Les débats

Il faut revenir à l’équilibre de la loi de 2007

Continuité du service public dans les transports -

Par / 10 juin 2014

Co-rapporteure de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’adoption de la loi du 21 août 2007 a suscité une opposition forte chez ceux pour qui elle s’apparente à de nouvelles contraintes.

Néanmoins, les salariés et les organisations syndicales représentatives se sont conformés, dans leur très grande majorité, aux conditions nouvelles d’exercice du droit de grève issues de la loi. Celle-ci n’a donné lieu qu’à un contentieux limité, qui a permis de préciser ses modalités d’application.

Il n’en reste pas moins que les acteurs concernés nous ont fait part de nombreux griefs à l’égard de ce texte. De manière générale, la faiblesse du dialogue social et les tactiques utilisées par les entreprises pour se conformer à la lettre, mais non à l’esprit de la loi sont déplorées par les syndicats. Ainsi, les négociations préalables dans le cadre de l’alarme sociale seraient souvent purement formelles, le rapport de force étant toujours préféré au dialogue.

La majorité des concertations préalables aboutissent, en effet, à un constat de désaccord. De plus, certaines entreprises de transport urbain n’auraient pas mis en place de procédure formalisée de recueil des déclarations préalables d’intention de faire grève, ce qui compromettrait le secret professionnel par lequel elles sont couvertes.

Enfin, cette loi aurait indubitablement transformé l’exercice d’un droit constitutionnel fondamental, le droit de grève, en une affaire de spécialistes, marquant un pas supplémentaire dans le sens de la judiciarisation des relations de travail.

De leur côté, les employeurs soulignent que la loi ne fait pas de distinction entre les grèves en fonction de leur mot d’ordre, qui, lorsqu’il est national, ne peut être satisfait par l’entreprise. De plus, certains estiment que l’alarme sociale est dévoyée, car elle est banalisée au détriment des institutions représentatives du personnel.

Enfin, ils regrettent que la Cour de cassation ait reconnu la légalité des préavis de grève à durée déterminée de longue durée et des grèves récurrentes de très courte durée – moins d’une heure –, dont ils estiment qu’elles ont des effets disproportionnés en termes de désorganisation de l’entreprise.

Au fil de nos auditions, nous avons constaté que l’impact de la loi sur la conflictualité était difficile à apprécier du fait, notamment, du caractère irrégulier et difficilement prévisible de la récurrence des mouvements sociaux.

L’évolution du nombre de préavis de grève ou de jours de grève par agent à la RATP ou à la SNCF depuis 2007 ne semble pas liée à l’adoption de la loi. Il n’est pas possible d’établir une corrélation entre la loi et l’évolution de la conflictualité, cette dernière dépendant surtout des mots d’ordre nationaux.

Dans ce contexte, notre rapport formule une série de recommandations visant essentiellement à améliorer l’application de la loi.

Il est tout d’abord indispensable de remettre le dialogue social au cœur de cette application. Son amélioration, objectif affiché de ce texte, n’a pas été généralisée. Il faut donc tirer pleinement parti des possibilités offertes, en associant mieux les institutions représentatives du personnel à la définition du plan de transport adapté et du plan d’information des usagers. Surtout, la période de négociation préalable doit être mise à profit par toutes les parties pour chercher à éviter le conflit. Si elle reste purement formelle, sa valeur ajoutée par rapport au préavis est inexistante.

La revalorisation du dialogue social en dehors des périodes de conflit est le seul moyen de parvenir, à terme, à une diminution significative du nombre et de l’intensité des conflits sociaux dans les transports. Le dialogue social doit devenir une démarche permanente, plutôt qu’un ultime recours lorsque le conflit devient inévitable. Les organisations syndicales ne doivent pas avoir à menacer du dépôt d’un préavis de grève pour être reçues par la direction. Les litiges individuels doivent pouvoir être résolus par d’autres biais que l’alarme sociale.

Il faut surtout revenir à l’équilibre voté en 2007 : cela passe par la suppression des modifications apportées en 2012 par la loi Diard. En application de celle-ci, les salariés qui avaient l’intention de faire grève doivent informer vingt-quatre heures à l’avance leur employeur s’ils y renoncent ou, pour ceux qui étaient en grève, s’ils souhaitent reprendre le travail.

La stabilité des règles conciliant la défense des intérêts professionnels des salariés et la sauvegarde de l’intérêt général doit être recherchée. La loi Diard est venue la perturber, avec un effet contraire à celui qui était initialement recherché, puisqu’un salarié peut être artificiellement forcé à faire grève vingt-quatre heures de plus qu’il ne l’aurait souhaité.

Le deuxième volet de nos recommandations porte sur la responsabilisation des autorités organisatrices de transport. Celles-ci doivent s’investir davantage dans la définition des dessertes prioritaires en cas de perturbation : elles peuvent agir par ce biais pour corriger des inégalités territoriales ou garantir que des services prioritaires sont correctement desservis. Il est également important qu’elles approuvent le PTA et le PIU préparés par l’entreprise de transport, le cas échéant en demandant des modifications.

Surtout, elles doivent intégrer des critères sociaux et environnementaux de qualité de service dans les conventions d’exploitation qu’elles concluent avec les entreprises de transport. Prévue par l’article 12 de la loi, cette mesure est jusqu’à présent restée lettre morte ; seul le STIF s’en est saisi pour les contrats signés avec la RATP et la SNCF en 2012. L’État, qui est AOT, c’est-à-dire autorité organisatrice de transport, des trains d’équilibre du territoire, est en retard sur ce point, tout comme de nombreuses régions.

Par cette disposition, l’AOT pourrait garantir des acquis sociaux, en particulier lorsque le recours à la sous-traitance est très répandu. Les possibilités sont également nombreuses sur le plan environnemental.

La systématisation des bilans d’exécution des PTA et des PIU ainsi que leur contrôle par l’AOT doit être l’occasion pour cette dernière d’évaluer les choix de l’entreprise de transport. L’intérêt ici n’est pas uniquement de faire un bilan comptable de la mise en œuvre d’un PTA. L’AOT doit être à même d’identifier l’origine de toutes les perturbations et, en cas de grève, de comprendre pourquoi la procédure de prévention des conflits a échoué.

Il nous est également apparu important de développer des outils statistiques harmonisés de suivi des perturbations du trafic et de l’application de la loi. À titre d’exemple, la SNCF ne dispose pas de statistiques consolidées sur les principales causes de perturbations prévisibles du trafic recensées sur son réseau. Une typologie précise et uniforme doit donc être réalisée à l’échelle nationale.

Le secteur du transport interurbain doit faire un effort particulier. Il a échoué à conclure un accord de branche sur la prévention des conflits et ne dispose d’aucun outil statistique fiable. Le dialogue social dans la branche doit donc reprendre et la fédération professionnelle concernée, la FNTV, doit assurer le suivi de l’application de la loi.

Enfin, il est temps que le Gouvernement s’assure que cette loi est uniformément appliquée sur tout le territoire. Le ministère des transports devrait donc réaliser un recensement des PTA et PIU pour dresser un bilan exhaustif de ceux-ci. Sur cette base, un travail de sensibilisation des AOT et de partage de leurs initiatives pourrait être entrepris.

La conciliation de deux principes constitutionnels apparemment contradictoires comme la continuité du service public et le droit de grève aboutit inévitablement à un résultat qui ne satisfait pas pleinement l’ensemble des acteurs concernés, qu’ils soient plus favorables à l’un ou à l’autre de ces droits. Néanmoins, ils se sont approprié la loi du 21 août 2007. Réponse sans doute imparfaite au problème plus vaste de la qualité du service dans les transports, celle-ci n’en a pas moins contribué à enclencher la mécanique du dialogue social dans ce secteur d’activité.

Il faut désormais poursuivre dans ce sens, afin que les revendications légitimes des salariés ne soient pas opposées aux droits constitutionnels des usagers. L’édifice a été bâti : il appartient maintenant à tous les acteurs de faire vivre le dialogue social, au bénéfice du service public.

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