Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Ce projet de loi constitutionnelle ne répond pas au légitime besoin de sécurité

Projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation (explication de vote) -

Par / 22 mars 2016

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la barbarie de Daech a, une nouvelle fois, frappé ce matin en Europe, à Bruxelles. Nous nous inclinons devant les victimes de ces attentats et exprimons toute notre solidarité au peuple belge.

Ce que nous redoutions est arrivé : des attentats suicides, des attentats aveugles ont tué ou blessé des innocents par dizaines, au nom d’une idéologie fanatique.

Le drame de Bruxelles illustre la violence terrible qui secoue des régions du monde et pénètre dans notre société. Oui, notre pays doit être mobilisé pour repousser les agressions terroristes de Daech et de ses alliés.

Or, le projet de loi constitutionnelle que nous nous apprêtons à adopter ou à repousser ne répond pas au légitime besoin de sécurité, à la peur de notre population.

Le vote de cet après-midi ne porte pas sur le point de savoir s’il faut ou non combattre Daech. Notre détermination à cet égard est totale et nous avons, en particulier, toujours combattu les choix diplomatiques et guerriers qui ont créé le chaos.

Le vote porte sur une révision de la Constitution qui, selon nous et beaucoup d’autres, porte atteinte à des principes démocratiques, à des principes républicains.

Notre opposition à cette révision constitutionnelle porte sur le fond comme sur la forme.

Sur la forme, les deux dispositions essentielles de ce texte, la constitutionnalisation de l’état d’urgence et la déchéance de la nationalité, sont parfaitement inutiles et inefficaces.

Comme les partisans du projet de loi et M. le Premier ministre lui-même le reconnaissent, ces dispositions relèvent du symbole.

L’état d’urgence dispose déjà d’une valeur pleinement constitutionnelle. Sa constitutionnalisation n’apportera rien, sauf – et là réside l’une de nos critiques majeures – qu’elle le placera au sommet de la hiérarchie des normes, donc hors de portée d’éventuels recours. Ce que M. le Premier ministre appelle une sécurisation n’est rien d’autre, en réalité, qu’une sacralisation.

Or, la lecture de l’article 1er, même corrigé et rendu un peu plus présentable, nous inquiète fortement.

Cet article assure la consécration de l’ordre public dans la Constitution, mais en oubliant, au passage, son corollaire pourtant exigé par la jurisprudence du Conseil constitutionnel : le respect des libertés.

Certes, le Sénat a introduit le rappel de la compétence du juge judiciaire, mais nous aurions préféré qu’il soit signifié clairement qu’il n’y a pas d’ordre public sans respect des libertés.

Vous avez conservé, monsieur le rapporteur, la référence si floue, si temporellement incertaine, au « péril imminent » comme facteur déclenchant de l’état d’urgence.

La correction apportée n’écartera pas la possibilité d’un état d’urgence permanent, ad vitam aeternam. Une fois un attentat perpétré, une menace terroriste avérée, le péril imminent sera permanent.

L’empilement de vingt lois « antiterroristes » depuis 1986 n’a finalement pas permis et ne permet pas de remédier au phénomène des violences liées à l’islam radical.

Que, dans les jours qui ont suivi la tragédie survenue à Paris, le pouvoir ait affiché son autorité face à la menace, nous le comprenons. Mais que, quatre mois après, son discours n’évolue pas, alors que le Premier ministre évoquait ici même, le 17 mars dernier, des milliers de jeunes tentés par la radicalisation, cela nous inquiète fortement.

Ramener la paix dans une région dévastée par près de trente ans de conflits est la priorité absolue. Il faut éteindre ce foyer de haine.

L’élimination de Daech et des autres djihadistes exige une action résolue. La France doit user de toute son influence pour faire cesser le jeu dangereux de certains États avec les groupes armés islamistes. C’est le cas de l’Arabie saoudite, du Qatar, des Émirats arabes unis, mais aussi de la Turquie de l’autoritaire Erdogan, qui consacre plus de temps et d’énergie à combattre les démocrates kurdes qu’à faire cesser les livraisons d’armes et le trafic de pétrole en faveur d’Al-Nosra ou d’Al-Qaïda. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – M. Philippe Bonnecarrère applaudit également.)

Diminuer puis faire taire la violence chez nous en France, c’est donner les moyens aux services de renseignement et aux forces de sécurité d’agir, mais c’est aussi donner à l’école de nouveaux moyens pour recréer le lien social, c’est donner à chacune et à chacun la possibilité de trouver sa place dans la société, en particulier par le travail, c’est faire vivre la laïcité.

Ce n’est pas nous qui avons parlé d’apartheid social ; c’est le Premier ministre, au lendemain des tueries de janvier 2015.

Le discours sécuritaire ne peut pas être la réponse de fond apportée à la radicalisation ici et à la guerre ailleurs. Je le redis avec force, le recul de l’État de droit est une victoire pour Daech, qui n’a qu’un seul objectif : la déstabilisation de notre État de droit et la division de notre société.

La déchéance de nationalité, second point sur lequel porte la révision constitutionnelle, est l’exemple même d’une disposition qui divise, qui clive. Son annonce a, dans un premier temps, choqué, car elle était réservée aux binationaux.

Ce qui a choqué aussi, c’est la constitutionnalisation de cette mesure. Pour la première fois, la nationalité était définie dans la Constitution, mais sous une forme négative. L’introduction de ce concept rassembleur dans un texte fondant l’unité de la Nation est apparue à beaucoup comme contraire non seulement aux valeurs de la gauche, mais aussi et surtout aux principes républicains.

Depuis quatre mois, le Gouvernement et le chef de l’État tentent d’imposer cette disposition en louvoyant, en manœuvrant, au détriment des engagements passés, des attitudes passées et cependant récentes…

À l’Assemblée nationale, pour calmer votre majorité, vous avez instauré la « déchéance pour tous », tout en affirmant votre refus de l’apatridie, qui en serait pourtant la conséquence obligée.

Au Sénat, le Gouvernement a dit vouloir refuser le retour à la déchéance de nationalité pour les binationaux, mais il a approuvé la manœuvre procédurière de M. Bas visant à empêcher le vote sur les nombreux amendements de suppression. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Bas, rapporteur. C’est mal me connaître !

Mme Éliane Assassi. De fait, le Gouvernement a ainsi aidé à imposer le texte de la droite sénatoriale, c’est-à-dire celui qui prévoit la déchéance de nationalité pour les binationaux. Ce « pas de deux » entre le Gouvernement et la droite, tant ici qu’à l’Assemblée nationale, devient insupportable.

Introduire de la sorte le débat sur la nationalité est dangereux. La peur et la haine à l’égard de toute une population qui n’a rien à voir, de près ou de loin, avec l’islam radical se trouvent attisées.

M. Éric Doligé. C’est excessif !

Mme Éliane Assassi. La peur amène à bafouer les principes qui fondent la vieille Europe, celle qui, en 2003, refusait la guerre en Irak.

L’accord inique passé vendredi entre l’Union européenne et la Turquie relève de cette même logique.

M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Éliane Assassi. Bafouant la convention de Genève sur les droits les plus élémentaires des réfugiés, l’Europe égoïste, l’Europe forteresse oublie ce qu’elle portait aux nues depuis sa création : les droits de l’homme.

Monsieur le garde des sceaux, le groupe communiste républicain et citoyen votera, unanimement et sans hésitation, contre un texte qui, s’il était voté, ternirait la République !

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