Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Simplification du droit : conclusions de la commission mixte paritaire

Par / 18 novembre 2004

par Eliane Assassi

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,

Nous voilà arrivés au terme de la discussion de ce deuxième projet de loi d’habilitation, en attendant le troisième du nom.

En effet, depuis 2002, les parlementaires sont régulièrement amenés -je devrais dire abusivement amenés- à connaître de projets de loi contenant des demandes d’habilitation du gouvernement à prendre, par ordonnances, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi.

Certes, le recours aux ordonnances n’est pas nouveau, et doit normalement répondre à une certaine lenteur du processus législatif. Tous les gouvernements l’ont utilisé d’ailleurs, à droite comme à gauche. Cependant, les sénateurs communistes républicains et citoyens se sont toujours opposés à cette pratique, que nous considérons comme spoliatrice des pouvoirs du Parlement.

Nous pourrions également qualifier le recours aux ordonnances comme étant exponentiel. Force est de constater que les vingt dernières années ont connu une intensification de l’utilisation de cette procédure. Les deux dernières constituent un bel exemple d’abus d’utilisation des ordonnances.

En 2003, le projet de loi habilitant le gouvernement à simplifier le droit comportait initialement 29 articles. La loi du 2 juillet 2003 qui en découle comporte quand à elle 37 articles.
Cette fois-ci, le projet de loi que nous achevons d’examiner comportait à l’origine 61 articles. Le voici doté, après son ultime examen par la commission mixte paritaire, de 94 articles.

C’est un triste record : le Parlement se trouve complètement écarté de l’élaboration de la loi. Des domaines entiers échappent ainsi à son contrôle.

La procédure des ordonnances, procédure d’exception, est tout simplement en train de se banaliser. Jean Gicquel, professeur de droit à l’Université Paris I, résume parfaitement la situation : « Non seulement il ne s’agit pas d’une procédure normale de gouvernement mais elle dévalorise aussi le Parlement ». Nous ne pouvons que partager cet avis sur les conséquences d’une utilisation trop fréquente des ordonnances par le Gouvernement. Les parlementaires ne devraient pas accepter de se dessaisir eux-mêmes d’un pouvoir qu’ils tiennent pourtant du peuple français.

Par ailleurs, il convient de relever certaines incohérences de cette procédure.

En effet, de nombreux articles de ce projet de loi d’habilitation auraient pu faire l’objet d’une discussion approfondie dans le cadre d’autres projets que nous avons été amenés à examiner.

Je prendrai quelques exemples. L’article 13 permettrait au gouvernement de simplifier le code de l’urbanisme. Pourquoi cette question n’a-t-elle pas été évoquée lors des débats sur le projet de loi de rénovation urbaine ?

Le problème est le même pour l’article 27 portant sur les logements sociaux, qui aurait pu être discuté dans le cadre de la loi de cohésion sociale, dont nous avons débattu plus d’une semaine, et cela il y a quinze jours à peine.

Idem pour les articles 30 et 32 portant respectivement sur les abattoirs, les accords interprofessionnels laitiers et les sociétés coopératives agricoles, dont les dispositions auraient pu être discutées dans le cadre du projet de loi sur le développement des territoires ruraux.

Toutes ces dispositions auraient donc pu faire l’objet d’un débat public au sein du Parlement. Il n’en est rien, et nous déplorons fortement cette absence de transparence dans le processus législatif.

Il convient donc de s’interroger sur la pertinence du recours aux ordonnances. Pourquoi les multiplier alors que nous examinons moult projets de loi -l’ordre du jour est plutôt chargé depuis deux ans- qui pourraient prévoir les dispositions que vous entendez prendre par ordonnances ?

Cela aurait au moins le mérite de la clarté et de la transparence, les parlementaires pourraient en débattre démocratiquement.

L’absence de débat public et démocratique est-il le prix à payer pour simplifier notre droit et réformer l’Etat ? Je ne le pense pas.

Pourtant, une telle utilisation des ordonnances ne peut que nous interroger sur votre volonté d’écarter le Parlement de ces deux enjeux primordiaux pour nos concitoyens.

Simplifier le droit, nous l’avons dit à de multiples reprises lors de l’examen de ce projet de loi, est un objectif devenu essentiel aujourd’hui. Avec plus de 8000 lois et 400 000 textes réglementaires, nous détenons un triste record en termes d’inflation législative.

Il est temps d’y mettre fin, nous sommes bien d’accord. Mais pas au détriment du Parlement, et donc des citoyens.

Le recours intensif aux ordonnances porte en effet préjudice aux citoyens, car ceux-ci n’auront pas accès au droit dans des conditions acceptables. Les projets de loi d’habilitation passent totalement inaperçus, tout autant que les ratifications implicites, telles qu’il y en a aux articles 51 bis et suivants de ce projet de loi.
Comment dans ces conditions rendre la loi plus accessible et plus compréhensible aux citoyens ? C’est impossible.

Par ailleurs, la superposition des ordonnances, des lois et des règlements ne fait qu’accroître la complexité de notre législation. Or, l’accumulation des normes juridiques entraîne inégalité et insécurité pour les citoyens.
Et finalement, l’objectif de simplification du droit ici défendu par le gouvernement se trouve être contre-productif.

Ce projet de loi d’habilitation, outre qu’il fait peser de lourdes menaces, une fois encore, sur le rôle du Parlement, conforte la situation actuelle d’insécurité juridique et de non accessibilité de la norme pour les citoyens.

L’habilitation considérable demandée aujourd’hui par le gouvernement, sur des pans entiers de notre droit, pose une véritable question de vie démocratique. Le Parlement ne peut se dessaisir lui-même de son pouvoir sans que cela ait des conséquences sur notre démocratie. Il est temps que nous nous posions la question de la redéfinition du rôle de la loi et du Parlement dans son élaboration.

C’est pourquoi le groupe communiste républicain et citoyen votera contre ce texte.

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