Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Des pouvoirs exceptionnels de restriction des libertés fondamentales

Prorogation du régime transitoire institué à la sortie de l’état d’urgence sanitaire (texte retiré) -

Par / 13 octobre 2020

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour faire face à l’épidémie de covid-19, le Gouvernement nous demandait initialement de proroger le régime transitoire organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire, mis en place par la loi du 9 juillet 2020, jusqu’au 1er avril 2021. Ce délai a été ramené au 31 janvier par notre commission des lois, afin de permettre une intervention plus régulière du Parlement, ce qui à nos yeux est plutôt salutaire, ne serait-ce que d’un point de vue démocratique. Nous convenons toutefois que le virus circule encore et qu’il circule vite, trop vite.

D’autres amendements du rapporteur, Philippe Bas, ont également permis d’améliorer ce texte dans le souci du bon fonctionnement de notre démocratie et de ses instances délibérantes, notamment au niveau local. Cependant, aucune amélioration n’est selon nous suffisante, comparée au nouveau blanc-seing qui nous est demandé pour attribuer de larges pouvoirs au Gouvernement et aux préfets, pendant plusieurs mois.

Comme vous toutes et tous, les membres du groupe CRCE sont plus que préoccupés par cette crise sanitaire, et nous appelons au respect des gestes barrières.

Nous ne doutons en rien du constat dressé et de la nécessité des réponses à apporter. Mais une question se pose : ces dites mesures sanitaires adaptées ne sont-elles pas d’ores et déjà à la portée du Gouvernement dans le cadre de notre droit commun ? La réponse est pour nous claire : elles le sont.

En cas de recrudescence de l’épidémie, plusieurs dispositifs juridiques pourraient être utilisés. Aussi ce texte est-il, selon nous, aussi dangereux qu’inutile.

D’abord, la législation prévoit des dispositions permettant au ministre de la santé de prendre des mesures préventives en cas de danger sanitaire, et la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 a spécifiquement prévu le cas de la sortie de l’état d’urgence sanitaire, à l’article L. 3131-1 du code de la santé publique.

Ensuite, en cas de nouveau pic de contamination, rien n’empêcherait le Gouvernement de recourir une nouvelle fois à l’état d’urgence sanitaire, par décret en conseil des ministres sur le rapport du ministre chargé de la santé, comme cela est prévu à l’article L. 3131-13 du code de la santé publique.

J’entends les arguments, notamment de M. le rapporteur, relatifs à ces articles du code de la santé publique. Peut-être faut-il revisiter ces mesures. Mais une chose est avérée aujourd’hui : elles sont inscrites dans le code de la santé publique et le Gouvernement aurait pu les dégainer.

Enfin, les autorités locales de police administrative – maires et préfets – sont habilitées à adopter toutes les dispositions préventives nécessitées par les circonstances sanitaires locales particulières.

En séance, lors de l’examen du projet de loi organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire, en juin dernier, nous alertions déjà sur le risque que certaines mesures dérogatoires soient finalement intégrées au droit commun, comme cela s’est produit avec la banalisation des mesures de l’état d’urgence sanitaire pérennisées par la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite loi SILT, dont nous reparlerons demain.

Or, précisément, le Gouvernement nous annonce un projet de loi à venir d’ici à janvier 2021, visant à instituer un dispositif pérenne de gestion de l’urgence sanitaire, afin d’éviter « les rendez-vous intermédiaires de prorogation des mesures transitoires ». Le risque est donc bien avéré.

Cette loi a créé un nouveau régime juridique, un régime de sortie dans lequel le Premier ministre conserve des pouvoirs exorbitants, notamment celui de réglementer la circulation des personnes, les conditions d’ouverture des établissements recevant du public, ou encore les manifestations et rassemblements sur la voie publique, et celui d’exiger des personnes circulant par voie aérienne sur le territoire national qu’elles présentent un certificat de biologie médicale.

Aussi, comme le relève à raison la professeure de droit, Stéphanie Hennette-Vauchez : « [La loi] réduit la voilure de l’état d’urgence sanitaire tel que défini par la loi du 23 mars 2020, mais ce sont bien des pouvoirs exceptionnels de restriction des libertés fondamentales qui demeurent à la main du Gouvernement. »

De même, un groupe d’associations, de syndicats, d’universitaires et d’avocats, membre du Réseau de veille sur l’état d’urgence sanitaire, souligne très justement : « Une sortie d’état d’urgence ne s’organise pas, ne s’aménage pas, ne se décline pas : il se lève dans sa totalité pour mettre fin à l’exception. Ce brouillage inédits des frontières est inacceptable. L’exception doit demeurer l’exception et le droit commun la règle. »

Alors que le Gouvernement reconnaît que les conditions d’un état d’urgence sanitaire ne sont plus réunies, il estime en même temps nécessaire de maintenir des pouvoirs exorbitants aux autorités administratives. Cette contradiction ne résiste à aucune logique. Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel, indique ainsi : « L’état d’urgence ne trouve de justification que dans la faculté pour le Gouvernement de réprimer les manifestations, de limiter les libertés de réunion et les libertés de manifestation. »

En effet, à l’heure où les plans sociaux se multiplient, la possibilité accordée au Premier ministre d’interdire les manifestations ne peut que susciter une inquiétude sérieuse. Des pseudo-motifs de santé publique aux véritables raisons politiques, toute la nuance semble se trouver dans cet énième texte d’exception, auquel nous nous opposons.

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