dossier Covid-19 : les politiques libérales en accusation

Peut-on lutter efficacement contre la pandémie de covid-19 avec des méthodes fidèles aux dogmes libéraux, alors que ceux-ci ont précisément conduit à méconnaître la crise puis à l’aggraver, notamment en affaiblissant la recherche et le service public hospitalier ? Pour le gouvernement, la réponse est oui, comme en témoignent sa gestion de la crise et plus particulièrement les dispositions de la loi de finances rectificative et les mesures de l’état d’urgence sanitaire, entré lui en vigueur le 24 mars, qu’il a fait adopter par le Parlement. Pour les membres du groupe CRCE, la réponse est en revanche négative. Ils se sont donc abstenus lors du vote de cette loi de finances rectificative et se sont prononcés contre les mesures d’urgence proposées par Emmanuel Macron : pleins pouvoirs au gouvernement pendant deux mois, sans contrôle ou presque ni vote du Parlement ; dérogations injustifiées au droit du travail en matière de congés, de repos hebdomadaires et dominicaux ; mais refus de mettre à contribution les ménages les plus riches et les actionnaires.

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Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Une instrumentalisation de l’urgence sanitaire

Diverses dispositions liées à la crise sanitaire -

Par / 26 mai 2020

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui est, si je puis dire, une énième illustration d’une désinvolture assumée du Gouvernement à l’égard du Parlement et de la démocratie parlementaire.

Monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, vous profitez de l’état d’urgence sanitaire pour demander à la représentation nationale de se dessaisir de ses droits, en faisant de la législation par ordonnances la règle, alors même que, comme l’a souligné Mme la rapporteure, le Parlement a démontré sa réactivité face à la crise sanitaire.

Vous demandez au Parlement une délégation de son pouvoir législatif dans des domaines aussi variés que le droit social, le droit de la consommation, les finances publiques, le droit pénal, le droit d’asile, le droit européen, le code de la défense, le code de l’environnement, sans lien avec la gestion de la pandémie, aux seules fins de faire l’économie d’un débat de fond et d’éviter d’avoir à justifier vos choix devant les députés et les sénateurs.

Dans sa version initiale, ce projet de loi prévoyait 40 ordonnances, que le Gouvernement entendait prendre dans un temps extrêmement resserré, faisant fi du principe constitutionnel de clarté de l’élaboration de la loi. La seule ligne directrice de ce texte sans cohérence est de pallier le retard pris par le Gouvernement en amont de la crise sanitaire, reprenant des dispositions éparses de textes en cours de navette parlementaire.

Comment pourrions-nous accepter, en cette période d’incertitude et d’inquiétude, en cette période de défiance profonde de la population à l’égard de l’exécutif, le blanc-seing que vous demandez, alors qu’une cinquantaine d’ordonnances plus anciennes doivent encore être ratifiées ? Comment pourrions-nous accepter l’instrumentalisation de l’urgence sanitaire pour nous départir de notre pouvoir législatif pour un temps anormalement long, les délais des habilitations prévues initialement variant entre six et quinze mois à compter de la publication de la loi ? Nous saluons, à cet égard, le travail de la commission des lois, qui a réduit le champ et la durée de nombreuses ordonnances et qui a rappelé que le Gouvernement devrait présenter les projets de loi de ratification de ces dernières dans un délai de deux mois.

Comment accepter que, dans ce brouillard législatif, le Gouvernement puisse profiter de la confusion et de l’inquiétude générale pour prendre des mesures qui vont nuire aux Français ? Ne nous y trompons pas : si certaines mesures sont directement liées à l’épidémie de Covid-19 – il y va ainsi des règles applicables au chômage partiel, de la fin anticipée des saisons sportives, de la prolongation du versement de l’allocation pour les demandeurs d’asile et des contrats aidés –, d’autres, en revanche, et non des moindres, sont des attaques en règle contre le droit du travail ou le pouvoir judiciaire, ou encore en faveur d’intérêts particuliers, voire purement électoraux.

Pour illustrer mon propos, quelle urgence y a-t-il à favoriser l’ouverture de la saison de la chasse, alors que nos concitoyens sont encore limités dans leur liberté d’aller et venir et doivent se soumettre aux gestes barrières afin d’éviter une seconde vague ? Que dire de la possibilité laissée aux employeurs de multiplier les contrats à durée déterminée hors de toute contrainte et de déroger au nombre de vacations dans toute une série de missions publiques ? Nous le savons, l’assouplissement des règles relatives au CDD et à l’intérim s’est toujours accompagné d’une précarisation des conditions d’emploi pour les travailleurs concernés, sans effet significatif en termes de relance économique, d’autant que cette mesure a été aggravée par la commission des affaires sociales, qui ne souhaitait pas que les dérogations aux règles de renouvellement des CDD existantes soient neutralisées par la durée de trente-six mois prévue à l’article 1er bis A. Il s’agit des contrats conclus dans le cadre des parcours emploi compétences, en particulier des contrats uniques d’insertion.

Quelle urgence y avait-il à inscrire dans ce texte une mesure du projet de loi ASAP permettant aux entreprises de moins de onze salariés de mettre en place un dispositif d’intéressement par décision unilatérale de l’employeur et de prévoir sa reconduction tacite, alors que, dans le même temps, nous savons que de nombreuses familles risquent de voir leurs revenus diminuer à partir de juin si les enfants ne retournent pas à l’école ?

Que dire encore de l’allongement de la durée de séjour des travailleurs étrangers afin de disposer d’une main-d’œuvre peu contraignante et corvéable à merci ? Si la mesure est de bon sens, rien n’est prévu sur leurs conditions de travail et de rémunération. Or il semble que les contraintes sanitaires renforceront le caractère inacceptable des conditions de travail de ces travailleurs, pourtant essentiels. Dans le même temps, rien ou presque n’est prévu pour les travailleurs saisonniers.

La plupart de ces affaiblissements pourront se prolonger plusieurs mois après la fin de l’état d’urgence. Au lieu de proposer un grand plan de relance, avec des droits sociaux nouveaux et des filets de sécurité pour tous, ce texte ne fait qu’étendre la précarité et la casse des conquis sociaux.

De même, comment justifier l’élargissement de l’expérimentation des cours criminelles – rejeté en commission –, à rebours des engagements pris par le Gouvernement au moment du débat sur la réforme de la justice ?

Malgré le travail sénatorial et la réduction du nombre d’habilitations de vingt-quatre à dix, le recours aux ordonnances participe de la dégradation du Parlement. Cela n’est pas acceptable. Le Parlement n’est pas une institution qu’il faudrait occuper afin de se donner bonne figure. Dans cette période d’entre-deux, entre confinement et perspectives de déconfinement total, nous refusons d’être infantilisés et revendiquons le respect de notre légitimité démocratique. Renoncer encore et toujours à nos compétences, c’est oublier que le mandat qui nous a été confié par les Françaises et les Français doit être respecté. C’est oublier que, si, à l’instar de la vie économique, sociale et culturelle, la démocratie a été percutée de plein fouet par la crise que le pays traverse, elle doit rester debout, ne pas être malmenée, bafouée, bâillonnée, sous peine de faire violence aux valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité, auxquelles nous sommes très majoritairement ici attachés.

L’urgence ne justifie pas la précipitation. Elle ne justifie pas que le Parlement soit entravé dans sa capacité d’analyse et de décision éclairée. C’est pourquoi nous voterons contre ce projet de loi, qui n’a d’urgent que le titre.

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