Les courriers officiels

Les violences organisées, la répression brutale de l’opposition entachent le résultat de ce scrutin

Referendum au Congo -

29 octobre 2015

Lettre à Laurent Fabius.

Monsieur le ministre,

J’ai été interpellé par des membres de la communauté congolaise de mon département au sujet de la position difficilement lisible de la France à propos du référendum concernant le projet de réforme constitutionnelle organisé dimanche dernier au Congo Brazzaville.

Tout d’abord, les très mauvaises conditions de l’organisation d’un débat démocratique que nécessite un tel sujet, les violences organisées, la répression brutale de l’opposition entachent le résultat de ce scrutin.

Ces résultats annoncés officiellement contredisent le peu d’enthousiasme observé dans les bureaux de vote dimanche 25 octobre et relaté par de nombreux observateurs.

Le pouvoir annonce un taux de participation de 72,44 % quand l’opposition le mesure à 10 % et relativise la victoire écrasante du oui en faveur de ce changement de constitution qui ouvre la voie à une nouvelle république et surtout à un troisième, voir un quatrième mandat de nouveau possibles pour le président Denis Sassou Nguesso.
L’appel au boycott de l’opposition semblait pourtant très suivi dans les quartiers sud de Brazzaville et la zone méridionale du pays.

De plus, selon le ministre de l’intérieur et de la décentralisation, Raymond-Zéphyrin Mboulou, dont les propos ont été rapportés dans l’édition du journal "Le Monde" du mardi 27 octobre, le vote n’a pas pu se dérouler dans plus de cinq sous-préfectures du sud du pays.

Les constitutions sont théoriquement les garantes d’une alternance politique. Fixer une limite au nombre de mandats présidentiels constitue en effet une saine mesure, adoptée par la majorité des pays africains. La disposition est parfois même inamovible. Ces précautions n’ont toutefois pas empêché nombre de chefs d’État de se maintenir au pouvoir, des décennies durant, par une violation répétée des principes démocratiques et dans l’indifférence générale des médias et de l’opinion publique internationale.

Dans certains pays africains, de véritables dynasties se sont emparées du pouvoir transmis de père en fils. Douze familles aujourd’hui au pouvoir en Afrique l’étaient déjà en 1990. 87% des Gabonais et 79% des Togolais, 69% des congolais dans le cas présent n’ont connu qu’une seule famille à la tête de l’État !

Cette question du respect des constitutions sur le nombre de mandats présidentiels est donc récurrente en Afrique et mériterait que notre pays adopte à ce sujet une position claire, quelques soient les intérêts des entreprises françaises.
Ce n’est malheureusement pas le cas dans la situation du Congo Brazzaville.


Ainsi le 7 juillet dernier, le Chef de l’Etat a reçu à l’Elysée le président Denis Sassou-Nguesso à la demande de ce dernier. A cette occasion, il s’est déclaré, par voie de communiqué, attaché au fait que les référendums constitutionnels soient fondés sur « un consensus ».

Ce qui à l’évidence n’était pas le cas ce dimanche à Brazzaville.

Puis le 21 octobre, lors de la visite du président du Mali, il a affirmé que M. Denis Sassou-Nguesso pouvait consulter son peuple. Ce faisant il a apporté un soutien apprécié par le chef d’état africain.

Enfin le 23 octobre, un communiqué est publié dans lequel le chef de l’Etat français « condamne toute violence, soutient la liberté d’expression et rappelle qu’il a souhaité, lors de son discours prononcé à Dakar le 29 novembre 2014, que les Constitutions soient respectées ».

Cette diplomatie à géométrie variable est absolument illisible. Pire, toute nouvelle position française ambigüe qui ne condamnerait pas explicitement la dictature congolaise installée depuis 31 ans risquerait d’être comprise par les populations africaines, en attente de changement, comme une continuation du néocolonialisme ou de la Françafrique.

Je m’étonne également de l’écart de position avec le Parti socialiste, publiée le 24 septembre, qui appelait le président congolais à renoncer à son projet de révision de la Constitution, regrettant que le président Denis Sassou Nguesso s’engage dans une voie condamnable qui vise à priver le peuple congolais de toute alternance politique. "L’objectif est de violer à la fois la Charte de la démocratie de l’Union africaine et la Constitution congolaise, laquelle stipule précisément que les limites imposées aux mandats présidentiels ne peuvent être sujettes à des modifications constitutionnelles."

Bien sûr, je n’ignore pas qu’au delà des principes, la France ait à cœur de défendre ses intérêts économiques. Sur ce plan, le fait que nous demeurions, et de loin, le premier partenaire du Congo, à la fois en tant que premier fournisseur (21% du marché), premier investisseur et premier créancier n’est sans doute pas étranger à la position prise par l’exécutif français sur ce coup d’état constitutionnel. Je n’ignore pas que plus d’une centaine filiales d’entreprises françaises sont présentes au Congo, employant près de 12 000 salariés dont un millier d’expatriés.

Pour autant, ces intérêt ne peuvent justifier le soutien à ce type de régime, jusqu’à écrire sur le site de votre ministère sans aucun recul ni analyse que "le programme lancé en 2009 par le président Denis Sassou Nguesso, le « Chemin d’avenir » vise à moderniser le pays en développant les infrastructures et en luttant contre la pauvreté et la corruption."

Une position pour le moins étonnante sachant que l’affaire dite des « biens mal acquis » a donné lieu cet été à la saisie de biens immobiliers des propriétés appartenant au clan du président congolais. Les investigations se poursuivent, les magistrats le soupçonnant fortement, ainsi que ses proches, de détourner à leur profit une partie importante de la rente pétrolière de leur pays. Selon des informations distillées dans la presse, les enquêteurs seraient persuadés que "leur véritable propriétaire", dissimulé derrière des sociétés-écrans, est le neveu du président, Wilfrid Nguesso. Ces éléments ne sont d’ailleurs pas nouveaux puisque le président du Congo et sa famille sont visés depuis 2009 par une enquête sur leur patrimoine français. La justice avait déjà saisie une quinzaine de véhicules de luxe en février. L’écheveau de sociétés est complexe, mais les enquêteurs s’appuient notamment sur des signalements de la cellule Tracfin. Je souhaite bien évidemment que la justice française puisse continuer à faire son travail sereinement, sans contraintes ni pression sur ce dossier sensible.

Dans ce contexte général, Monsieur le ministre, je serai heureux que la France éclaircisse sa politique vis à vis des peuples africains comme de ceux qui les oppriment.

Dans cette attente, je vous prie de croire, Monsieur le ministre, en l’expression de mes salutations les plus respectueuses.

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