Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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La nouvelle mouture du texte présentée par la commission des lois aggravera les conditions d’accueil et la précarité des étrangers

Droit des étrangers en France : question préalable -

Par / 6 octobre 2015

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe communiste républicain et citoyen a souhaité déposer cette motion tendant à opposer la question préalable afin que soit rejeté l’ensemble de ce projet de loi relatif au droit des étrangers, revu par la majorité de droite de la commission des lois et désormais intitulé : « projet de loi portant diverses dispositions relatives à la maîtrise de l’immigration ».

Il suffit d’écouter M. le rapporteur pour comprendre que cette nouvelle mouture aggrave la précarité de la situation des personnes en situation régulière et réoriente les dispositions sur la maîtrise de l’immigration irrégulière en renforçant les dispositifs de contrôle et en facilitant l’éloignement. Vous comprendrez bien que nous ne pouvons l’accepter.

Monsieur le ministre, dans la continuité des réformes passées sur le sujet, votre projet de loi maintien l’inversion de la logique de l’intégration, logique selon laquelle les personnes étrangères ont besoin de droits pour s’intégrer, et non de s’intégrer pour mériter des droits. L’immigration autorisée est ainsi maintenue dans une situation administrative précaire qui empêche celles et ceux qu’elle concerne de trouver leur place en France.

Après le projet de loi relatif au droit d’asile, débattu ici il y a quelques semaines, le texte qui nous occupe aujourd’hui permet un renforcement des contrôles et donc un affaiblissement des possibilités de recours, sous couvert de la multiplication supposée des demandes « abusives ».

Pourtant, le nombre de décisions de protection reste stable. En 2007, sur 35 500 demandeurs d’asile, 8 800 l’ont obtenu, 26 700 ont donc été déboutés. En 2013, sur 65 900 demandeurs, 11 400 seulement ont obtenu le titre de réfugié, contre 54 500 déboutés. Comment peut-on donc sérieusement penser que le nombre de demandes abusives a doublé d’une période à l’autre ?

Le droit d’asile, comme le droit des étrangers, ne se résume pas à des flux et des stocks d’étrangers à gérer. La crise des réfugiés actuelle en témoigne bien : il s’agit avant tout d’une question de géopolitique et de responsabilité internationale.

Les conflits internationaux et l’ordre économique établi font de notre monde un monde de réfugiés. On dénombrerait déjà 163 millions de personnes ayant dû quitter leur foyer à la suite de conflits, de catastrophes naturelles ou de grands projets de développement. Entre 2000 et 2050, ce sont au moins un milliard de personnes qui devraient migrer dans le monde, dont plus de la moitié pour s’adapter au réchauffement climatique ou en fuir les conséquences : inondations, sécheresses, pénuries d’eau et d’aliments, maladies émergentes.

Qu’allons-nous faire de ces personnes ? Les laisser à la dérive d’un monde dérégulé ? Les renvoyer chez eux, même en cas de guerre, comme le stipule agressivement Mme Le Pen ?

M. Stéphane Ravier. Bonne idée !

Mme Éliane Assassi. Les défenseurs de la « forteresse Europe » sont catégoriques : si l’Europe abolit le contrôle de l’immigration, elle sera envahie par les étrangers. Cela paraît relever d’une peur profondément ancrée. Pourtant, la plupart des gens n’ont aucune envie de quitter leur pays, et encore moins définitivement. Comme l’écrit le romancier et dramaturge Laurent Gaudé dans Eldorado : « Aucune frontière ne vous laisse passer sereinement. Elles blessent toutes. »

Il ne s’agit pas ici de verser dans l’angélisme, mais de mettre en garde contre les idées toutes faites et les faux débats.

En effet, depuis plus de trente ans, l’immigration est presque exclusivement considérée comme une menace ; de nombreux discours martèlent que la fermeture des frontières et la répression sont la seule politique possible.

M. Stéphane Ravier. Absolument !

Mme Éliane Assassi. Faut-il le rappeler, ce ne sont pas les immigrés qui sont responsables de la crise économique et du fléau du chômage !

Évidemment, les solidarités ne peuvent se cantonner au niveau national et l’ouverture des frontières de notre pays ne répondra pas aux maux de notre planète. Un nouvel ordre économique mondial doit être repensé. Ni le gouvernement actuel, ni l’opposition, ni, a fortiori, le Front national n’apportent d’ailleurs leur contribution à cette réflexion pourtant essentielle. Pour notre part, nous souhaitons prendre le contre-pied des logiques étroites et des logiques de peur en essayant d’élever le débat.

La crise migratoire, mes chers collègues, met en évidence la nécessité de combattre l’anarchie libérale. La mondialisation financière, en fin de compte, n’est autre que la mise en concurrence des peuples et des individus, et in fine c’est la guerre.

Je vous rappelle cependant que l’accroissement des ressources au Nord s’est fait au détriment des pays du Sud. À cet égard, nous faisons nôtre le plaidoyer du juriste Robert Charvin pour « une vaste et solennelle négociation Nord-Sud dans le cadre de l’ONU, neutralisant les ingérences multiformes, sources de la plupart des conflits et interdisant les spoliations. Un nouvel esprit et de nouvelles règles doivent révolutionner le droit économique international et fonder un modèle de rapports égalitaires avec tous les peuples, faisant de l’étranger non un ennemi mais un partenaire. »

Il faut mettre un terme au jeu détestable des multinationales qui ont pris le pouvoir dans bien des régions du monde. Les sommes colossales qui alimentent les circuits financiers doivent aller au développement. Un ordre nouveau, avec une Organisation des Nations unies refondée, c’est la voie du progrès et de la coopération pacifique.

Le manque d’engagement et de perspectives transformatrices en la matière laisse donc le champ libre au Front national, qui diffuse son discours de haine (M. Stéphane Ravier s’exclame.), joue avec les peurs et crée le doute dans les esprits de certains de nos concitoyens.

M. Stéphane Ravier. Je le confirme !

Mme Éliane Assassi. En prétendant que la France ne peut, faute de moyens, accueillir plus de réfugiés, ce parti joue aujourd’hui, comme hier, la concurrence entre démunis, entre réfugiés, migrants et citoyens français. Il use à cette fin de raccourcis biaisés, de propagande et d’intoxication, et il profère les inepties les plus éhontées pour tenter de tirer profit de cette situation.

Pourtant, dans un monde où les distances se franchissent facilement et où le fossé entre les pays riches et les pays pauvres est énorme, ne faut-il pas, tout en insistant sur les aspects positifs des migrations, les considérer comme une donnée inéluctable ?

Face à tous ces enjeux, je ne pense pas qu’il suffise de répondre avec une réforme visant à gérer le quotidien. Trop ou pas assez d’immigrés ? Telle est la question... Et ce faisant, on fait prévaloir la suspicion et la répression sur le respect et l’effectivité des droits.

Ainsi, de nombreuses dispositions du présent projet de loi facilitent l’éloignement et réduisent les délais de recours ; le dispositif d’évaluation médicale est transféré des médecins des agences régionales de santé, ou ARS, à ceux de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, ou OFI, qui relève du ministère de l’intérieur. À ce sujet, monsieur le ministre, que les choses soient claires : un médecin de l’OFI vaut un médecin de l’ARS et inversement. Ce qui nous gêne, c’est que ce dispositif alimente la confusion entre santé publique et contrôle de l’immigration. Encore maintenant, monsieur le ministre, j’avoue ne pas avoir été convaincue du contraire.

Toutes ces mesures ont bien évidemment été renforcées et durcies par la droite sénatoriale en commission.

MM. Michel Forissier et Roger Karoutchi. Oh là là !

Mme Éliane Assassi. J’ose dire que l’occasion était trop belle.

Monsieur le ministre, vous avez déclaré lors de votre audition par la commission des lois du Sénat que des consignes très fortes et des moyens nouveaux étaient donnés aux services de lutte contre l’immigration irrégulière ; vous exprimiez ainsi la volonté du Gouvernement de renforcer cette lutte par la création, annoncée mi-septembre par M. le Premier ministre, de 900 postes supplémentaires dans les forces de l’ordre.

Cependant, monsieur le ministre, la responsabilité du patronat, qui, depuis des décennies, joue avec cette main-d’œuvre et met en concurrence les salariés, vous ne la pointez pas. Croyez bien que je le regrette !

Vous le savez, et à la veille des élections régionales il serait risqué de le nier, le problème n’est pas d’ordre migratoire, il est économique, et c’est bien l’incapacité à apporter des réponses concrètes aux préoccupations que sont le chômage et l’emploi qui alimente les discours de rejet de l’autre.

Il convient donc de le rappeler et d’affirmer qu’en dépit des fantasmes les immigrés ne menacent ni nos emplois, ni nos « identités », ni nos systèmes sociaux. Tous ne rêvent pas de s’installer dans les pays riches, loin de là,…

M. Roger Karoutchi. Ah bon ?

Mme Éliane Assassi. … à moins que l’on ne continue de les y obliger en renforçant nos politiques prédatrices et sécuritaires.

Nous ne nous faisons pas d’illusion sur le sort de notre motion tendant à opposer la question préalable : elle sera bien évidemment rejetée. Nous souhaitions toutefois attirer votre attention sur ces points. Nous participerons bien sûr au débat, en insistant particulièrement sur le caractère universel du principe constitutionnel d’égalité : quand il s’agit de la garantie des droits fondamentaux attachés à la personne humaine, aucune distinction ne saurait être tolérée entre ressortissants nationaux et ressortissants étrangers.

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