Les débats

Les guerres successives n’ont pas fait reculer le danger terroriste

Engagement des forces aériennes au-dessus du territoire syrien -

15 septembre 2015
Les guerres successives n’ont pas fait reculer le danger terroriste
Les guerres successives n’ont pas fait reculer le danger terroriste

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, sur l’initiative du Président de la République, nous sommes une nouvelle fois saisis de la question de l’insupportable tragédie subie par la Syrie. Nous qui ne cessons de réclamer que la représentation nationale soit davantage associée aux décisions internationales qui engagent la France, nous nous félicitons de ce débat.

La France a plus que jamais le devoir d’agir. De nouvelles initiatives sont nécessaires face à l’ampleur de la tragédie humaine que vit la Syrie, face aux conséquences du chaos généralisé, à commencer par l’exode massif des réfugiés, et face à l’emprise croissante de Daech sur toute une partie des territoires syrien et irakien.

Malheureusement, une fois encore, la saisine du Parlement n’a été motivée par la seule décision – déjà prise ! – du Président de la République d’accroître notre engagement militaire. Cet engagement passe par l’extension de nos frappes aériennes et, dans un premier temps, de nos vols de reconnaissance sur le territoire syrien. Cette décision soulève de nouveau de très nombreuses objections et interrogations.

Le Président de la République a – enfin ! – déclaré, après avoir trop tardé à prendre la mesure de la tragédie humanitaire qui s’amplifiait, que la France devait accueillir les réfugiés. C’est un appel que, pour ma part, j’ai lancé en rentrant de Kobané il y a moins d’un an. Mais nous aurons l’occasion de débattre de cette question demain. Nous dirons alors pourquoi nous estimons que les mesures annoncées sont très loin d’être à la hauteur. Et je ne parle même pas des propos indignes et scandaleux tenus ces jours-ci par de nombreux dirigeants de la droite et du Front national contre des milliers de réfugiés.

Le Président de la République a ajouté qu’il fallait en même temps agir sur les causes de cet exode et sur les risques d’actes terroristes que fait courir l’emprise croissante de Daech. Nous en sommes d’accord. Mais comment agir ? Et dans quels buts ? Tel est le débat.

Ainsi, les frappes envisagées seront-elles justes et efficaces ? Et d’abord, quels sont leurs buts et quelles sont les cibles envisagées ?

Voulons-nous frapper Daech ou Bachar al-Assad, dont la France continue à faire de la « neutralisation » un objectif privilégié ?

Selon des spécialistes de la Syrie, Daech contrôle aujourd’hui 40 % du territoire syrien, le régime 30 %, c’est-à-dire les deux tiers de la population, soit entre 12 et 18 millions de Syriens vivant encore dans le pays.

Que changeront les frappes françaises, alors même que les milliers de frappes de la coalition dirigée par les États-Unis ont échoué à enrayer l’engrenage meurtrier ?

De surcroît, si le Président de la République a écarté une offensive terrestre – et vous venez de le confirmer, monsieur le ministre ! –, bien des voix continuent de plaider en faveur d’une telle opération. Où allons-nous réellement ?

Une nouvelle fois, notre pays risque de faire fausse route s’il continue à considérer que l’intervention militaire devrait précéder tout règlement politique. Pour notre part, nous pensons au contraire que, sans un engagement déterminé de la France dans la recherche immédiate d’une solution politique réunissant l’ensemble des parties et des puissances impliquées, la logique militaire s’embourbera et nourrira les forces de Daech, qui souhaitent, elles, la confrontation militaire avec l’« ennemi » occidental.

De grâce, qu’on nous épargne le couplet habituel selon lequel, posant ces questions, nous serions partisans de l’inaction ! Nous demandons, tout au contraire, une action internationale de la France plus efficace. Pour ce faire, tirons des leçons sérieuses de l’impasse dramatique dans laquelle nous ont conduits les guerres successives d’Afghanistan – ce pays dont plus personne ne parle est aujourd’hui livré à lui-même –, d’Irak – ce pays a été totalement démantelé par la guerre –, de la Libye – ce pays est plongé dans le chaos et livré aux réseaux djihadistes – et, aujourd’hui, de la Syrie.

Ces guerres successives n’ont pas fait reculer le danger terroriste ; elles n’ont fait que l’accroître. D’ailleurs, tous les actes terroristes ayant frappé notre pays ont été perpétrés par de jeunes Français qui avaient, à un moment ou à un autre, fait leurs armes sur ces champs de bataille.

Pour notre part, nous persistons à penser que, si action militaire il devait y avoir, elle devrait s’inscrire dès le départ sous mandat de l’ONU, en concertation avec toutes les puissances impliquées, en vue de rechercher un plan de paix aux objectifs clairs, débarrassé des visées prédatrices des grandes puissances internationales et régionales, à savoir la reconstruction de la Syrie dans son intégrité territoriale. Or nous estimons que rien de cela n’est fait sérieusement par la France.

M. Laurent Fabius, ministre. Ah bon ?

M. Pierre Laurent. Le 17 août dernier, le Conseil de sécurité de l’ONU a unanimement soutenu une initiative reprenant les conclusions de Genève 1, avec, pour objectif de relancer un processus de règlement politique, lequel était au point mort depuis février 2014. Que fait la France pour activer ce processus ?

Permettez-moi de poser une autre question concernant le soutien aux forces combattantes kurdes de Syrie, qui ont notamment mené la bataille de Kobané. Où en est-on de notre soutien ? Pourquoi la France est-elle restée silencieuse face à la répression de grande ampleur lancée de nouveau par le pouvoir d’Erdogan cet été contre les forces kurdes du HDP, en Turquie, alors même que le pouvoir turc a nourri jusqu’à présent des relations plus que troubles avec les forces djihadistes ? Les forces kurdes du HDP sont pourtant les seules à avoir accueilli les réfugiés de Kobané.

Pourquoi maintenir le PKK sur la liste des organisations terroristes de l’Union européenne, alors que ce parti est l’une des rares forces combattantes efficaces sur le terrain face à Daech ?

Pourquoi, à part les frappes aériennes, rien ne semble possible pour assécher les circuits financiers, geler les avoirs bancaires, stopper les commerces d’armes et de pétrole qui alimentent Daech ? Quelles complicités couvre-t-on au nom de la préservation d’intérêts de grands groupes multinationaux ou de grandes puissances, dont la nôtre, dans la région ? Pour filer la métaphore, des vols de reconnaissance plongeant dans les arcanes des circuits financiers internationaux auraient peut-être aussi leur intérêt… (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe CRC.)

Le règlement politique auquel la France doit travailler sans relâche doit porter non pas sur le partage futur des zones d’influence, mais sur la reconstruction nationale et démocratique de la Syrie, dans le respect de son intégrité territoriale.

Toutes les parties, toutes les puissances régionales doivent œuvrer à cette fin. Nulle d’entre elles ne doit être exclue : ni la Russie, ni l’Iran, ni la Turquie, ni les monarchies du Golfe. Dans ce processus, la France doit porter des objectifs de paix clarifiés.

La reconstruction politique de la Syrie doit avoir pour objectif l’instauration démocratique d’un nouveau régime souverain pour le pays.

Bachar al-Assad porte une très grande responsabilité dans l’enclenchement de la guerre ; il ne peut garantir ce processus, ni en être l’aboutissement. Il devrait même, lui comme beaucoup d’autres parmi ses adversaires, répondre de ses crimes.

Enclencher un processus de négociation politique suppose de mettre aujourd’hui autour de la table toutes les parties impliquées.

Au-delà de la Syrie, c’est à l’organisation d’une conférence globale pour la paix dans le grand Moyen-Orient que devrait travailler la France, après l’accord sur le nucléaire iranien. Qu’attend le Président de la République pour donner suite au vote du Parlement voilà maintenant dix mois sur la reconnaissance de la Palestine ?

Mme Éliane Assassi. Très bien !

M. Pierre Laurent. La Syrie, l’Irak, les Kurdes : tout se tient et s’imbrique.

Mme Éliane Assassi. Eh oui !

M. Pierre Laurent. Il faut donc agir sur tous ces fronts.

La France, au fond, doit renverser ses priorités, retrouver sa liberté d’initiative et de parole, et conditionner son engagement militaire à la construction d’un règlement politique dans un cadre multilatéral, sous l’égide de l’ONU. Sinon, elle ne fera qu’alimenter les désastres en cours, les logiques de puissance génératrices des déséquilibres mondiaux et les forces obscurantistes qui cherchent la confrontation et la guerre.

Telles sont, monsieur le ministre, les convictions des membres du groupe CRC.

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