Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Cette loi est là pour rendre les salariés corvéables à merci

Habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social : exception d’irrecevabilité -

Par / 24 juillet 2017
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Cette loi est là pour rendre les salariés corvéables à merci

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce projet de loi d’habilitation constitue une nouvelle agression contre le droit du travail, qui – faut-il le rappeler ? – organise la protection des salariés face à la puissance patronale et à celle de l’argent.

Le code du travail n’est pas un frein au développement de notre société ; il est le fruit de décennies de luttes sociales pour imposer l’humanisme face à la dictature du profit.

Le code du travail, c’est l’expression de la spécificité française : la primauté de la loi pour définir le droit du travail, loin, en la matière, de l’arbitraire du droit anglo-saxon que vous semblez privilégier, madame la ministre.

C’est la loi, expression du peuple souverain, qui a longtemps garanti les droits fondamentaux des salariés.

En toute logique, le projet de loi que nous examinons remet en cause tout ce qui constituait le programme du Conseil national de la Résistance : suppression de l’assurance chômage, suppression du régime de retraites par répartition… Et, dans les ordonnances, antidémocratiques par essence, vous avez l’intention de fusionner les quatre instances représentatives du personnel, de plafonner le niveau des indemnités prud’homales en cas de licenciement, d’étendre la primauté des accords d’entreprises sur les accords de branches et de généraliser le recours aux CDI de chantier. Vous poursuivez la démolition pure et simple du code du travail. Ce faisant, c’est l’ensemble du pacte républicain issu de la Résistance que vous déstabilisez.

La loi, vous la voulez pour servir l’économie et non plus pour satisfaire les besoins humains et sociaux. Elle devient un outil de dérégulation, alors même que les constituants de 1946 et de 1958 l’ont élaborée comme une protection des plus faibles.

Qu’importe le stress au travail, les cadences infernales, les suicides sur les lieux de travail ! Leur diminution et leur suppression, ce n’est pas votre priorité !

Ce qui importe, c’est de répondre encore et encore au diktat du profit, qui exige toujours plus de disponibilité, de compétitivité et de rentabilité et donc toujours plus de précarité pour les travailleurs ! 

L’État est censé garantir les droits des travailleurs énoncés dans le Préambule de la Constitution de 1946 face à la loi du marché. Les sénatrices et les sénateurs communistes considèrent qu’il importe, pour des raisons sociales, économiques, environnementales, de faire prévaloir le social sur l’économie. Cette conception d’une économie au service des hommes, qui se construit par solidarité et non par la concurrence, nous la nommons « société de progrès ».

Les exigences d’un nouveau monde sont celles de la construction d’une société de partage et de solidarité, d’une société qui protège les droits et les développe. Tel était le sens du Préambule de la Constitution de 1946. Vous devez cesser cet affichage trompeur de la modernité, alors que vous faites ressortir les vieilles ficelles libérales. Nos concitoyens commencent à voir clair dans votre jeu – votre jeu libéral ! 

En présentant cette motion et par la suite, nous vous démontrerons combien cette loi est, en réalité, un outil entre les mains du patronat pour rendre les salariés corvéables à merci.

Demain, les salariés seront contraints de négocier individuellement non seulement leur contrat de travail, mais aussi l’ensemble des droits qui ne seront plus couverts par les accords de branche.

Nous sommes là au cœur de votre projet : l’individualisation de la négociation, de l’organisation et de la durée du travail, voire de leurs droits à la protection sociale ! Avec vous, c’en est fini de notre société de solidarité et d’égalité ! 

Ainsi, de manière insidieuse, vous répondez à une demande ancienne et récurrente du patronat et du MEDEF, laquelle consiste à mettre fin à toute conception collective du travail pour renvoyer la relation de travail à la seule relation individuelle entre employeurs et salariés, que vous dénommez désormais collaborateurs ou associés.

Vous tentez, par exemple, de faire croire aux salariés qu’il est possible de se libérer en devenant leur propre patron. Sauf que cet eldorado n’est pas aussi rose que vous voulez le faire croire ! En 2016, seulement 30 % des autoentrepreneurs sont encore actifs trois ans après avoir choisi ce statut et moins de 2 % ont quitté la microentreprise pour le régime général. Cela signifie qu’ils sont très peu à avoir dépassé les plafonds de chiffre d’affaires, soit, par an, 82 000 euros pour la vente et 32 900 euros pour la prestation de services. De fait, les trois quarts des entrepreneurs toujours actifs après trois ans déclarent un chiffre d’affaires inférieur à 15 000 euros par an !

Si l’entreprise est un « bien commun » aux salariés et à l’employeur, vous le savez bien, madame la ministre, le lien de subordination déséquilibre la relation au détriment du salarié, qui est le plus souvent perdant dans les négociations. Pour cette raison, il est indispensable de garantir aux travailleurs la possibilité de se syndiquer et d’avoir recours à des représentants syndicaux pour défendre leurs droits !

Le sixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 garantit que « Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l’action syndicale et adhérer au syndicat de son choix. » Ce principe est remis en cause dès lors que l’on individualise les relations entre les travailleurs et l’employeur, qui peut organiser un référendum dans l’entreprise pour faire accepter les baisses de salaires.

Il est tout de même contradictoire d’annoncer vouloir renforcer le dialogue social et utiliser, dans le même temps, tous les moyens possibles pour marginaliser les organisations syndicales dans les entreprises, par exemple, en fusionnant les instances représentatives du personnel ou en cassant le monopole syndical.

Personne n’ignore que le syndicalisme se construit précisément sur l’exigence de défense collective d’intérêts collectifs.

Votre texte est, ensuite, contraire à la décision du 28 décembre 2006 du Conseil constitutionnel, qui garantit le droit des travailleurs de participer à la détermination collective des conditions de travail. Ce droit n’est plus effectif dès lors que le comité d’entreprise, le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, le délégué du personnel et le délégué syndical sont fusionnés en une seule instance.

La future instance unique de représentation du personnel aura-t-elle les mêmes compétences que les instances actuelles ? Aura-t-elle le même nombre d’élus du personnel ? Ces derniers disposeront-ils des mêmes moyens pour mener leur mandat ? L’instance unique aura-t-elle la personnalité juridique ? Pourra-t-elle ester en justice ?

Madame la ministre, vous aviez pourtant participé à la rédaction d’un rapport sur la santé et le bien-être au travail, lequel préconisait « la mise en place d’un comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail départemental interentreprises pour prendre en charge les risques psychosociaux au sein des petites entreprises ». Et vous décidez de faire disparaître totalement les CHSCT !

En supprimant le CHSCT, vous remettez en cause l’action des syndicats pour que soit enfin reconnue l’importance des règles de protection de la santé au travail dans les entreprises.

En supprimant le compte pénibilité, dont le rôle est de prévenir les maladies professionnelles, vous revenez sur l’engagement de permettre aux salariés qui exercent des métiers pénibles de partir en retraite anticipée.

Cette instance unique va encore éloigner les représentants du personnel des salariés. Il s’agit clairement d’une entorse au droit des salariés à participer à la gestion de leur entreprise, droit garanti par le huitième alinéa du préambule de 1946.

Vous remettez en cause le monopole syndical en matière de négociation dans les TPE-PME.

Vous ouvrez la porte à des élus du personnel sans indépendance vis-à-vis du pouvoir patronal et à des négociateurs subordonnés à la direction de l’entreprise.

Mais il y a plus ! Outre l’individualisation, avec ce projet de loi, vous inversez également la hiérarchie des normes en étendant le champ de la primauté de l’accord d’entreprise.

Vous faites la règle de ce qui était l’exception – l’accord individuel ou la convention d’entreprise. Inversement, ce qui était la règle – les accords de branche et les conventions collectives – devient l’exception !

Cette inversion des normes ne vise ni plus ni moins qu’à instaurer une forme de dumping social interne, qui vient s’ajouter à la possibilité de déverrouiller les accords de branche, véritable élément de dumping social, européen cette fois ! 

Ne tentez pas de nous faire croire que les salariés auront quoi que ce soit à gagner dans cette concurrence entre entreprises.

Le marché du travail est tel que ce ne sont plus les salariés qui font valoir leurs droits : ce sont les employeurs qui imposent leurs exigences.

Le patronat parviendra toujours à s’organiser pour proposer le moins-disant le plus défavorable aux salariés. Quand il s’agit de gros sous, on peut leur faire confiance ! (Mme Nicole Bricq fait un signe de protestation.)

Les grands magasins vont pouvoir faire du chantage à l’emploi en demandant de réduire la plage horaire du travail de nuit. La tranche de vingt et une heures au plus tôt à sept heures au plus tard correspondant au travail de nuit pourra être raccourcie demain pour répondre aux acheteurs nocturnes impulsifs.

Enfin, votre texte porte atteinte à la justice prud’homale en plafonnant les indemnités en cas de licenciement abusif.

Initialement prévue par la loi Macron et censurée par le Conseil constitutionnel, la loi El Khomri avait repris cette mesure avant qu’elle ne soit retirée face à la mobilisation sociale.

Pourquoi insistez-vous donc tant pour limiter le montant des dommages et intérêts versés au salarié ? Parce que ce plafond imposé aux juges prud’homaux sera une provision comptable pour les entreprises qui souhaitent licencier librement !

L’employeur pourra ainsi choisir de respecter le droit du travail ou prendre le risque d’une condamnation dont il connaîtra à l’avance le montant de l’indemnité. Côté salarié, c’est le règne de l’arbitraire ! 

Le projet de loi d’habilitation est ainsi contraire à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 garantissant le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif, ainsi que le respect d’une procédure juste et équitable garantissant l’équilibre des droits des parties.

L’équilibre des parties est rompu dès lors que l’employeur peut donner a posteriori le motif de licenciement. Le patron pourra ainsi évoquer le motif de son choix pour éviter un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Robespierre, le 10 mai 1793, proclamait… 

M. Éric Doligé. Où va-t-on ?

Mme Éliane Assassi. … que, « jusqu’ici, l’art de gouverner n’a été que l’art de dépouiller et d’asservir le grand nombre au profit du petit nombre et la législation le moyen de réduire ces attentats en système. Les rois et les aristocrates ont très bien fait leur métier. C’est à vous maintenant de faire le vôtre, c’est-à-dire de rendre les hommes heureux et libres par la loi ».

Mme la présidente. Veuillez conclure, madame Assassi.

Mme Éliane Assassi. Votre projet, madame la ministre, est un retour à l’ancien monde, celui de l’oppression par les puissants !

Il est contraire à la République sociale, à notre Constitution et à ses préambules. Il est un acte de régression lourd de conséquences pour notre peuple.

Telles sont les raisons qui ont poussé mon groupe à déposer cette motion d’irrecevabilité.

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