Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Attachons-nous à défendre les conditions de travail concrètes des policiers, qui sont des travailleurs du service public

Sécurité publique -

Par / 24 janvier 2017

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, à quelques mois de la fin de la législature, nous sommes appelés une nouvelle fois à nous prononcer – dans l’urgence – sur des mesures aux conséquences lourdes pour des pans de notre droit.

Dicté par la grogne policière de l’automne dernier, à la suite de l’agression violente de quatre fonctionnaires à Viry-Châtillon – qu’on ne peut que condamner –, ce texte portant sur des mesures de sécurité intérieure nous est soumis dans un contexte anxiogène d’inflation de lois antiterroristes depuis plusieurs années et de multiplication de dispositifs d’urgence depuis le 13 novembre 2015.

Le Gouvernement nous propose – c’est le cœur du projet – de refondre l’usage des armes des forces de l’ordre, dans la continuité de la loi « antiterroriste » du 3 juin 2016, qui prévoit déjà que les policiers, les militaires de l’opération Sentinelle, les gendarmes et les douaniers peuvent faire usage de leur arme en cas de « périple meurtrier ».

Ainsi note-t-on une fois encore un glissement des lois d’exception vers notre droit commun de plus en plus dicté par le tout-sécuritaire. Espérons que ces mesures ne trouveront pas une application dans la répression de la délinquance « ordinaire » plutôt que dans la lutte contre le terrorisme.

L’alignement du cadre d’usage des armes des policiers nationaux sur celui des gendarmes, qui permettra de s’affranchir du principe de riposte immédiate présidant normalement à l’ouverture du feu, n’a pourtant pas toujours recueilli l’assentiment du Gouvernement… Et pour cause, l’idée est depuis longtemps un leitmotiv du Front national, repris par certains syndicats de police et par Nicolas Sarkozy en 2012.

Depuis 2012, la même mesure a fait l’objet de cinq initiatives parlementaires : quatre des Républicains et une de M. Masson. Toutes ont été rejetées.
Au-delà du projet de société qu’elle porte en elle, nous pensons pour notre part qu’elle est inutile, inefficace, voire dangereuse pour nos forces de l’ordre elles-mêmes.

En 2013 déjà, la commission des lois du Sénat relativisait l’idée selon laquelle les policiers sont dans une situation d’insécurité juridique : « Seuls quelques cas d’usage des armes ont donné lieu à des mises en cause de policiers », rappelait le Sénat.

D’après la direction générale de la police nationale, « seulement » 120 procédures liées à des cas de légitime défense et d’ouverture du feu ont été transmises à l’IGPN au cours des cinq dernières années. Le nombre de condamnations qui en émane est plus marginal encore.

Par ailleurs, si le nouveau régime est adopté, il sera soumis au respect des principes d’« absolue nécessité » et de « stricte proportionnalité », comme l’exige la convention européenne des droits de l’homme en son article 2, qui consacre le droit à la vie. C’est pourquoi, si l’exécutif pense qu’il est nécessaire de légiférer pour libérer les coups de feu, il oublie que l’Europe a déjà condamné à plusieurs reprises des gendarmes ayant fait usage de leur arme « illégitimement ».

Outre la refonte de l’usage des armes, le texte prévoit notamment des dispositions concernant l’anonymisation des procès-verbaux et la répression des outrages à personnes dépositaires de l’autorité publique. Autant de mesures censées répondre aux revendications des policiers à l’automne dernier, ou plutôt aux revendications de certains de leurs leaders autoproclamés. Car, je vous rappelle, mes chers collègues, que les premiers mots d’ordre des policiers alors mobilisés portaient, d’une part, sur des revendications matérielles – la vétusté des locaux, les véhicules, les protections inadaptées – et, d’autre part, sur des revendications « salariales », telles que les millions d’heures supplémentaires accumulées.

Or, une fois encore, le Gouvernement élude la question des moyens. La mise en place de ces mesures ne masquera pas la « paupérisation » des deux forces de l’ordre, qui ne disposent plus des moyens en fonctionnement et en investissement pour assurer leurs missions. Attachons-nous donc à défendre les conditions de travail concrètes des policiers, qui sont des travailleurs du service public, et notre sécurité publique n’en sera que renforcée !

En outre, si le Gouvernement reprend une préconisation de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice, il « oublie » que l’INHESJ préconise, en parallèle à cet alignement, la mise en place d’un magistrat référent par cour d’appel en matière d’usage des armes, ou encore le renforcement de la formation des policiers. Qu’en est-il de ces propositions ?
À mon tour, permettez-moi de citer Laurent-Franck Liénard, avocat au barreau de Paris, spécialiste de la défense des membres de forces de l’ordre : « Qu’il s’agisse de la police ou de la gendarmerie, la formation est la honte de notre pays. » C’est inquiétant…

Nous vous invitons, monsieur le ministre de l’intérieur, à vous emparer de cette question extrêmement importante : il est de notre point de vue scandaleux de munir d’armes des policiers, a fortiori municipaux, comme le préconise la droite sénatoriale, sans leur dispenser la formation nécessaire. On sait que nos policiers nationaux ne sont contraints qu’à trois séances de tirs par an !
Ainsi, pourquoi ne pas missionner d’urgence l’Inspection générale de la police nationale et l’Inspection générale de la gendarmerie nationale pour conduire un audit sur les formations de la police et de la gendarmerie nationales ?
Si le Gouvernement et la majorité sénatoriale partagent la philosophie générale de ce texte, bien sûr, la commission des lois l’a durci, notamment en élargissant une partie des dispositions relatives à l’usage des armes aux policiers municipaux autorisés à porter une arme, ainsi qu’en réprimant plus sévèrement les comportements de rébellion contre les membres des forces de l’ordre.

Dans ce cadre de surenchère sécuritaire incessante, quelle sera la prochaine étape ? Le rétablissement de la maréchaussée ? L’autorisation d’armement pour les civils ?

Cette loi illustre le basculement dangereux de l’État social vers l’État pénal.
Dans ce contexte, mes chers collègues, prenons nos responsabilités, cessons de faire la loi dans l’émotion. La peur sert de prétexte à un mode de gouvernement, un programme politique qui s’élabore indépendamment des émotions des citoyens. C’est ce que nous enseignent l’historien Patrick Boucheron et le politologue Robin Corey dans un entretien intitulé L’exercice de la peur : usages politiques d’une émotion.

Finalement, avec ce projet de loi, nous constatons, une fois encore, et avec une gravité certaine, que sont d’ores et déjà construites des fondations solides pour l’édifice du tout-sécuritaire qu’érigera aisément un futur gouvernement de droite dure.

Ainsi, vous l’aurez compris, l’état d’esprit et les trop nombreux antécédents de ce texte, la vision du tout-sécuritaire et la privatisation de notre sécurité publique qu’il porte nous conduisent à nous y opposer fermement.

J’appelle tous nos collègues à faire preuve d’humilité devant le scénario peut-être annoncé d’un gouvernement qui nous conduirait dans une voie loin d’être la meilleure pour nos concitoyens.

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