Ce gouvernement a décidé d’aller le plus loin possible dans la surveillance et le contrôle des populations
Quel bilan de l’action du gouvernement en matière de justice et de sécurité ? -
Par Éliane Assassi / 30 novembre 2021Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cinq minutes ne suffiront pas à dresser un bilan exhaustif de l’action du Gouvernement en matière de justice et de sécurité, mais je reviendrai sur les principaux textes qui ont marqué ce quinquennat.
En ce qui concerne la sécurité, ce gouvernement s’est inscrit dans les pas du précédent en matière de lutte antiterroriste. Le candidat Macron avait pourtant promis de ne pas retoucher à cette législation. La loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (SILT) en 2017, puis la loi relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement, dite SILT 2, de juillet dernier, nous ont démontré le contraire : non seulement toutes les mesures ont été prorogées, mais elles ont également été durcies avec, par exemple, la généralisation des assignations à résidence « déguisées » et celle des perquisitions contrôlées par l’administration, tout en contournant la procédure judiciaire et les droits de la défense.
Ce gouvernement a fait le choix d’opérer un tournant radical en matière de police administrative, inspiré par un principe de précaution incompatible avec nos principes démocratiques fondés sur un droit pénal d’interprétation stricte.
En matière de renseignement, ce gouvernement a légalisé et étendu des techniques de surveillance intrusives, là encore en maintenant à distance l’autorité judiciaire. Notre pays s’est doté d’un arsenal de surveillance de masse, alors même qu’il disposait déjà d’une législation répressive substantielle.
Un virage assez spectaculaire a également été pris avec la loi Sécurité globale, heureusement retoquée pour l’essentiel par le Conseil constitutionnel, mais dont des mesures ont été réinjectées dans le projet de loi relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure – nous examinerons le 16 décembre prochain les conclusions de la commission mixte paritaire qui s’est tenue sur ce texte.
Sans sourciller, en matière de sécurité intérieure, ce gouvernement a décidé d’aller le plus loin possible en termes de surveillance et de contrôle des populations.
En outre, la loi Sécurité globale est venue renforcer la confusion des genres entre la police nationale, la police municipale, dont les agents reçoivent des prérogatives judiciaires sans la formation nécessaire, et les sociétés de sécurité privée, auxquelles sont délégués des pouvoirs de plus en plus étendus, notamment en matière de terrorisme – elles sont autorisées, par exemple à effectuer des fouilles.
J’en viens maintenant au second thème de ce débat : la justice. Il n’est pas anodin, pour nous, de lier les deux thématiques ; nous trouvons même cela dangereux, mais ô combien révélateur de la politique menée par ce gouvernement.
En mai dernier, alors que des milliers de policiers, massés devant le Palais-Bourbon, réclamaient une réponse pénale plus ferme, le secrétaire général du syndicat Alliance scandait : « Le problème de la police, c’est la justice ! ».
L’indignation parmi les magistrats et le malaise dans la classe politique n’auront pas eu raison du Gouvernement, puisque le garde des sceaux a décidé de répondre à ces pressions en intégrant dans l’urgence, en séance publique, de nouvelles mesures dans son projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, notamment la suppression du rappel à la loi, la peine de sûreté de 30 ans pour les condamnés à perpétuité pour un crime contre un policier ou un gendarme ou encore la limitation des réductions de peine pour les agresseurs de forces de l’ordre. Des mesures purement démagogiques, en parallèle à d’autres prises antérieurement, et pour l’essentiel dans la droite ligne de la réforme de Mme Belloubet, l’ancienne garde des sceaux.
La myriade d’articles protéiformes de ces deux lois structurantes de ce quinquennat répond à un objectif dangereux, qui consiste à redresser la justice comme s’il s’agissait de n’importe quel autre service public, en traitant l’embolie diagnostiquée de nos juridictions à coups de mesures gestionnaires et comptables.
C’est de l’apogée de cette gestion dont il est question dans la tribune historique des 3 000 magistrats, qui dénoncent « une logique de rationalisation qui déshumanise et tend à faire des magistrats des exécutants statistiques ». Car aussi régalien soit-il, le ministère de la justice n’est pas épargné par la main invisible de Bercy, téléguidée depuis l’Élysée, voire depuis Beauvau.
Pour en revenir au présent débat, le Beauvau de la sécurité est assez révélateur de la vision du Gouvernement en matière de sécurité et de justice : « Intérieur et justice unis contre l’insécurité et l’impunité », titre le site du Gouvernement sur le sujet...
Le débat théorique autour de l’opposition entre efficacité sécuritaire et garantie des libertés individuelles semble désormais dépassé. Les plateaux de la balance ont basculé et les dommages pour notre État de droit sont importants. Voilà pour nous le triste bilan du Gouvernement en la matière.