Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Un passage en force au service des vieilles lunes patronales

Habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social (question préalable) -

24 juillet 2017
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Un passage en force au service des vieilles lunes patronales

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, si nous saluons le travail et l’écoute du président de la commission et rapporteur du présent projet de loi, nous contestons le choix des ordonnances.

Nous sommes sur un champ législatif très large, aussi vaste et complexe que le code du travail, et, en quelques jours de débat parlementaire, nous devrions valider le cadre que vous nous proposez, madame la ministre, sans connaître tout ce qui s’est dit avec les organisations représentatives. Tout cela s’apparente à un blanc-seing !

Je rappellerai donc aux sénatrices et sénateurs qui s’apprêtent à vous suivre qu’ils abdiqueraient encore un peu plus leur pouvoir constitutionnel d’élaboration de la loi. En effet, même si, au final, les ordonnances n’étaient pas ratifiées par le Parlement, celles-ci s’appliqueraient quand même sous forme de décrets.

Ce passage en force ne nous surprend pas au groupe communiste républicain et citoyen. Il n’est que la conséquence du parti pris à 100 % patronal, à 100 % MEDEF de l’exécutif ! Force est de constater que, sous couvert de modernisation, vous reprenez en fait une à une toutes les vieilles lunes du cahier des revendications patronales : primauté de l’accord d’entreprise, contournement des organisations syndicales, nouvelle réduction du champ du principe de faveur, facilitation et sécurisation des licenciements économiques, extension du travail de nuit et du dimanche, remise en cause du compte pénibilité, et j’en passe ! Ce sont autant de reculs des droits individuels et collectifs des salariés.

Vous tentez de présenter cette énième réforme à une opinion publique mal informée comme une réponse aux bouleversements du travail, à la diversité des entreprises ou comme un levier pour dynamiser l’entreprenariat. 

Derrière l’imprécision du texte d’habilitation se cache, en réalité, une main de fer, celle qui est résolue à imposer la décentralisation des négociations collectives au niveau de l’entreprise, c’est-à-dire là où le salarié est le plus en situation de faiblesse. 

Avec le principe de subsidiarité que vous sanctuarisez, vous inversez, en réalité, la hiérarchie des normes.

Bien sûr, vous prétendez renforcer aussi le rôle des branches, mais hormis les domaines spécifiquement désignés par la loi ou les quelques possibilités de verrouillage, nombre de droits actuellement garantis par les conventions collectives de branche pourraient être remis en cause. Beaucoup s’en inquiètent, bien au-delà de notre sensibilité.

Et en même temps, madame la ministre, vous recentralisez tous les pouvoirs entre vos mains en supprimant la commission d’experts prévue à l’article 1er de la loi El Khomri, qui devait travailler à des propositions d’évolution du code du travail.

Notre question préalable s’appuie sur ces données incontestables, mais plus encore sur le respect que nous portons à ces millions de Françaises et de Français qui cherchent un emploi ou qui voudraient vivre décemment du leur parce que précarisés.

Le Président de la République a lui-même présenté ce texte comme un « préalable » à la modernisation de notre économie.

Il n’y aurait donc pas de flexibilité dans la législation et la règlementation actuelles ? Permettez-moi d’en douter ! Ainsi, lorsque je vais sur la zone de Capécure, à Boulogne-sur-Mer, je m’aperçois que plus de 50 % des postes de production sont occupés en permanence par des intérimaires, qui ont sans doute des difficultés pour construire un projet de vie ou contracter un emprunt !

Mme Nicole Bricq. C’est justement à eux que nous pensons !

M. Dominique Watrin. Autre exemple, lorsque je téléphone dans mon département natal, la Manche, une ancienne voisine me dit tout ce qu’une société peut aujourd’hui imposer comme contraintes et obligations à un jeune pour gagner 230 euros à distribuer des annuaires téléphoniques !

Or le nombre des contrats « sauvages », ces CDD de moins d’un mois, est passé de 1,5 million en 2010 à 4 millions en 2016.

Sans doute les patrons ont-ils compris que ce serait encore mieux si le CDI lui-même était précaire ! Et c’est ce que vous nous proposez, d’une certaine manière ! 

Si je vous ai bien entendue, madame la ministre, il faut redonner confiance aux chefs d’entreprise pour recréer de l’emploi. Mais que faites-vous de toutes les études qui montrent qu’il n’y a pas de lien entre la protection de l’emploi et la montée ou la baisse du chômage ? L’ensemble des contre-réformes précédentes, dont les dernières remontent à l’année passée et qui n’ont d’ailleurs jamais été évaluées, n’ont pas résolu le problème du chômage de masse en France. 

Toutes les études conduites par l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’Organisation internationale du travail, la Banque mondiale et l’INSEE le démontrent, il n’y a pas de lien entre l’abaissement des droits et des garanties collectives et le règlement des problèmes de l’emploi et du chômage. 

C’est également vrai à l’échelle européenne, avec les mini-jobs à l’allemande, les contrats zéro heure à l’anglaise, le Jobs Act à l’italienne ou encore les reçus verts à la portugaise. Peut-être ces pays ont-ils dégonflé artificiellement les statistiques du chômage, mais ils ont sûrement précarisé les travailleurs en plongeant nombre d’entre eux dans la misère, sans aucun effet réel sur l’emploi.

Selon la dernière note de conjoncture de l’INSEE, même les employeurs de notre pays ne placent la complexité du code du travail qu’au quatrième rang de leurs préoccupations comme frein à l’emploi, bien loin derrière l’incertitude économique, c’est-à-dire le niveau de croissance ou les difficultés à recruter du personnel qualifié et compétent. 

En réalité, c’est un projet de loi d’habilitation très politique, déconnecté des réalités, dangereux pour la performance de l’économie et notre équilibre social que le Président de la République vous demande d’autoriser, mes chers collègues, un texte qui va même au-delà des recommandations de la très libérale Commission européenne, laquelle saluait, dans les textes précédents – lois Macron, Rebsamen et El Khomri –, des « progrès substantiels ». Mais le Président de la République voudrait absolument « taper sur la table »… 

Nous disons stop, et c’est pourquoi défendons cette motion tendant à opposer la question préalable !

Ce que nous voulons, c’est construire un nouveau code du travail plus simple et plus protecteur, qui réponde aux défis du XXIe siècle, qui donne de nouveaux droits aux salariés et aux comités d’entreprise pour faire primer l’outil de travail sur la rapacité des fonds de pension prédateurs d’emplois ou les licenciements boursiers, un code du travail qui anticipe les mutations économiques, les évolutions technologiques, qui prenne aussi en compte les nouvelles aspirations des jeunes.

La question des plateformes numériques, par exemple, n’est pas traitée dans ce texte. Pourtant, il est urgent de protéger les travailleurs concernés, et ce serait possible même en leur préservant une large indépendance, avec la définition d’un nouveau contrat de « salarié autonome ».

C’est ce que propose le GR-PACT, le groupe de recherche pour un autre code du travail, qui a rédigé une version quatre fois plus courte que l’actuel code et qui devrait être la vraie base de travail pour une remise à plat digne de ce nom. Ce remarquable travail, que vous ignorez malheureusement, madame la ministre, a été effectué par une vingtaine d’universitaires sous la direction d’Emmanuel Dockès, en concertation avec des syndicalistes de toutes les confédérations représentatives des salariés, sans exception.

Mes chers collègues, parce que ce travail ne peut être ignoré, parce que le postulat sur lequel vous fondez ce projet de loi d’habilitation est manifestement erroné, parce que nous avons à cœur de défendre et le dynamisme de l’économie et la protection des salariés, je vous invite à voter la question préalable !

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