en ces temps de vaches maigres. Prenons comme exemple la ville de Saint-Étienne, dotée de dispositifs de vidéosurveillance depuis 2001. Si on additionne les coûts d’installations, les coûts d’aménagement d’un centre de supervision, les coûts de maintenance – qui augmentent considérablement en cas de dégradation – et la masse salariale, cela coûte annuellement à la ville la modique somme de…1,3 million d’euros pour un taux d’élucidation de 1 % des infractions. Ajoutons que la ville ne compte qu’une soixantaine de caméras… Alors 60 000 !













Outre l’absurdité complète de la chose, cette somme représente le traitement de nombreux fonctionnaires de police, mais vous n’en avez cure puisque vous êtes décidés à faire une guerre d’affichage à de vils délinquants présumés, en enrôlant les entreprises les mieux intentionnées pour la prévention de la terreur puisque celles-ci pourront installer des systèmes de vidéosurveillance, y compris sur la voie publique.












En renfort de l’extension des dispositifs du fichage et de vidéosurveillance de la population, vous ouvrez la possibilité du port du bracelet électronique à toute personne condamnée en état de récidive à une peine d’emprisonnement supérieure ou égale à cinq ans. Sans surprise, cette mesure concernerait aussi les étrangers assignés à résidence.












Je rappelle que la CNIL, en juillet dernier, a constaté que ce bracelet était également utilisé pour surveiller les salariés dans des établissements hébergeant des personnes âgées dépendantes.













La CNIL a également souligné l’insuffisance de protection des données personnelles et des dispositifs de sécurisation des données largement perfectible. Et voilà que vous voulez à présent l’étendre aux étrangers et à de nombreux ex-détenus. Conjugué à la mise en place de mouchards informatiques à distance sur des personnes présumées cybercriminelles, vous l’avouerez, cela fait beaucoup !












L’installation des mouchards sera contrôlée par le juge d’instruction, qui est indépendant de l’exécutif. Or, de toute évidence, vous voulez vous séparer des juges d’instruction. En ce cas, c’est le procureur de la République, qui, lui, dépend du parquet, qui prendra le relais. Ce serait un beau tour de passe-passe si la manœuvre n’était pas si grossière.












C’est donc à coup de caméras, de bracelets électroniques, de Taser ou autres armes à « létalité réduite », et de fichage massif de la population que le Gouvernement entend rasséréner la France.












En plus de l’atteinte disproportionnée à la vie privée que ce dispositif de fichage amplifié constitue, vous n’êtes pas sans le savoir, monsieur le ministre, l’utilisation de fichiers d’antécédents à des fins administratives peut avoir des conséquences irrémédiables, notamment sur l’emploi des personnes qui y figurent, souvent à tort, car maintenues malgré une décision d’acquittement ou de relaxe.












Les délais d’exercice du contrôle par l’autorité judiciaire, qui interviendra nécessairement a posteriori, ne permettront pas d’éviter les dérives occasionnées par des mentions injustifiées. Autre bizarrerie, le procureur de la République assisté d’un magistrat pourra prendre une décision de maintien dans les fichiers des données relatives aux personnes relaxées ou acquittées. Sachant que les logiciels de rapprochement judiciaire autorisent les services de police à ficher les données personnelles de toute personne visée par une enquête, cela peut faire beaucoup de monde...













Vous contrevenez donc délibérément à deux principes essentiels : la présomption d’innocence et la séparation des pouvoirs.












D’abord, aux termes de l’article 66 de la Constitution, c’est l’autorité judiciaire qui est reconnue comme la gardienne des libertés individuelles.












Ensuite, je rappelle, car cela semble nécessaire, qu’en vertu de la présomption d’innocence un individu est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable.












Mais cela ne constitue pas l’essentiel des innovations de la droite en matière d’indépendance de la justice.













Après la révision de la carte judiciaire, qui s’est aussi faite à coup de « rationalisation », autre terme à la mode du verbiage néolibéral, et qui avait déjà commencé à dépecer le service public de la justice, vous préconisez à présent la généralisation de la visioconférence. Et vous n’en êtes pas à votre première tentative.












M. Brice Hortefeux, ministre. Effectivement !












Mme Éliane Assassi. Il s’agissait de réduire le nombre d’extractions, considérées comme des « charges indues », de 5 % afin de se préparer à « la réduction à venir des effectifs des services de police et de gendarmerie ». Ainsi vous fallait-il trouver des solutions économiques pour subvenir à une inflation carcérale historique.












La visioconférence concernerait aussi la présentation aux fins de prolongation de la garde à vue ou la retenue judiciaire. Sauf qu’une audience n’est ni un brainstorming, monsieur le ministre, ni une émission de téléréalité. Bref, tout cela n’est pas très sérieux.












L’absence de confrontation physique est donc très inquiétante.












Il est intolérable de demander à un détenu de livrer une partie de son intimité à un juge à travers son écran pour la simple et bonne raison que la Constitution lui reconnaît, à lui comme à l’ensemble des citoyens, le droit à la dignité.













Autre nouveauté saisissante, l’extension des peines planchers aux violences aggravées, qui répond à la même logique.












Les « crapules » – comme vous les appelez – qui s’en prennent aux autorités publiques…












M. Louis Nègre. Vous les appelez comment ?












Mme Éliane Assassi. Je ne les appelle pas comme cela ni par d’autres noms dont vous êtes assez friands !












Les « crapules », disais-je, qui s’en prennent aux autorités publiques seront passibles d’une période de sûreté de trente ans ou d’une peine de sûreté incompressible. Ces peines étaient jusqu’à présent réservées lorsqu’il y a eu viol, torture ou acte de barbarie. Par ailleurs, le dispositif de la loi du 10 août 2007 est étendu aux délinquants auteurs de violences aggravées, qu’ils soient récidivistes ou non. Quid, encore une fois, du principe d’individualisation des peines ?












Vous perpétrez ainsi cette relation de domination violente entre l’État, qui n’a plus que les apparences d’un État de droit, et ses citoyens. Cela ne fera que rendre plus âpres les relations entre la police et la population, et ternira davantage l’image des autorités publiques.













Nous, les sénateurs communistes, républicains et citoyens, ne nous laisserons pas aller aux commentaires de l’actualité et nous ne nous détournerons pas des graves questions de fond que pose ce texte car nous sommes radicalement opposés au projet de société que vous entendez construire en contraignant toujours plus les contre-pouvoirs.












Monsieur le ministre, que les choses soient claires : le problème n’est pas qu’un gouvernement s’occupe de la sécurité de ses concitoyens. J’oserai dire que c’est la moindre des choses. Le problème est que celui auquel vous appartenez utilise le thème sécuritaire à coups de démonstrations parfois simplistes pour tenter de détourner les citoyens de leurs véritables préoccupations que sont l’emploi, les retraites, l’école, la santé, le pouvoir d’achat, sans oublier la sécurité, tout en les opposant les uns aux autres. En fait, vous leur dites en substance : « Renoncez à vos droits ; en échange de quoi, nous vous offrons la protection ».













Fort heureusement, nos concitoyens ne sont pas dupes, comme en témoignent le peu de crédit qu’ils accordent aujourd’hui à votre projet de société et les mobilisations comme celle de samedi dernier pour dénoncer la xénophobie d’État et celle d’aujourd’hui – que nous saluons – contre votre réforme des retraites.













En tout état de cause, nous entendons nous saisir du débat sur la LOPPSI pour faire valoir une autre vision de la sûreté de nos concitoyens et des territoires sur lesquels ils vivent et travaillent.































































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