Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

Lire la suite

Remettons la démocratie à l’endroit, restaurons les droits du peuple et des élus face au marché

Election des sénateurs -

Par / 13 juin 2013

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, modifier le mode de scrutin d’une élection, et a fortiori de celle de l’une des deux chambres du Parlement, n’est pas un acte anodin.

Ce n’est pas un acte anodin au regard du rôle premier que joue une assemblée comme le Sénat, mais surtout dans le contexte actuel marqué par une défiance accrue de nos compatriotes à l’égard de la représentation politique et des élus.

Ce contexte est celui d’une crise politique grave, qui est non pas une crise de régime, mais bien une crise de la démocratie face à la mondialisation financière et au transfert du pouvoir du politique vers l’économie.

Cette crise dépasse donc largement nos frontières et s’exprime d’une manière ou d’une autre dans de nombreux pays et tout particulièrement en Europe.

Le débat d’aujourd’hui n’a bien entendu pas vocation à trouver des réponses à des questions si fondamentales, mais les idéaux de transparence, de juste représentation, de pluralisme et de renouvellement ne peuvent être absents de cette discussion sur le mode de scrutin sénatorial.

Une chose paraît évidente aux sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen : une réforme du mode de scrutin sénatorial ne peut être débattue sans une réflexion sur le rôle et la représentativité du Sénat sur le fonctionnement actuel du Parlement dans son ensemble.

Le Front de gauche et le Parti Communiste français en son sein l’affirment fortement depuis des années : la Vème République est un verrou démocratique qu’il est grand temps de faire sauter. (Oh ! sur les travées de l’UMP.)

M. Bruno Sido. Rien que ça !

Mme Éliane Assassi. Elle porte en elle la concentration du pouvoir entre les mains d’un seul homme désigné au terme d’une élection plébiscite, l’élection du Président de la République au suffrage universel direct. Le peuple, dans un contexte de crise économique et sociale particulièrement sévère, se considère à juste titre bien loin des lieux de décisions, qu’ils soient nationaux, européens ou mondiaux.

Je ne prendrai qu’un exemple, celui de l’élaboration du budget de la nation. Cet acte politique majeur a toujours été, de fait, l’apanage du pouvoir exécutif, le Parlement étant limité à un rôle secondaire dans l’élaboration et en quelque sorte condamné à voter un texte qu’il n’a pas construit, l’article 40 de la Constitution réduisant de manière quasi absolue son pouvoir d’initiative en la matière.

L’Europe, dans sa logique libérale, a creusé un profond fossé entre les peuples. Une sorte d’oligarchie européenne décide maintenant, depuis le traité budgétaire européen ratifié par notre pays cet automne, du contenu des budgets des pays consentants. C’est la désormais tristement fameuse règle d’or.

Vous me direz, mes chers collègues, que je suis hors sujet. (Sourires.)

M. Henri de Raincourt. Ça arrive !

M. Jean-Claude Gaudin. Ce n’est pas grave !

Mme Éliane Assassi. Non, rassurez-vous, je ne suis jamais hors sujet, il y a toujours un lien.

Toute réforme institutionnelle ne doit-elle pas être tournée vers la restauration de la confiance entre les représentants et le peuple et vers l’amélioration radicale de cette représentation ?

Pour parvenir à cet objectif, il faut engager une réforme institutionnelle d’ampleur, saisir le peuple directement par la mise en place d’une assemblée constituante – j’ai eu l’occasion de l’évoquer encore hier à l’occasion du débat sur l’article 11 de la Constitution – et d’une nouvelle République, d’une VIème République.

Dans ce cadre, la réflexion pour une réforme profonde du Sénat doit être engagée. Une première question s’impose : le bicamérisme est-il nécessaire et utile à la démocratie ?

Le bicamérisme fut une invention institutionnelle pour calmer l’ardeur d’une assemblée unique, ardeur symbolisée par la Convention thermidorienne. La Vème République a rétabli pleinement un Sénat temporisateur, pour ne pas dire conservateur (Exclamations sur les travées de l’UMP.)…

M. Henri de Raincourt. Vous nous faites de la peine !

Mme Éliane Assassi. … alors que la IIe République avait supprimé la seconde chambre et que la IVe République avait réduit à la portion congrue ses compétences.

Les interrogations de notre groupe sur les modalités actuelles du bicamérisme trouvent donc leur source dans l’histoire de notre pays.

Le mode d’élection des sénateurs pose en lui-même problème. Le mode de scrutin est indirect et s’appuie sur un collège électoral particulièrement réduit.

Est-il démocratique qu’une assemblée qui ne tire pas directement sa légitimité des suffrages du peuple dispose de pouvoirs quasiment équivalents à ceux de l’Assemblée nationale qui, pour les lois ordinaires et les lois organiques ne concernant pas le Sénat, a le dernier mot mais peut être confronté au blocage de celui-ci ?

Pour les lois constitutionnelles ou les lois organiques qui concernent le Sénat, les pouvoirs de ce dernier sont équivalents à ceux de l’Assemblée nationale.

Est-ce justifiable démocratiquement ? Ne peut-on légitimement évoquer une anomalie démocratique ?

La souveraineté populaire indirecte peut-elle avoir le même poids que la souveraineté populaire directe ? Un vrai débat sur cette question devrait enfin avoir lieu.

De plus, la part encore dominante des sénatrices et des sénateurs élus selon le mode de scrutin majoritaire favorise, en lien avec le caractère indirect de l’élection, une certaine « notabilisation » de la fonction. (M. Ladislas Poniatowski s’exclame.)

En effet, c’est la proportionnelle qui garantit le pluralisme, le renouvellement, le rajeunissement et la parité.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Bravo !

Mme Éliane Assassi. Je m’arrêterai maintenant sur le contexte politique particulier de notre débat et sur un paradoxe qui, je l’espère, n’échappera à personne.

C’est au Sénat depuis 2011 que le débat politique est le plus dynamique. C’est au Sénat que la confrontation des idées apparaît plus fortement, notamment au sein de ce qu’il est convenu d’appeler la majorité présidentielle.

M. Philippe Dallier. En reste-t-il une ?

Mme Éliane Assassi. Nous aurons ce débat ailleurs, monsieur Dallier ! (Exclamations sur les travées de l’UMP.)

C’est aussi au Sénat, et cela date d’avant 2011, que l’opposition pèse le plus.

Ainsi, est-ce dans l’assemblée qui, de toute évidence, ne dispose pas de la plus grande proximité avec le peuple, qui ne dispose pas, il faut le dire, de la plus grande légitimité démocratique, que semblent se retrouver dans des proportions plus proches de la réalité les différentes forces politiques françaises.

L’absence absolue de représentation proportionnelle, combinée avec l’inversion du calendrier qui place les élections législatives sous la tutelle directe de l’élection présidentielle, bloque le débat démocratique au palais Bourbon, dominé par le parti du Président, quel qu’il soit.

À l’Assemblée nationale, nous avons l’image du Parlement dans le cadre d’un régime semi-présidentiel ; et au Sénat, nous avons l’image d’un Parlement dans le cadre d’un régime parlementaire puisant sa force du pluralisme et de la richesse du débat.

Les sénateurs du groupe CRC, ainsi bien évidemment que les sénatrices (Ah ! sur les travées de l’UMP et du RDSE.), jouent tous leur rôle dans cette situation, mais ils alertent sur l’urgence d’une modification du mode d’élection des députés, en instaurant la proportionnelle qui est l’une des clefs pour rétablir le lien entre population et politique. Il n’est plus supportable qu’un parti qui se réclame de la droite ou de la gauche dispose de la majorité des sièges de députés alors qu’il est largement minoritaire en voix.

Persévérer dans cette direction, c’est maintenir la démocratie sur la tête. Il est temps de la remettre à l’endroit !

Cette supériorité démocratique indéniable est acquise par défaut. C’est l’injustice flagrante du mode d’élection des députés qui gêne actuellement sa lisibilité politique.

Il était nécessaire d’effectuer ce rappel pour comprendre l’attitude de mon groupe. Nous ne nous satisfaisons aucunement de la situation actuelle qui confère de fait la primauté du débat démocratique à l’assemblée qui n’est pas élue au suffrage universel direct.

Remettre la démocratie à l’endroit, restaurer le pouvoir du peuple et de ses représentants face aux marchés exigent bien entendu que soient prises d’autres dispositions qu’une modification, même radicale, du mode de scrutin. Je l’ai déjà indiqué, il faut redonner le pouvoir budgétaire au Parlement, conformément à l’esprit et à la lettre de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Il faut permettre une véritable maîtrise de l’ordre du jour par le Parlement, ce qui commence par donner du temps à l’élaboration législative.

L’organisation des semaines de travail parlementaire par la révision de 2008 est – disons-le ! – un échec. Je saisis l’occasion qui m’est offerte par notre discussion pour rappeler l’urgence d’une modification du calendrier parlementaire.

Au nom de l’exercice de son pouvoir de contrôle en fait bien significatif, le Parlement ne dispose pas du temps nécessaire pour débattre efficacement et démocratiquement des initiatives du pouvoir législatif. La précipitation est de mise face à l’inflation législative, qui nuit, de manière évidente, à la démocratie.

Pourquoi était-il possible, il y a quelques années, d’avoir de grands débats, longs si nécessaire, qui permettaient d’aller au fond des choses, alors que, aujourd’hui, au bout de quelques jours de débats non anticipés par le Gouvernement, celui-ci se sent obligé d’imposer le vote bloqué pour respecter le calendrier, ou plutôt son calendrier ?

M. Bruno Sido. Elle a raison !

M. Jean-Claude Gaudin. Eh oui !

Mme Éliane Assassi. Au-delà du mode de scrutin, il reste à beaucoup faire pour redonner un souffle démocratique à nos institutions. Ces deux exemples l’attestent.

Le texte qui nous est proposé ne répond pas, bien sûr, à toutes ces interrogations. Cependant, en faisant le choix d’abaisser le seuil d’application de la proportionnelle aux départements qui élisent trois sénateurs et plus, le Gouvernement va dans le sens d’un renforcement du pluralisme et du renouvellement.

Ce texte permettra également de progresser vers la parité. Je salue, à cette occasion, l’excellent travail effectué par mon amie Laurence Cohen au nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Avec la délégation, elle propose des améliorations que le groupe CRC soutiendra, bien évidemment. Je pense, en particulier, à l’amendement important qui permettrait d’imposer une forme de parité entre titulaire et suppléant, dans les départements encore soumis au mode de scrutin majoritaire. À mon sens, le Sénat pourrait adopter cette disposition à l’unanimité.

M. Henri de Raincourt. Ah ?

Mme Éliane Assassi. En effet, même les partisans indéfectibles du scrutin majoritaire ne peuvent contester l’utilité d’une telle mesure pour promouvoir la parité.

Nous approuverons donc ce texte, mais en émettant une forte réserve, relative au collège électoral.

M. Henri de Raincourt. Alors, cela ne sert à rien !

M. Bruno Sido. Donner et retenir ne vaut !

Mme Éliane Assassi. Tout en restant dans le cadre d’un scrutin indirect – nous ne changerons pas la Constitution aujourd’hui –, il apparaîtrait utile d’élargir le collège sénatorial, pour permettre une plus grande légitimité démocratique.

Nous n’étions pas favorables à un changement qui se serait opéré par le biais d’une plus forte représentation des conseils régionaux et généraux. En effet, cela n’aurait pas amélioré le pluralisme. Nous estimons plutôt nécessaire, dans le cadre imposé aujourd’hui, de préserver la représentation sur une base communale, qui nous semble la meilleure garantie d’une juste représentation des territoires dans le cadre d’un scrutin indirect.

En 1999, le Conseil constitutionnel avait censuré la disposition instaurant le principe d’un délégué par tranche de 300 habitants pour l’ensemble des communes. Il avait fondé sa décision sur la trop forte représentation en dehors des conseillers municipaux.

M. Jean-Claude Gaudin. Bien sûr !

M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. Tout à fait !

Mme Éliane Assassi. Nous proposons aujourd’hui de reprendre le chiffre initial du projet défendu par Jean-Pierre Chevènement, alors le ministre de l’intérieur, permettant la désignation d’un délégué pour 500 habitants. Il me semble que ce chiffre permettrait de revenir dans le cadre fixé par le Conseil constitutionnel.

De toute manière, une jurisprudence du Conseil constitutionnel n’empêche aucunement le Parlement de voter une nouvelle loi, qui sera soumise à nouveau au Conseil constitutionnel.

Aussi, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe communiste républicain et citoyen votera-t-il le projet de loi…

M. Henri de Raincourt. Hélas !

Mme Éliane Assassi. … sans illusion excessive sur sa portée...

M. Rémy Pointereau. Pourquoi le voter alors ?

Mme Éliane Assassi. … dans le cadre de la crise démocratique que nous vivons aujourd’hui, mais avec la certitude que la marche vers la proportionnelle est la seule voie pour garantir une représentation plus démocratique et paritaire.

Les dernieres interventions

Lois Ce texte est un patchwork de mesures diverses et trop limitées

Réforme de l’adoption (nouvelle lecture) - Par / 26 janvier 2022

Lois Une société du contrôle permanent

Responsabilité pénale et sécurité intérieure : conclusions de la CMP - Par / 16 décembre 2021

Lois L’homosexualité n’est pas une maladie

Interdiction des pratiques visant à modifier l’orientation sexuelle - Par / 7 décembre 2021

Lois Une justice manquant cruellement d’ambition

Confiance dans l’institution judiciaire : conclusions de la CMP - Par / 18 novembre 2021

Lois Le gouvernement suit sa tradition de surenchère répressive

Responsabilité pénale et sécurité intérieure - Par / 18 octobre 2021

Lois La Ve République est à bout de souffle

Intérêt à agir en matière de recours pour excès de pouvoir - Par / 14 octobre 2021

Lois Une politique d’accueil défaillante

Intégration des jeunes majeurs étrangers - Par / 13 octobre 2021

Lois Les budgets des SDIS sont trop corsetés

Volontariat des sapeurs-pompiers - Par / 22 septembre 2021

Lois Ce pouvoir fracture le pays

Gestion de la crise sanitaire : conclusions de la CMP - Par / 25 juillet 2021

Administration