Les débats

L’Allemagne, un modèle si fragile

Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 23 et 24 octobre 2014 -

14 octobre 2014
L’Allemagne, un modèle si fragile
L’Allemagne, un modèle si fragile

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le prochain Conseil européen sera l’occasion, notamment, de revenir sur la question du climat et de l’énergie, conformément aux conclusions des précédents conseils.

Certes, il est important de définir le nouveau cadre d’action en matière de climat et d’énergie, voire de prendre quelques mesures supplémentaires afin de renforcer la sécurité énergétique.

Mais permettez-moi de revenir tout d’abord sur un point qui nous paraît essentiel si nous voulons réellement avancer dans tous les domaines, y compris celui de l’énergie : je veux parler de la situation économique de l’Union européenne.

Depuis des mois, et pour cause, ce sujet est au cœur des préoccupations des dirigeants européens. Le futur commissaire européen chargé de l’emploi, de la croissance, de l’investissement et de la compétitivité a même déclaré dernièrement que l’Allemagne, la France et l’Italie doivent privilégier l’investissement pour stimuler la croissance économique.

Pourtant, il nous paraît compliqué d’investir plus alors que, au niveau budgétaire, la Commission européenne demande, en particulier à la France, de réduire encore davantage les dépenses publiques...

C’était sans compter sur la proposition du commissaire européen qui explique que les partenariats public-privé, les PPP, sont la solution pour permettre aux pays d’investir ; il soulignait même : « Notre but est d’attirer de l’argent privé pour de grands projets d’infrastructures dans les secteurs de l’énergie, du transport et du haut débit. Le secteur privé ne peut pas prendre la totalité des risques. »

En théorie, les PPP permettent d’entretenir, de construire et d’améliorer des équipements à moindres frais. Toutefois, la Cour fédérale des comptes en Allemagne doute que ce système revienne moins cher. Elle a pris pour exemple sept grands projets routiers financés par le privé ; cinq d’entre eux auraient été moins coûteux s’ils avaient été financés de manière classique, et 1,9 milliard d’euros auraient ainsi été économisés.

Pour rester en Allemagne, l’exemple de l’autoroute A1 est tout à fait révélateur. Le ministère des transports pensait que le PPP se traduirait par une économie de 40 %, mais au final cela a coûté un tiers de plus que s’il avait été financé par le contribuable allemand.

Les responsables politiques se déchargent ainsi des missions de service public avec l’argument de la rigueur budgétaire. Mais le malheur des uns fait le bonheur des autres, comme le dit le vieil adage… Nous savons tous que certains consortiums sauront tirer avantage de cette situation.

Depuis des mois, voire quelques années maintenant, on nous serine que la rigueur est le remède miracle à tous nos maux. Souvent d’ailleurs, le modèle allemand est cité en exemple, mais depuis quelques semaines, des voix discordantes commencent à se faire entendre. Le directeur du très réputé Institut allemand de recherche économique – le DIW –, Marcel Fratzscher, vient de publier Die Deutschland-Illusion – Allemagne, l’illusion. Cet ouvrage expose les conclusions auxquelles sont parvenus les chercheurs du DIW. Or, contrairement à ce que l’on voudrait nous faire croire, l’Allemagne n’est pas un si bon modèle... Ce serait même plutôt un modèle qui présente quelques fragilités.

L’investissement public en Allemagne représente 1,6 % du PIB, quand la moyenne de la zone euro se situe à 2,1 %. L’évolution du PIB en volume au deuxième trimestre 2014 par rapport au trimestre précédent est de - 0,2 %, alors que pour la France il est de 0 et pour l’Union européenne à vingt-huit il est de 0,2 %. Outre une croissance faible, la progression des salaires est moins grande que dans le reste de la zone euro, un enfant sur cinq vivant sous le seuil de pauvreté.

Au début des années quatre-vingt-dix, l’État et les entreprises investissaient 25 % du PIB dans les infrastructures routières, les câbles téléphoniques, les écoles et les usines. Aujourd’hui cette proportion est tombée à 19,7 %. L’Allemagne n’investit pas dans son avenir, les investissements d’aujourd’hui sont pourtant la prospérité de demain – petit clin d’œil à Helmut Schmidt. Le DIW estime que le déficit d’investissement a représenté 3 % du PIB entre 1999 et 2012, et même 3,7 % entre 2010 et 2012... L’État et les entreprises devraient dépenser 103 milliards d’euros de plus rien que pour générer une croissance raisonnable et rester au statu quo...

Voilà aujourd’hui où la sacro-sainte rigueur nous conduit : ne plus investir dans l’avenir que ce soit pour les infrastructures, les usines et, encore plus important, l’éducation. Pourtant, si nous voulons être « compétitifs », il faut investir de façon intelligente et cesser de penser que la dette publique est un fardeau, car la dette qui investit a aussi des vertus.

Si l’on prend l’exemple de la France, ce qui cause réellement cette dette n’est pas tant un excès de dépenses, puisque ces dernières n’ont augmenté que de 2 % en trente ans, qu’un déficit persistant de recettes. Les exonérations fiscales et sociales accordées, aux grandes entreprises pour l’essentiel, sur cette période représentent un manque à gagner de 488 milliards d’euros. De plus, depuis quarante ans, les États ne peuvent plus se financer directement auprès des banques centrales et sont donc obligés de passer par les marchés financiers. Ainsi, les intérêts versés représentent 589 milliards d’euros ! Enfin, l’évasion fiscale a coûté à notre pays 424 milliards d’euros depuis 1980...

D’ailleurs, la question de l’énergie, du climat, et plus généralement de la transition énergétique, est certainement un des défis majeurs que nous avons à relever, et il peut nous permettre de relancer l’économie de façon raisonnée en tenant compte de l’ensemble des variables.

Le 23 septembre dernier s’est tenu à New York le sommet sur le climat de l’ONU. Malheureusement, on ne peut pas dire que ce dernier ait été une véritable réussite. Ainsi, le fonds vert de l’ONU n’a récolté pour l’instant que 2,3 milliards de dollars ; c’est très loin de l’objectif du fonds, qui est de réunir 10 milliards de dollars d’ici à la fin de l’année, et 100 milliards par an à partir de 2020.

La seule avancée qui a pu être constatée est un accord sur la déforestation signé par vingt-sept États, plusieurs entreprises majeures et diverses ONG, organisations non gouvernementales. La Conférence des Parties se réunira au Pérou, à Lima, en décembre prochain.

En 2015, Paris accueille la prochaine Conférence sur le climat, d’où la nécessité pour l’Europe d’aboutir à une décision formelle visant à construire un accord ambitieux, équitable et juridiquement contraignant. En effet, en mars dernier, si la Commission a retenu des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, elle n’a pas posé d’objectifs contraignants en termes d’efficacité énergétique ou d’énergies renouvelables. Rappelons simplement que les émissions de CO2 ont atteint 35,1 milliards de tonnes en 2013, soit presque un tiers de plus qu’il y a dix ans...

C’est pourquoi il importe de parvenir à créer une véritable politique de l’énergie européenne à travers une planification écologique. Les États doivent se réengager dans l’avenir de leur filière industrielle énergétique. C’est dans ce sens que nous portons l’exigence de filières relocalisées, notamment en ce qui concerne le photovoltaïque, qui est une filière d’avenir. C’est également dans ce sens que nous nous opposons résolument à la mise en concurrence et à la privatisation des concessions hydroélectriques, qui constituent en France la première source d’énergie renouvelable non intermittente. Celles-ci figurent parmi nos avantages compétitifs.

C’est, je pense, monsieur le secrétaire d’État, tout l’enjeu que la France devra défendre lors de ce prochain Conseil européen. Toutefois, peut-être pourriez-vous nous expliquer plus particulièrement la position qui sera soutenue à ce propos ?

Enfin, pour terminer, je voudrais juste vous faire part de mon « étonnement » sur la façon dont se sont déroulées les nominations des commissaires européens. Chaque commissaire désigné a été invité à une audition publique devant les commissions parlementaires compétentes pour le portefeuille qui lui a été attribué. Cette nouvelle composition de la Commission est soumise à approbation du Parlement européen. Sur le papier, il est vrai que cela a fière allure et que l’on a l’impression d’un véritable choix démocratique. Néanmoins, la réalité est un peu différente : en fait, cela s’est également soldé par des tractations politiciennes de couloir... Quelle image est renvoyée à nos concitoyens ! Si nous voulons que l’Europe soit une avancée démocratique et humaine, que tous les citoyens s’y intéressent, on ne peut continuer d’agir ainsi.

Souvenez-vous, mes chers collègues : voilà quelques mois, nous débattions avec votre prédécesseur, monsieur le secrétaire d’État, des déficits démocratiques de la construction européenne. À l’évidence, le débat reste totalement ouvert.

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