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Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Ce Parquet européen doit rester concentré sur les faits de fraude à la TVA et de corruption

Parquet européen : explication de vote -

Par / 3 mars 2020

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, il aura suffi d’une demi-journée pour boucler l’examen en séance de ce projet de loi aux dispositions aussi techniques que disparates : moitié moins que ce qui était prévu, et bien moins encore que ce qu’auraient mérité de telles mesures. Il faut dire que la matière d’un tel projet ne se prêtait pas vraiment à un exercice conjoint d’écriture, le législateur étant invité à valider la loi plutôt qu’à participer à son élaboration.

En ce qui concerne les dispositifs d’adaptation de notre droit national au Parquet européen, ceux-ci ont été construits au terme d’une dizaine d’années d’échanges entre l’Union européenne et ses États membres, parmi lesquels notre pays a été force de proposition, emmené par notre Haute Assemblée. Sur le fond, nous y sommes plutôt favorables, dans la version collégiale qui en résulte, même si l’assurance du rapporteur et de la garde des sceaux n’ont pas fini de nous convaincre sur les questions d’inamovibilité des magistrats français qui seront détachés pour endosser les fonctions de procureur européen délégué.

Nous restons dubitatifs sur ce point, comme sur celui de la procédure « inventée » pour s’adapter à ce Parquet européen. Les États membres sont d’ailleurs plutôt issus d’une tradition inquisitoire, contrairement à notre pays qui suit un modèle accusatoire. Cela peut laisser craindre, comme l’a formulé le Syndicat de la magistrature, les « premiers pas vers la suppression du juge d’instruction ».

Autre inquiétude pour l’avenir de ce Parquet européen : alors qu’il est, dans ses fondements actuels, cantonné aux affaires financières, il y a fort à craindre que son champ de compétences ne soit étendu dans les années à venir. Une fois l’édifice dressé, il semblera assez aisé, après son entrée en fonctions le 20 novembre 2020, d’y introduire, sous l’impulsion de l’Union européenne, de nouveaux champs. Je pense en particulier à la politique antiterroriste. Cela poserait alors un certain nombre de difficultés en matière de subsidiarité et de souveraineté, surtout au vu de la tendance de l’Union européenne, via la politique qu’elle prône actuellement, aux dérives sécuritaires. Nous y serons bien évidemment vigilants.

Pour l’heure, nous souhaitons que ce Parquet européen reste concentré et aussi efficace que possible dans le cadre décidé : escroqueries à la TVA, faits de corruption, détournement de fonds publics, abus de confiance, blanchiment d’argent et certains délits douaniers. Il y a déjà fort à faire, et la manne financière à récupérer serait de l’ordre de plusieurs dizaines de milliards pour la France ! Il y a donc du boulot…

En ce qui concerne les mesures de justice environnementale, nous sommes en revanche beaucoup plus dubitatifs sur les dispositifs proposés.

Nous avons défendu la suppression de la convention judiciaire d’intérêt public en raison de son insuffisance, de son inefficience, voire de sa « dangerosité » étant donné le mécanisme pollueur-payeur qu’elle entraînera très rapidement.

En effet, il y a matière à s’interroger sur le modèle de convention choisi, calqué sur la procédure créée, notamment pour les faits de corruption et de fraude fiscale, par la loi Sapin II en 2016.

En reprenant le modèle américain, il s’agit d’ouvrir la possibilité de transaction engagée par le ministère public dans le secteur de l’environnement. Cela permet en réalité de se passer de procès, des droits de la défense et, surtout, d’une véritable reconnaissance de culpabilité.

Pourtant, les atteintes à l’environnement pourraient être considérées comme relevant de l’intérêt général, plutôt que de l’intérêt public. Il s’agit désormais d’engager de véritables mesures d’urgence, avec des moyens solides et renforcés, pour lutter contre l’impunité des grands groupes qu’il faut sanctionner en bonne et due forme, plutôt que de préserver en négociant telle amende ou telle réparation de dommage.

Ces dommages sont la plupart du temps irrévocables, et non d’ordre financier. Poux réparer une fraude fiscale, on fait payer les fraudeurs ; mais, en matière de pollution, les pollueurs auront beau payer, les dégâts resteront irréversibles. L’actualité en fait malheureusement état chaque nouveau jour qui passe.

En outre, ce projet de loi crée des pôles régionaux dans le ressort de chaque cour d’appel. De nouvelles juridictions donc, mais sans moyens supplémentaires, et alors que viennent d’être supprimés les tribunaux d’instance.

C’est bien là que le bât blesse. Notre système judiciaire a d’abord besoin de moyens plutôt que de réorganisation, qu’il s’agisse de la Chancellerie ou du ministère de la transition écologique, chargé de la police de l’environnement, dont les moyens en baisse nous laissent craindre une perte d’expertise irrémédiable au sein même des services de l’État. Comment, madame la garde des sceaux, créer les conditions d’une véritable justice environnementale dans ce cadre précaire ?

Tout cela résonne d’ailleurs parfaitement avec le projet de loi dit de « simplification de l’action publique », dont l’examen commencera après ces explications de vote.

Avec ce texte, présenté trois jours avant la catastrophe de Lubrizol, mais que le Gouvernement n’a pas jugé utile de corriger, le ton est donné. Il s’agit de libérer les entreprises du carcan de contraintes définies par le code de l’environnement, toujours dans la même optique : aller toujours plus vite pour libérer l’économie et la croissance.

Toutes ces lois conduisent à des reculs environnementaux sans précédent, qui condamnent, au fond, la justice environnementale à l’impuissance, faute de moyens et de volonté politique.

Je ne reviendrai pas en détail sur les diverses dispositions contenues dans ce texte, mais je réitère notre opposition à la création de la peine complémentaire d’interdiction d’accès aux transports collectifs. Il ne s’agit, selon nous, que d’une mesure d’affichage tendant une fois encore à instrumentaliser notre droit pénal.

La création de nouvelles peines, qu’elles soient complémentaires ou non, est devenue une habitude législative regrettable, toujours dans la même logique : à chaque problème « sociétal » sa réponse pénale, avec un renforcement des peines, sans jamais – je dis bien « jamais » – réfléchir à la cohérence d’ensemble de notre système d’échelle des peines, et encore moins aux mesures alternatives de prévention ou de dissuasion.

Enfin, vous l’aurez compris, notre groupe ne reviendra pas sur son vote annoncé initialement et s’abstiendra sur ce texte.

En effet, les motivations et les compétences actuelles du Parquet européen apparaissent comme assez louables, mais les mesures environnementales fondamentales pour les années à venir sont plus qu’en deçà des attentes de nos concitoyens sur le sujet. Quant aux sujets annexes, sans revenir sur le fond, leur place n’était pas dans le titre III d’un tel texte, dont la cohérence était déjà difficilement lisible dans ses deux volets principaux.

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