Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Ce texte instaure une peine après la peine

Suivi des condamnés terroristes sortant de détention -

Par / 25 mai 2021

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le 21 juillet 2020 a été discutée au Sénat la proposition de loi instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine, après son adoption par l’Assemblée nationale. Le groupe CRCE s’était alors fortement opposé au texte et aux objectifs visés.

Dans sa décision du 7 août 2020, le Conseil constitutionnel a considéré que le dispositif retenu portait, en l’état de sa rédaction, une attaque qui n’était ni adaptée ni proportionnée aux droits et libertés constitutionnellement garantis. Pourtant, les auteurs et défenseurs des propositions de loi initiales continuent à considérer que les mesures de police administrative, notamment les Micas, aujourd’hui privilégiées par les autorités pour assurer le suivi des personnes libérées, représentent toujours une menace grave pour la sécurité publique et n’offrent pas un cadre de surveillance suffisant. Aussi proposent-ils de nouveau un renforcement du suivi judiciaire en proposant des garanties de réinsertion renforcées.

C’est donc en toute cohérence que la commission des lois a approuvé le dispositif proposé par François-Noël Buffet en n’apportant que quelques ajustements mineurs. La position de mon groupe reste la même depuis le mois de juillet 2020 et les censures du Conseil constitutionnel n’ont fait que la conforter : de telles mesures sont contraires, dans leur logique même, à plusieurs droits fondamentaux. Nous avons toujours été opposés aux mesures de sûreté en général, considérant qu’un individu ayant purgé sa peine avait le droit d’être réinséré dans notre société.

Rappelons que, lors de l’adoption de la rétention de sûreté, le sénateur Robert Badinter avait dénoncé « une période sombre » pour la justice. Il avait insisté sur « le brouillard » dans lequel cette « détention pour dangerosité, hors toute commission d’infraction », allait plonger la justice dont les fondements étaient atteints.

Ces mesures induisent un bouleversement de la logique même du droit pénal. En effet, les mesures de sûreté ne sont pas relatives à une infraction commise. Elles ne visent que les « états dangereux ». Il n’existe donc pas de faute, le but de ces mesures étant seulement de protéger la société par des dispositions spécifiques permettant ainsi d’éviter notamment la récidive. On parle donc non pas de punition, mais de prévention. Il s’agit notamment – et dans la plupart des cas – d’utiliser ce genre de procédure pour réadapter des délinquants à la société par le biais d’une cure de désintoxication ou d’un internement, ce qui pose déjà grandement question.

Présentées comme de simples moyens prophylactiques, ces mesures peuvent présenter un danger de dérive totalitaire. Or, en adaptant les mesures de sûreté aux personnes condamnées pour des actes terroristes, quel message envoyons-nous ? En pointant avec force la récidive probable, on envoie aux condamnés qui ont purgé leur peine le signal qu’ils sont suspectés à vie et, en quelque sorte, rejetés de la République. Ne nous leurrons pas : cette justice d’exception ne se bornera pas au seul cas des détenus terroristes, elle fera tache d’huile. N’est-ce pas déjà le cas au regard des lois votées à l’encontre des auteurs de délits et crimes sexuels, par exemple ?

Pourtant, en creux, ce que révèlent notamment les mesures proposées, ce sont l’échec du temps pénitentiaire et l’épuisement d’un système basé sur le tout carcéral. Les vraies questions auxquelles cette proposition de loi ne répond pas sont nombreuses : quels moyens pour nos services de renseignements pour prévenir les actes de terrorisme ? Comment réinsérer dans notre société des individus condamnés pour de tels faits ? Les obliger, pendant plusieurs années, à se rendre jusqu’à trois fois par semaine dans un commissariat pour justifier de leur présence est un obstacle évident à la reprise d’une vie active et socialisante. Autant de questions auxquelles la nouvelle mouture de la loi SILT du Gouvernement que nous examinerons à la fin du mois de juin prochain ne s’attache pas à répondre non plus.

Mes chers collègues, au regard des conséquences désastreuses de cette incessante surenchère pénale sur notre ordonnancement juridique, je me demande s’il ne serait pas sage, un an avant l’élection présidentielle, de sanctuariser au maximum notre code pénal. Quoi qu’il en soit, nous nous opposerons de nouveau à ce texte, qui continue, selon nous, malgré des aménagements à la marge, à aller à l’encontre des principes fondamentaux de notre État de droit, en instaurant en substance une peine après la peine.

Comment faire en sorte que la prison ouvre, à la libération, la voie à une véritable réinsertion ? Voilà la question essentielle qui devrait être posée, et non comment poursuivre la logique carcérale punitive de réclusion en dehors des murs ?

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