Les courriers officiels

Michel Billout interroge Laurent Fabius sur le silence assourdissant de la France

Atteintes aux droits de l’homme et aux libertés d’expression en Turquie -

28 janvier 2016

Monsieur le ministre,

En décembre dernier, je vous ai déjà interpellé au sujet de la situation en Turquie, et notamment de la répression à l’égard des Kurdes turcs ou syriens comme à l’égard de journalistes qui dénoncent, documents à l’appui, l’aide apportée à DAECH par les autorités turques.

Toujours dans l’attente d’une réponse, je m’interroge, au vu des derniers événements, sur le silence de la France comme de l’Europe, sur les atteintes aux droits de l’homme perpétrées contres les Kurdes.

La semaine dernière, plus de 1200 intellectuels turcs et étrangers ont signé une « pétition » pour la paix dénonçant les « massacres » commis par les forces de sécurité turques lors d’opérations en cours contre les rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) dans plusieurs villes sous couvre-feu.

Le président Recep Tayyip Erdogan a vivement réagi en les qualifiant de « traîtres » et en les accusant de complicité avec les « terroristes » du PKK. De nombreuses procédures judiciaires ont été lancées dans tout le pays et plusieurs universités ont engagé des procédures disciplinaires contre les pétitionnaires. Une vingtaine d’universitaires avaient été brièvement placés en garde à vue par la police avant d’être relâchés.

Mercredi dernier, selon l’agence de presse Dogan trois autres ont encore été arrêtés et interrogés dans le cadre d’une enquête ouverte par le procureur de Sakarya pour « propagande terroriste » et « insulte à la Turquie et à ses institutions ». Deux d’entre eux ont été remis en liberté après leur déposition. Tous risquent des peines allant d’un à cinq ans de prison.

Parmi les signataires, Cengiz Aktar, politologue, chercheur à l’Istanbul Policy Center s’est exprimé le 22 janvier dans le Nouvel Observateur. Spécialiste des questions européennes, il a longtemps travaillé pour les Nations unies et notamment au sein du HCR. Il dénonce "l’opinion internationale qui joue aujourd’hui aux trois singes : je ne vois pas, je n’entends pas et je n’en parle pas." Et de prévenir sur les conséquences de cet aveuglement : "Ce que les Européens ne semblent pas vouloir comprendre, c’est que si cette sorte de guerre civile continue en Turquie et s’ils ne réagissent pas ils seront alors obligés non seulement d’accueillir les réfugiés syriens sur leur sol, mais aussi les réfugiés turcs !"
Quant aux libertés individuelles dans ce pays, le Politologue est très précis : "On est revenu aujourd’hui, en termes de droits de l’homme en Turquie, à une situation pire qu’à la période antérieure aux réformes d’inspiration européenne qui avaient eu lieu de 2002 à 2005. Même notre constitution d’inspiration militaire qui date du coup d’État de 1982, loin d’être un modèle démocratique, est aujourd’hui violée par le pouvoir en place." {}

Nous le savons tous, ces universitaires, ces intellectuels turcs se mettent en danger aujourd’hui, non pour défendre des terroristes, mais contre les dizaines de milliers de vie mises en danger aujourd’hui dans les zones kurdes.

Un rapport publié jeudi 21 janvier 2016, par Amnesty International renforce leur démarche et le sens de leur action en donnant des précisions sur la situation de ces populations kurdes. "L’offensive menée par le gouvernement turc contre des villes et quartiers kurdes, qui se traduit par des couvre-feux permanents et des coupures de services, met la vie de près de 200 000 personnes en danger et constitue une sanction collective." (..) " Selon de nombreuses informations, les forces de sécurité empêchent les ambulances de pénétrer dans les zones placées sous couvre-feu et de dispenser des soins aux malades. (...) Les coupures d’eau et d’électricité, ainsi que les dangers encourus pour se procurer des vivres et des soins médicaux sous les tirs, ont des effets dévastateurs sur la population et la situation risque de s’aggraver rapidement, si rien n’est fait pour y remédier, a déclaré John Dalhuisen, directeur du programme Europe et Asie centrale d’Amnesty International lors de la présentation de ce rapport.

Celui-ci démontre bien la gravité de la situation : en Turquie, aujourd’hui, tous ceux qui dénoncent les atteintes aux droits humains font l’objet de menaces, d’enquêtes pénales et d’autres formes de harcèlement.

Le 9 janvier, le parquet a ainsi ouvert une information judiciaire contre l’animateur d’une émission-débat et un autre employé pour « propagande en faveur d’une organisation terroriste », parce qu’un spectateur avait appelé le Beyaz show et exhorté le public à ne pas se taire au sujet de la mort des femmes et des jeunes filles dans le sud-est du pays.

Et pendant que les autorités turques semblent déterminées à réduire au silence toute critique interne, la communauté internationale reste muette.

"Les considérations stratégiques liées au conflit syrien et les démarches visant à s’assurer l’aide de la Turquie pour juguler le flux de réfugiés vers l’Europe ne doivent pas éclipser les allégations de violations flagrantes des droits humains. La communauté internationale ne doit pas fermer les yeux sur ce qui se passe ", a également déclaré John Dalhuisen.

Je partage tout à fait ce point de vue.

Dans ce contexte, je souhaiterais donc connaître la position de la France concernant cette très inquiétante dégradation de la situation en Turquie, pour les Kurdes comme pour tous les démocrates.

En espérant cette fois obtenir une réponse, je vous prie de croire, Monsieur le ministre, en l’expression de mes salutations les plus distinguées.

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