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La filière bois souffre aussi de la logique mercantile

La forêt française en questions -

12 janvier 2016
La filière bois souffre aussi de la logique mercantile
La filière bois souffre aussi de la logique mercantile

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis maintenant plusieurs années, le constat reste le même : la France doit produire davantage de bois, la filière bois doit être développée et la forêt privée française est sous-exploitée depuis plus de vingt-cinq ans.

Ainsi, le rapport d’information présenté au mois d’avril 2015 par nos collègues Alain Houpert et Yannick Botrel, à la suite d’une enquête de la Cour des comptes, dresse un constat sans appel : « La politique forestière est sans stratégie, sans pilote, sans résultat. »

Nous partageons l’idée que la forêt et la filière bois sont de véritables atouts pour notre pays et nos territoires et que des changements doivent être opérés.

Toutefois, il serait bon de rappeler que ce constat est aussi le résultat des politiques menées depuis plusieurs années sans véritable cohérence.

Tout d’abord, il y a la réduction importante des effectifs de l’Office national des forêts, l’ONF, alors que ses agents jouent un rôle essentiel auprès de la myriade de petits propriétaires. Le personnel est soumis à une forte pression et à des conditions de travail détériorées, les éloignant de leurs missions principales. Ainsi, ils ne se reconnaissent plus dans les nouvelles priorités de l’ONF.

Nous pensons au contraire qu’il faut conforter cet office et rassurer ses agents, et non pas les pousser, comme le recommande la Cour des comptes, vers une logique de performance, dont les résultats économiques et humains sont simplement désastreux !

De même, il est nécessaire que la demande de productivité soit conforme à la réalité de la forêt française, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Ainsi, la filière bois souffre surtout de la logique mercantile portée par les réformes successives de la législation forestière.

La politique forestière doit reposer sur l’idée selon laquelle la forêt n’est pas, et ne doit pas être considérée comme un produit comme les autres. Or, dans les faits, la logique financière et commerciale prend aujourd’hui le pas sur le principe d’une gestion durable et soutenable.

Dernier exemple en date, dans le Morbihan, de nombreux acteurs ont dénoncé la vente de 145 hectares de forêt domaniale à des fins purement mercantiles.

Nous assistons à un phénomène de spéculation sur les terrains boisés. À cet égard, au mois de mai dernier, lors d’une séance de questions cribles thématiques ici même, Mme Carole Delga nous rejoignait sur le constat suivant : certaines dérives conduisent à faire de nos forêts des refuges fiscaux sans qu’aucun service économique, social ou environnemental soit rendu à la nation.

Le Gouvernement s’était engagé à contrôler l’effectivité de la gestion forestière eu égard aux réductions fiscales accordées aux propriétaires forestiers concernant les droits de mutation et l’ISF. Mme Delga confirmait que des bulles spéculatives sur la valeur des forêts avaient été constatées, en lien avec certains avantages fiscaux prévus dans la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat.

La forêt, bien que privée pour ce qui concerne
75 % de sa surface, représente également, et même surtout, un patrimoine commun qui ne peut être considéré sous le seul angle du régime fiscal. Elle est majoritairement constituée de feuillus. Or l’industrie du bois réclame actuellement de la matière résineuse pour accompagner l’essor des constructions en bois. Dès lors, il y a un véritable risque qu’une baisse systématique de l’âge d’exploitabilité des forêts soit mise en place, mais aussi qu’il soit porté atteinte à la biodiversité, avec une préférence systématique pour le résineux, plus rentable à court terme.

Il ne faut pas négliger la diversité des essences.
Malheureusement, ce n’est absolument pas dans la logique de la législation actuelle, pas plus que cela ne figure dans les préconisations de nos collègues Yannick Botrel et Alain Houpert, qui souhaitent un accroissement de la part des résineux. Or nous connaissons tous les risques de la multiplication de ces essences pour la biodiversité, les effets indirects en termes d’acidification des sols ou de refroidissement. Il faut faire preuve de vigilance.

Ainsi, pour de nombreux professionnels, le remplacement des forêts feuillues et mélangées par des monocultures résineuses à courte rotation est contraire aux préconisations d’adaptation au changement climatique et défavorable à l’environnement. Les coupes rases qui les accompagnent dégradent et modifient brutalement et profondément la biodiversité forestière, déstockent massivement le carbone du sol, favorisent l’érosion et les inondations, appauvrissent les sols et polluent les nappes. Ce mode d’exploitation remet en cause le caractère multifonctionnel, d’autant que le reboisement est insuffisant.

Selon nous, pour une gestion forestière dynamique et respectueuse de la biodiversité, il faut développer les filières courtes et le commerce de proximité, à l’exemple des bourses au bois local.

C’est pourquoi il nous faut rechercher des débouchés diversifiés pour notre bois, comme le souligne par ailleurs le rapport d’information. En effet, l’énergie ne peut pas être le seul horizon de notre forêt.

À cet égard, les expériences de formation à la charpente et à la reconnaissance du bois pour assurer sa valorisation doivent se développer. Pour que la diversité des essences puisse répondre à une diversité des usages, il nous faut retrouver des savoir-faire perdus faute de formation adéquate. Si nous voulons une filière bois qui dépasse le stade de l’expérimentation de la construction de quelques écoquartiers en bois, commençons par la formation, du niveau V jusqu’à l’université, en passant par les lycées d’enseignement général ou professionnel !

Il faudrait par ailleurs privilégier le maintien ou la création de sites de transformation au sein des territoires forestiers.
Cela entraînerait une réduction importante du transit des poids lourds et aurait un effet essentiel en termes de maintien de l’emploi et de maillage du territoire.

Je prends l’exemple des scieries mobiles – j’ai vu la machine chez mon fils, qui est menuisier –, qui se développent dans le Morbihan, par exemple dans le parc naturel régional d’Armorique.

M. Stéphane Le Foll, ministre. Il y en a aussi dans la Sarthe !

M. Michel Le Scouarnec. Elles permettent une valorisation au plus près et de faibles volumes souvent non exploités.

La forêt pourrait bien évidemment aussi recueillir les retombées financières de son immense réserve de carbone, sous forme de crédits carbone.

Il nous faudra aussi réfléchir à la mise en place d’un outil de regroupement forestier foncier efficace garantissant l’intérêt général. En ce sens, nous souhaitons non seulement élargir le droit de préemption des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural, les SAFER, aux parcelles boisées, mais aussi le conférer aux communes, afin de mettre un terme à une spéculation qui dépossède les acteurs locaux.

De même, nous pensons qu’il faut une politique de soutiens budgétaires cohérents et ambitieux, et non de « saupoudrage des soutiens publics, nombreux, diversifiés et peu cohérents », comme le relève la Cour des comptes.

Maintes fois proclamée, l’ambition française en faveur de la forêt se heurte à une réalité complexe et à des enjeux contradictoires. C’est pourquoi nous pensons qu’il faut une grande loi d’avenir pour la forêt, distincte de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, qui réunirait le plus largement possible tous les acteurs concernés. C’est une demande constante de notre groupe. De même, il est nécessaire de dresser un bilan de l’incidence des législations passées en la matière, afin que la forêt aille mieux demain sans forcément faire feu de tout bois !

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