Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Réforme de l’adoption

Par / 23 juin 2005

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,

La proposition de loi sur l’adoption que nous examinons aujourd’hui entend donner un cadre à une procédure longue et complexe, qui concerne 25 000 familles en France actuellement en attente d’un enfant.

Dans l’adoption, il y a l’enfant et les personnes qui, pour diverses raisons, ne peuvent pas avoir d’enfants ou, en ayant déjà, décident d’agrandir leur famille en en adoptant. Je le dis clairement, quelque soit le désir des adultes, il ne faut jamais oublier que c’est toujours l’intérêt de l’enfant qui doit primer. La Défenseure des enfants, Claire Brisset, utilise à ce propos une formule tout à fait adaptée : « l’adoption consiste à offrir un foyer à un enfant qui en est privé et non pas un enfant à un foyer qui en aurait le désir. »

S’agissant des enfants issus des pays pauvres, j’aurais envie de dire spontanément que leur premier intérêt serait de ne pas être adoptables. Il est toujours regrettable que des enfants soient abandonnés et donc soumis à l’adoption car cela signifie que le niveau de vie de leur famille est tellement faible qu’elle ne peut assurer l’éducation des enfants. C’est pourquoi je suis un peu gênée d’entendre le précédent ministre de la famille se réjouir et souhaiter l’augmentation des adoptions dans les années à venir.

D’un autre côté, il est évident que des enfants ont le droit de grandir dans des conditions de vie acceptables, qui leur permettent de s’épanouir comme tous les autres enfants, et dans ce cas, faciliter la procédure d’adoption internationale était non seulement nécessaire mais surtout urgent.

L’adoption est actuellement régie par les lois de 1996 et 2001 pour l’adoption internationale, après que les lois de 1966 et de 1976 ont autorisé l’adoption par les célibataires et par les couples ayant déjà des enfants. Cependant, malgré cette législation, le système français de l’adoption se révèle peu efficace.

L’écart entre le nombre d’agréments et le nombre d’enfants adoptés ne cesse de se creuser : en 2004, 5 000 adoptions ont été réalisées, et sont en majorité des adoptions d’enfants de nationalité étrangère. Le nombre d’adoptions d’enfants français ne cesse pour sa part de diminuer, puisqu’il s’établit à 1 500 adoptions par an environ. Cette situation crée au sein des familles des insatisfactions et explique le recours de plus en plus fréquent à l’adoption internationale.

La procédure d’adoption doit donc être réformée, tant en ce qui concerne la procédure d’agrément que l’organisation des démarches individuelles des familles. Il est courant de parler de véritable parcours du combattant pour des familles qui souhaitent adopter des enfants étrangers.

La procédure d’agrément est aujourd’hui très imparfaite. Actuellement, c’est le conseil général de chaque département qui a la responsabilité de l’agrément des parents adoptifs, qu’il s’agisse d’un enfant né en France ou à l’étranger. Elle est de ce fait inégalement appliquée d’un département à l’autre, les taux d’agrément pouvant varier de 66% à 98%.

Théoriquement, l’enquête qui suit la demande d’agrément ne doit pas dépasser neuf mois, puisque c’est le délai imparti au conseil général pour donner ou non l’agrément aux personnes candidates à l’adoption. Mais de manière générale, ce délai est souvent dépassé.

Par ailleurs, les variations des taux d’agrément qui existent entre les départements s’expliquent en partie par les écarts de pratiques entre les services de l’aide sociale à l’enfance, certains départements rajoutant des critères d’agrément qui leur sont propres, tels que le refus d’agrément aux personnes célibataires ou aux couples ayant déjà des enfants, comme si les lois de 1966 et de 1976 n’existaient pas.

Une harmonisation au niveau national apparaissait donc nécessaire, afin de ne pas décourager les candidats à l’adoption.

La proposition de loi permet de ce point de vue une amélioration de la procédure d’agrément au niveau départemental, puisqu’elle met en place un document dont la forme et le contenu seront identiques sur l’ensemble du territoire. L’agrément sera ainsi plus précis pour les autorités des pays d’origine des enfants. Nous espérons maintenant, si la procédure d’agrément tend à s’uniformiser, que les enquêtes d’agrément soient effectuées dans le respect de la loi. Mener ce type d’enquête est une activité très spécifique, qui doit être de la compétence de professionnels formés, bénéficiant d’un encadrement de grande qualité. La Défenseur des enfants regrette d’ailleurs que les enquêteurs ne disposent pas d’un guide d’entretien national. Mais peut-être aurez-vous une réponse à nous apporter à ce sujet monsieur le Ministre ?

Par ailleurs, il nous semble cohérent de ne demander qu’un seul agrément lorsque les candidats à l’adoption souhaitent adopter une fratrie, au lieu de déposer une demande par enfant. Cette disposition permettra de raccourcir les délais d’adoption de plusieurs enfants simultanément, ce qui est évidemment dans l’intérêt des enfants.

Enfin, les réunions d’information prévues pendant la période d’agrément seront utiles afin que les familles ne se sentent pas livrées à elles-mêmes une fois l’enfant arrivé dans le foyer.

L’information et l’accompagnement des familles candidates à l’adoption sont en effet essentiels, notamment lorsqu’il s’agit d’adoption internationale. La multiplication des interlocuteurs pour les familles adoptantes ne leur simplifie pas leur parcours. Entre la Mission de l’adoption internationale, chargée de diffuser l’information aux familles tout en étant le relais des autorités étrangères chargées de l’adoption internationales et les organismes agréés pour l’adoption, les OAA, très sélectifs dans le choix des dossiers qu’ils acceptent de traiter, il est souvent difficile d’accéder à l’adoption internationale par ce biais.

En ce sens, la création de l’Agence française de l’adoption rendra les démarches d’adoption internationale plus simples.

En effet, l’Agence Française de l’Adoption est destinée à aider et orienter les parents candidats à l’adoption dans leurs démarches. Elle est conçue comme une troisième voie, qui viendra à côté des démarches individuelles (59 % des adoptions à l’étranger) et des organismes agréés pour l’adoption, les OAA, lesquels sont le plus souvent des associations, à l’instar de Médecins du monde.

Cependant, la seule création de l’Agence française de l’adoption ne sera pas suffisante si, dans les pays d’origine des enfants adoptables, les personnels consulaires français ne sont pas mis à contribution. Toujours dans le souci d’un meilleur encadrement des parents adoptifs, ces personnels devront recevoir une formation permettant de leur apporter un soutien moral, mais aussi des renseignements de qualité concernant la fiabilité des divers organismes d’adoption présents dans le pays d’origine afin de les aider à éviter les filières mafieuses.

Par ailleurs, nous émettons des doutes quant à la forme juridique choisie pour cette agence, qui sera constituée en un groupement d’intérêt public, ce qui exonère l’Etat d’une partie de sa mission de service public en matière d’adoption. Nous nous posons également des questions sur le financement de cette agence, et nous craignons une fois encore que sa création ne soit synonyme de transferts de charges aux départements non compensés par l’Etat.

L’adoption internationale a également un coût, généralement très élevé puisqu’il est compris entre 10 000 et 20 000 euros pour un enfant. L’importance de ce coût rend inégales les familles devant l’adoption.

Nous estimons ce coût devrait être mieux pris en charge par la solidarité nationale. La proposition de loi prévoit que le montant de la prestation d’accueil du jeune enfant, la PAJE, sera majoré en cas d’adoption. En l’occurrence, il est prévu que la prime d’adoption, qui constitue l’une des composantes de la PAJE, sera doublée, et passerait ainsi de 800 euros à 1600 euros environ. Nous restons malgré cela bien en deçà des besoins financiers rencontrés par les familles adoptantes. Nous souhaiterions par exemple qu’une aide soit accordée au cas par cas et selon les ressources des familles adoptantes.

Toutes ces dispositions apparaissent positives en faveur d’une procédure d’adoption facilitée, ce qui est dans l’intérêt des enfants adoptables en attente d’une famille.

Mais ces mêmes dispositions contrastent avec certaines décisions récentes du gouvernement et une mesure adoptée à l’Assemblée nationale.

En effet, dans le projet de loi portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique, le gouvernement a décidé de supprimer le congé d’adoption auquel a droit un fonctionnaire en plus de son congé de paternité, au motif que le régime général de la sécurité sociale ne prévoit pas cette possibilité pour les salariés du secteur privé en cas d’adoption. Lors de l’examen de ce texte dans notre assemblée, nous souhaitions la suppression de cette disposition. Elle est pourtant contraire à la générosité affichée dans la présente proposition de loi. Nous proposerons donc que soit rallongé le congé d’adoption.

Enfin, ce texte contient un article qui n’est pas acceptable. L’article 3 prévoit en effet de rendre adoptables les enfants dont les parents se trouvent dans un état de grande détresse, ce qui n’est pas le cas actuellement. Cette mesure mérite un débat de fond : les difficultés sociales et financières importantes que rencontrent certaines familles ne sont pas synonymes d’une volonté d’abandon des enfants. Il arrive néanmoins que des parents cessent de s’occuper de leurs enfants, et dans ce cas, que doit-on faire des enfants ? Les couper de leur famille ou non ? C’est une question que l’on ne peut pas trancher en supprimant simplement du code civil la condition qui interdit l’abandon judiciaire d’enfants de familles en grande détresse.
L’adoption de cet article par l’Assemblée nationale donne encore l’impression d’une stigmatisation des foyers les plus modestes, et c’est pourquoi nous demanderons la suppression de l’article 3 afin que s’engage un débat sur les moyens appropriés d’aider ces familles à rester unies.

Nous défendrons par ailleurs des amendements qui paraissent nécessaires pour améliorer le texte, notamment concernant la possibilité d’adopter quelque soit son orientation sexuelle ou encore concernant les enfants dont la loi personnelle interdit l’adoption. Nous conditionnons notre vote à l’adoption ou non de nos amendements.

Dans tous les cas, qu’il s’agisse d’adoption d’enfants de nationalité française ou étrangère, notre volonté est certes de faciliter la procédure d’adoption, afin d’offrir rapidement un foyer aux enfants qui en ont besoin, mais également de donner, à chaque fois que cela est possible, les moyens aux familles ou aux pays pauvres de ne pas se retrouver dans l’obligation d’abandonner leurs enfants.

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Bio Express

Éliane Assassi

Sénatrice de Seine-Saint-Denis - Présidente du groupe CRCE
Membre de la commission des Lois
Elue le 26 septembre 2004
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