Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Qui est moderne ? Qui est archaïque ?

Habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social -

24 juillet 2017
Qui est moderne ? Qui est archaïque ?
par Sénateurs communistes
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Qui est moderne ? Qui est archaïque ?

Devant les parlementaires réunis en Congrès à Versailles, le 3 juillet dernier, le Président de la République, Emmanuel Macron, a voulu justifier son recours aux ordonnances visant à prendre des mesures destinées à renforcer le monopole patronal dans les termes suivants : 

« La modernisation de notre économie est nécessaire. Celle du marché du travail est un préalable : c’est une nécessité pour l’emploi. Nous ne pouvons rester parmi les rares pays affichant un tel niveau de chômage. Nous devons tirer les conséquences de la mondialisation, mesurer avec lucidité les mutations technologiques. Il faut s’en saisir, ne pas les subir. Il y a, dans notre beau pays, une aspiration à la liberté dans l’économie, dans les parcours de vie, et une attente de protection nouvelle face à ces changements. »

Qui peut contester ici un tel objectif ? La question est la suivante : comment comptez-vous, madame la ministre, réussir ce beau projet ?

Malheureusement, votre réponse va à l’encontre de l’objectif affiché, puisque vous voulez réduire les droits des salariés, faciliter le recours aux contrats précaires et aux licenciements et supprimer, autant que faire se peut, les obligations des grandes entreprises.

Vous dites vouloir faire de la politique autrement – M. Macron a même été élu sur cette promesse –, mais, dans les faits, vous poursuivez la politique libérale qui a été menée dans notre pays, depuis trente ans, par vos prédécesseurs et dont nous ne connaissons malheureusement que trop bien les conséquences.

« Il faut que tout change pour que rien ne change », disait Tancrède dans Le Guépard. Ce précepte ne correspond-il pas fort bien à la politique que vous voulez mettre en place ? Derrière votre injonction d’adapter notre société à un monde en pleine évolution, il y a, en réalité, une volonté de justifier votre projet idéologique de casser notre pacte social. Au nom de la modernité, tous les acquis sociaux devraient disparaître.

Ainsi, être moderne, c’est autoriser les employeurs à licencier contre un chèque équivalent à vingt mois de salaire en cas d’abus. Être moderne, c’est mettre en œuvre un CDI précaire, limiter le pouvoir des juges pour augmenter celui des employeurs. Être moderne, c’est supprimer les représentants syndicaux, qui contestent les plans de licenciement.

Pour la majorité présidentielle, les archaïques sont donc celles et ceux qui se préoccupent de la prise en compte réelle et effective de la santé des salariés, notamment en défendant la prévention au travers du maintien des CHSCT, dont le rôle de contrôle spécialisé des conditions de travail, de sécurité et de santé au sein de l’entreprise est primordial.

Les archaïques sont celles et ceux qui pensent que la représentation des salariés dans l’entreprise est nécessaire pour défendre leurs droits et que les syndicats sont un rempart démocratique pour négocier à égalité avec les employeurs.

Alors, je suis fière, mes chers collègues, comme chacun des membres de mon groupe, d’être archaïque !

Mme Éliane Assassi. Tout à fait !

Mme Laurence Cohen. Derrière le mot d’ordre « modernité », quel est le modèle que vous souhaitez mettre en place ?

Est-ce celui de la « flexisécurité » à la danoise, qui allierait une plus grande facilité de licenciement et une bonne indemnisation des demandeurs d’emploi ? Depuis les années quatre-vingt-dix, il a pourtant été démontré que la flexibilité des droits prend largement le pas sur la sécurité des salariés. Nous avons vu, lors de la crise de 2008, que ce modèle a moins bien résisté que le nôtre ; on a observé au Danemark une forte hausse du taux de pauvreté, notamment chez les jeunes.

En réalité, en France, la flexisécurité existe depuis longtemps. Comme le dénonce l’économiste Anne Eydoux, « dans les années 1980, lors de la réforme du temps partiel, le Gouvernement avait assuré que cette mesure allait enrichir la croissance, en amenant les femmes à l’emploi. Sauf que le taux d’emploi des femmes a à peine augmenté ; par contre le nombre de femmes en temps partiel a, lui, doublé en quinze ans. » 

C’est bien la preuve que la flexibilité, loin de réduire les inégalités, les aggrave : 70 % des salariés se déclarant en situation de sous-emploi sont des femmes !

Madame la ministre, mes chers collègues, je suis au regret de vous dire qu’asservir les salariés en augmentant à votre guise leur temps de travail, en dégradant leurs conditions de travail ou encore en diminuant librement leur salaire, n’a rien d’un modèle et n’est en rien moderne.

Vous mettez en avant, comme contrepartie de la flexibilité, une sécurité renforcée pour les travailleuses et les travailleurs. La sécurité des salariés, à vos yeux, consiste donc à remplacer le compte de prévention de la pénibilité par un compte de réparation. La sécurité, c’est enfin, selon vous, la barémisation des dommages et intérêts, qui permettra aux employeurs de connaître à l’avance le prix d’un licenciement abusif, et donc de l’organiser.

Affaiblir le droit du travail pour promouvoir la négociation s’inspire aussi du modèle nordique, alors même que la construction du dialogue social est très différente dans notre pays. Contrairement au système de cogestion danois, la France a en effet inscrit les obligations de négocier dans le droit.

Le Gouvernement veut privilégier les accords d’entreprise au détriment des accords de branche. Mais aujourd’hui, dans les TPE, où il n’y a pas de représentants du personnel, ce sont les accords de branche qui servent de protection. Pourquoi l’ignorer ?

De bien mauvaise foi sont ceux qui nient aujourd’hui le lien de subordination existant entre un employeur et ses salariés. Vous pouvez le supprimer dans tous les textes que vous voudrez, il n’en cessera pas moins d’exister. Nous l’avons vu en commission : non seulement la majorité sénatoriale vous apporte son soutien le plus total, mais elle veut aller plus loin encore, en autorisant notamment les entreprises de moins de 50 salariés à s’affranchir tout bonnement de l’obligation de négocier avec les représentants du personnel. Gardons à l’esprit, mes chers collègues, que 95 % des entreprises ont moins de 50 salariés. Cela voudrait donc dire que, à l’avenir, 95 % des salariés ne bénéficieront plus d’aucune protection collective.

Non seulement cette liquidation en règle du code du travail ne réglera pas le problème du chômage, mais elle aggravera les conditions de travail dans les entreprises. Elle occasionnera burn-out, baisses de productivité, au rebours de ce que l’on est en droit d’exiger au XXIe siècle.

Libérer le travail, c’est au contraire, pour nous, lui redonner du sens, c’est soutenir la créativité des salariés, c’est mettre l’humain au cœur de l’entreprise en donnant des pouvoirs nouveaux aux salariés sur tout ce qui a trait à leurs conditions de travail mais aussi, plus largement, à la gestion même de l’entreprise. Libérer le travail, c’est assurer la sécurisation des parcours professionnels à travers l’emploi et la formation, comme nous le préconisons au moyen d’une proposition de loi.

Mes chers collègues, ne vous y trompez pas : le Gouvernement est parfaitement conscient d’opérer un hold-up législatif, sinon il n’agirait pas à ce point dans l’urgence. S’il y a urgence, c’est que le Gouvernement est conscient qu’un tel texte ne serait pas passé si facilement dans le cadre d’un processus législatif normal. Personne n’est dupe. Je me permettrai de pointer qu’il est tout de même assez cocasse de prétendre renforcer le dialogue social en passant par des ordonnances qui musèlent le Parlement.

Mme Éliane Assassi. Très bien !

Mme Laurence Cohen. Le Gouvernement cherche délibérément à profiter des congés d’été des Françaises et des Français – congés payés acquis de haute lutte lors du Front populaire, faut-il le rappeler – pour empêcher toute mobilisation syndicale, toute manifestation d’envergure. La période estivale est évidemment propice à de telles manœuvres.

Il faut d’ailleurs croire qu’avec ce nouveau gouvernement, avec l’Assemblée nationale fraîchement élue et majoritairement aux couleurs du Président de la République, dont tout le monde feint d’avoir oublié qu’il a été un ministre zélé de François Hollande, la flexibilité ne doit s’appliquer qu’aux seuls salariés, en aucun cas au texte gouvernemental ! Ainsi, sur la centaine d’amendements déposés par notre groupe à l’Assemblée nationale, un seul a été adopté.

Vous nous reprochez souvent d’avoir une position idéologique. Outre que je ne trouve pas honteux d’avoir la prétention de changer le monde en s’appuyant sur l’émancipation humaine, permettez-moi de souligner que le dogmatisme dont vous faites preuve, et qui se veut moderne, ne cesse d’être contredit par les études internationales. Ces dernières, comme l’a rappelé mon collègue Dominique Watrin, ne constatent aucune corrélation entre la protection des salariés et le niveau du chômage.

Votre projet de société ultralibérale constitue, en réalité, un retour en arrière, une remise en cause de certains acquis des luttes sociales qui ne remédiera ni à l’explosion du chômage, ni aux injustes différences de traitement entre PME-TPE et grands groupes cotés en bourse, ni à la baisse du pouvoir d’achat de nos concitoyennes et concitoyens.

En quoi est-ce ringard, en 2017, à l’heure du bond prodigieux des nouvelles technologies, de la révolution numérique, de défendre une semaine de travail non pas de 40 heures, ni même de 35 heures, mais de 32 heures, sans perte de salaire ? En quoi est-ce ringard de défendre le droit au repos et aux loisirs ? En quoi est-ce ringard de s’opposer aux licenciements motivés uniquement par l’augmentation des profits de quelques actionnaires déjà fort nantis ? Je ne peux m’empêcher de penser ici aux « Fralib » : durant 1 336 jours, ils ont résisté, à juste titre, à la multinationale Unilever et réussi à sauver leur outil de travail, pour produire un thé de qualité. 

Alors que des millions de chômeurs attendent de pouvoir travailler, la modernité réside-t-elle dans l’augmentation du temps de travail ? En réalité, cet argument de la modernité n’en est pas un : les projets que vous défendez sont profondément rétrogrades !

Les ordonnances envisagées s’inscrivent dans le prolongement de la loi El Khomri, massivement combattue dans la rue et passée en force à coups de 49-3, une loi inspirée par le MEDEF, dans le droit fil des politiques conduites par la droite.

Jusqu’où ces attaques sans précédent contre des droits sociaux durement acquis au terme de plus d’un siècle de luttes sociales iront-elles ? Peut-être allez-vous nous proposer demain, à l’occasion de la réforme de l’apprentissage, de revenir sur le travail à 16 ans ?

Parce que nous sommes contre l’instauration de la primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche, telle que vous l’envisagez à l’article 1er, parce que nous sommes contre la fusion des instances représentatives du personnel prévue à l’article 2, parce que nous sommes contre la facilitation des licenciements et la mise en place d’un barème pour les indemnités prud’homales, parce que nous sommes contre les CDI de projet définis à l’article 3, parce que votre détermination à mettre à mal le compte pénibilité et votre volonté de prévoir plus de dérogations en matière de travail dominical nous inquiètent beaucoup, nous voterons contre ce projet de loi.

Après cette longue liste, j’opposerai un dernier argument à ce projet de loi. Vous profitez de ce véhicule législatif pour introduire, à l’article 9, le report d’un an de la mise en place du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu ; avec ou sans report, nous sommes défavorables à cette mesure, notamment parce qu’elle vise avant tout à remplacer les cotisations sociales, tout particulièrement la part patronale, par un surcroît d’imposition pour les particuliers via une fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG. On détourne l’attention de nos concitoyennes et de nos concitoyens, mais c’est là en réalité un coup terrible porté à la protection sociale !

Vous avez pu le constater, madame la ministre, nos arguments sont nombreux et étayés. Nous allons donc voter contre ce projet de loi d’habilitation, tout en formulant des propositions alternatives, comme le faisons pour chaque texte qui nous est soumis. Nous avons l’ambition de promouvoir un code du travail du XXIe siècle, respectueux des êtres humains et à la hauteur des défis économiques, sociaux et écologiques de notre temps.

Nous avons une autre conception de la révolution que La République en marche ! 

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