Les débats

Aucune étude sérieuse n’a pu démontrer l’efficacité de ces dispositifs

Encadrement juridique de la vidéosurveillance -

Par / 30 mars 2010

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà une dizaine de jours, cinq pompiers catalans ont été jetés en pâture aux téléspectateurs. Filmés à leur insu dans un supermarché, ils ont été présentés comme des terroristes de l’ETA, membres du commando responsable d’une fusillade ayant coûté la vie à un brigadier français.

Cet exemple édifiant des méfaits de la vidéosurveillance nous oblige à le rappeler : la vidéosurveillance est liberticide. Elle porte atteinte à la présomption d’innocence, comme à bien d’autres droits fondamentaux, qu’il s’agisse de la liberté d’aller et venir ou du droit au respect de la vie privée. En outre, elle est inefficace.

Cependant, comme le dénonçait, en juillet dernier, le Syndicat national de la magistrature, le Gouvernement refuse de prendre acte de l’inefficacité de l’arsenal répressif qu’il a mis en place. Au contraire, il encourage davantage encore l’installation de ces dispositifs dans le cadre du plan de développement de la vidéosurveillance, dont l’objectif est de faire passer de 20 000 à 60 000 le nombre de caméras installées d’ici à la fin de l’année 2011.

Pourtant, aucune étude sérieuse n’a, pour l’heure, pu démontrer l’efficacité de ces dispositifs. Au contraire, une récente étude britannique a souligné les limites de la vidéosurveillance : malgré la multiplication du nombre des caméras – on en compte 90 000 sur l’ensemble du territoire du Royaume-Uni –, celles-ci n’ont, à long terme, aucun effet dissuasif, et 80 % des images sont inutilisables ; de plus, les caméras installées à Londres n’ont permis de résoudre que 3 % des affaires de vol. Un responsable de Scotland Yard a même conclu à un « véritable fiasco » d’une politique sécuritaire qui a mobilisé des millions de livres sterling.

Quant à l’étude française sur laquelle vous vous fondez, monsieur le ministre, et qui paraît plaider en faveur de la vidéosurveillance, force est de constater que de nombreux experts, notamment ceux de l’Institut national des hautes études de sécurité, en contestent la pertinence. Vous avez d’ailleurs vous-même fini par concéder que le nombre des actes de délinquance avait cessé de diminuer, malgré le nombre croissant de sites surveillés.

M. Brice Hortefeux, ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales. Pas du tout !

Mme Éliane Assassi. Néanmoins, malgré ce constat et le danger potentiel que représente la vidéosurveillance, les Français semblent favorables à ce dispositif.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Eh oui ! Alors que fait-on ?

Comme le rappelle régulièrement le Gouvernement, un sondage de mars 2008 confié par la CNIL à IPSOS a ainsi montré que 71 % des personnes interrogées étaient favorables à la présence de caméras de vidéosurveillance dans les lieux publics et que 65 % d’entre elles estimaient que la multiplication du nombre des caméras permettra de lutter efficacement contre la délinquance et le terrorisme.

Cependant, ces chiffres perdent tout leur sens si l’on omet de préciser que 79 % des sondés considèrent que les dispositifs de vidéosurveillance doivent être placés sous le contrôle d’un organisme indépendant. Si les Français sont soucieux de leur sécurité, ils le sont donc encore plus, avec raison, des garanties offertes par l’encadrement juridique des systèmes de vidéosurveillance.

Face aux objectifs du Gouvernement, qui entend voir tripler le nombre de caméras installées sur le territoire d’ici à un an, nous dénonçons l’absence de garanties suffisantes offertes par l’encadrement juridique actuel des dispositifs de vidéosurveillance.

Les carences de cet encadrement juridique ont d’ailleurs été parfaitement mises en lumière par le rapport d’information de nos collègues Jean-Patrick Courtois et Charles Gautier ; trois d’entre elles méritent d’être soulignées.

La première concerne le manque de clarté. Suivant les lieux – publics ou privés – et les technologies utilisées –analogiques ou numériques –, les systèmes de vidéosurveillance relèvent soit du régime prévu par la loi Informatique et libertés de 1978, soit du régime mis en place par la loi du 21 janvier 1995 d’orientation et de programmation relative à la sécurité. Or, l’autorité chargée du contrôle de ces systèmes varie en fonction de la loi applicable.

En effet, le contrôle relève de la CNIL lorsqu’il s’agit d’un système soumis aux dispositions de la loi de 1978 et de commissions départementales lorsqu’il relève de la loi de 1995. Les citoyens s’y perdent et ne savent plus vers quelle autorité de contrôle se tourner. La multiplicité des plaintes et des demandes adressées à la CNIL concernant des systèmes pour lesquels elle n’est pas compétente en atteste.

Dès lors, peut-on raisonnablement considérer que le respect des libertés fondamentales est assuré quand l’autorité chargée de les garantir est difficilement identifiable ? Pour notre part, nous ne le pensons pas.

Une deuxième faiblesse du régime juridique de la vidéosurveillance réside dans l’inadéquation des mécanismes de contrôle prévus par la loi de 1995.

Par cette loi, sont confiés à des commissions départementales le contrôle des demandes d’autorisation d’installation de systèmes de vidéosurveillance sur la voie publique ou dans des lieux ouverts au public et celui des installations déjà en place. Or, les décisions prises par ces commissions ne sont harmonisées par aucune autorité nationale et souffrent d’un défaut de publicité. Elles sont donc sans cohérence d’un département à l’autre et n’ont aucun caractère dissuasif puisqu’elles ne sont pas portées à la connaissance du public. Elles n’offrent ainsi aux citoyens aucune des garanties qu’ils sont en droit d’exiger.

La troisième faiblesse du régime juridique de la vidéosurveillance tient à son obsolescence.

À l’heure actuelle, on assiste, par exemple, à un développement massif de dispositifs mobiles ou provisoires de vidéosurveillance. Il est ainsi prévu que la police et la gendarmerie se dotent, dans les prochaines années, de systèmes de vidéosurveillance mobiles destinés à équiper leurs véhicules ou leurs agents. Or, le régime juridique actuel de la vidéosurveillance ne comporte aucune disposition permettant d’informer le public de la présence de ces systèmes et de l’identité de leur responsable. L’encadrement juridique de la vidéosurveillance doit être réformé pour garantir le respect des droits fondamentaux des citoyens.

Cependant, aucune des modifications envisagées qui nous ont été soumises jusqu’à présent ne vont dans le sens d’un renforcement des garanties nécessaires.

Il suffit, pour s’en convaincre, d’évoquer les dispositions de l’article 5 de la proposition de loi renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d’une mission de service public. Ces dispositions modifiaient le régime de la vidéosurveillance en permettant la transmission aux services de police et de gendarmerie nationale, ainsi qu’à la police municipale, d’images captées par des systèmes de vidéosurveillance dans des parties non ouvertes au public d’immeubles d’habitation. Clairement attentatoires aux libertés, ces dispositions ont heureusement été censurées par le Conseil constitutionnel en février dernier.

De la même façon, les modifications à venir ne permettent pas d’être optimistes. On peut d’ores et déjà entrevoir les limites et les dangers des changements que vise à apporter la LOPPSI II, dont nous aurons à débattre prochainement.

En effet, avec ce texte, « le Gouvernement réaffirme sa volonté de favoriser le développement massif de la vidéosurveillance comme outil de lutte contre la délinquance », au détriment du tissu associatif et des actions ayant des fins éducatives ou médicosociales.

La réforme envisagée pose trois problèmes majeurs.

En premier lieu, l’idée qui la sous-tend est d’accroître encore la surveillance visuelle des espaces publics, en la déléguant aux personnes privées. Les dangers d’une telle délégation avaient pourtant été soulignés dans le rapport d’information de 2008.

En effet, grâce à un tel système, également dénoncé par le Syndicat national de la magistrature, « les citoyens, déjà étroitement cernés par les caméras déployées à grand frais par la puissance publique, verront leurs faits et gestes épiés par les sociétés privées, au nom de la “protection” de celles-ci ».

En deuxième lieu, le projet de loi n’apporte aucune clarification sur le régime juridique de la vidéosurveillance et ne prévoit pas de confier à une autorité réellement indépendante le contrôle des violations.

Il est prévu que perdure la concurrence des régimes édictés par les lois de 1978 et de 1995, que j’ai dénoncée tout à l’heure. En outre, le projet de loi confie le contrôle des systèmes de vidéosurveillance à la Commission nationale de vidéoprotection, directement rattachée au ministre de l’intérieur, qui pourrait donc devenir juge et partie… L’attribution de la mission de contrôle à la CNIL, que le rapport d’information appelait de ses vœux et que la CNIL espérait pour garantir l’indépendance de ce contrôle, a donc été écartée.

En dernier lieu, le projet de loi reste silencieux sur les nouvelles technologies, telles que la vidéo-intelligence et la biométrie, et muet sur le croisement des méthodes de surveillance et des données collectées. Pourtant, le recours à ces nouvelles technologies est potentiellement, lui aussi, extrêmement attentatoire aux libertés.

À l’instar de nos collègues Jean-Patrick Courtois et Charles Gautier, nous nous joignons à la CNIL, qui, en février dernier, réitérait « son souhait de voir le régime juridique de la vidéosurveillance revu et harmonisé de façon à assurer un contrôle véritablement indépendant de ces dispositifs, contrôle placé sous son égide ».

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