Les débats

Vous saviez et pourtant, vous avez attendu d’être dos au mur

Évolution de la situation sanitaire -

Par / 1er avril 2021

Si la vie de milliers de nos compatriotes ne tenait pas aujourd’hui à un fil, si la vie sociale et économique du pays n’était pas bouleversée, le débat auquel vous nous convoquez aujourd’hui s’apparenterait à une mauvaise blague.
Une nouvelle fois, le Président de la République a présenté, seul, hier, des mesures pour lutter contre la pandémie, décidé seul, accompagné par le seul Conseil de défense.

Le Parlement est donc définitivement perçu comme une chambre d’enregistrement, écarté progressivement depuis le début de la crise et aujourd’hui définitivement mis sur la touche.

Nous sommes convoqués aujourd’hui pour vous écouter nous expliquer les décisions présidentielles, au cas où nous n’aurions pas bien compris et, de surcroît, vous nous demandez de voter sur des propositions qui, d’une part, n’ont absolument pas été débattues préalablement et, d’autre part, dont nous ignorons les motivations.

En clair, nous ne savons pas pourquoi E. Macron a décidé certaines mesures qu’il rejetait quelques jours plus tôt et pourquoi il en a écarté d’autres.
Dès le début de la crise, ici même le 19 mars 2020, nous avons alerté sur les risques de dérives autoritaires que comportait l’état d’urgence sanitaire. Depuis des mois, nous demandons de renoncer à cet état d’exception qui met le couvercle sur la démocratie.

Rappelez-vous, chers collègues, de la dernière prorogation. Nous avons rappelé que l’état d’urgence n’était plus une justification, mais que la gravité exigeait de rendre au Parlement sa capacité permanente de décision.
La représentation nationale c’est la représentation du peuple, M. le Premier Ministre. Le Parlement, c’est cela et non un aéropage de gens inutiles comme au temps de la Chambre des Pairs ou du Conseil des Cinq Cents.
M. Macron et vous-même renvoyez à l’opinion publique cette conception qui serait la vôtre du Parlement.

Le mépris du Parlement est patent et nous tenons à exprimer solennellement notre désaccord profond avec cette pratique institutionnelle. C’est même de la colère, car nous constatons la mise en pratique de la volonté jupitérienne d’écarter le Parlement de sa route, alors que la révision constitutionnelle préparée par le Chef de l’Etat n’a pu être imposée ici, ni au pays.

Cette dérive autocratique que beaucoup ont soulignée, dénoncée, dès les premières heures du quinquennat, prend une dimension inquiétante aujourd’hui, le Président de la République écartant tout de son chemin : Parlement, Conseil des Ministres, puisque le Conseil de défense, détourné de son objet initial fixé par l’article 15 de la Constitution relatif au rôle de Chef des armées du Président le supplée, et même le Conseil scientifique, puisque E. Macron, si l’on en croit les éloges de M. Blanquer, détient la connaissance, voire la science infuse, en matière épidémiologique.

L’exercice solitaire du pouvoir n’est jamais une bonne chose pour la démocratie et en temps de crise, cela peut générer des drames. La reprise en main par le Parlement, par le Collectif, par la Démocratie, devient une nécessité absolue.
M. Macron nous a donc présenté hier ses choix. Nouveaux changements de pied avec la fermeture brève pour l’instant, des établissements scolaires, et abandon de la stratégie territoriale.

On aura d’ailleurs noté cette étonnante initiative au nom de la « respiration », d’autoriser la circulation dans tout le pays jusqu’au 5 avril, pour permettre aux propriétaires de résidences secondaires en particulier, de passer trois semaines ou le mois à venir au vert.

Ces évolutions, manifestes pour l’école où, dans les jours qui précédaient, les Ministres O. Véran et J-M. Blanquer expliquaient que la situation y était maîtrisée, a eu lieu au nom de la « nouvelle donne », du variant anglais.
M. le Premier Ministre, nous savions, vous saviez, le 29 janvier lorsqu’a été prise la décision de ne pas reconfiner et de préférer des mesures de freinage qui ont échoué, vous saviez que le variant anglais pouvait avoir des effets dévastateurs dans notre pays.
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Le 19 janvier, l’INSERM a mis en ligne une modélisation estimant que le variant anglais « deviendrait dominant entre fin février et mi-mars ».
L’INSERM avait également annoncé le niveau d’hospitalisation qui va intervenir dans les jours à venir.

Nous avons noté le scepticisme au sein même du gouvernement concernant les annonces de Boris Johnson le 22 janvier sur un variant « potentiellement plus mortel ». Le 10 mars une étude, incontestée, affirmait « que ce variant anglais était 64% plus mortel ».

M. Macron savait, vous saviez. Et pourtant, vous avez attendu d’être dos au mur, celui de la saturation des services de réanimation, pour agir et l’avenir nous dira si ces décisions sont suffisantes.

Nous ne détenons pas la vérité, pas plus que vous, M. le Premier Ministre, sur cette épidémie. Les rebondissements dramatiques invitent à l’humilité.

Mais il y a une vérité que M. Macron a dissimulé hier, en demandant même plus d’efforts aux soignants, c’est cette saturation et les tris déjà engagés puisque, ne jouons pas sur les mots, déprogrammer des opérations, c’est bien trier des malades, les mettre en danger. Et vous savez très bien qu’aujourd’hui, la question va se poser très vite du tri des malades Covid.

M. Macron a annoncé, par un retour de la pensée magique, que 10 000 lits de réanimation allaient être ouverts rapidement, sans plus de précision de délais, toutefois.

M. le Premier Ministre, je vous ai interrogé ici même il y a 15 jours, sur la promesse non tenue depuis un an d’ouverture de ces lits de réanimation. Pour vous, les lits ne peuvent se commander chez Ikéa ou être créés sur un claquement de doigt. Vous ne pouviez pas, M. Macron l’a fait ! Qu’en pensez-vous ? Le Président cherche-t-il à faire oublier qu’avec vous, il poursuit, contrairement à ses dire, depuis un an, la fermeture des lits ?

Ce qui a été annoncé hier, c’est l’absence totale d’anticipation, comme l’a noté la Cour des Comptes, en matière de réanimation. Excusez-moi, M. le Premier Ministre, mais votre gouvernement est resté les deux pieds dans le même sabot en la matière, engoncé dans le dogme libéral d’économie de la dépense publique et les conséquences sont aujourd’hui dramatiques.
Le « quoi qu’il en coûte » n’a pas été appliqué pour l’hôpital.

M. le Premier Ministre, l’espoir c’est le vaccin. Mais là aussi, vous avez failli, mais pas seulement vous, le système tout entier, cette fameuse loi du marché que dénonçait E. Macron dans son discours du 12 mars 2020.
Le retard mortifère pris en matière de vaccination puise son origine dans le fléau de la concurrence, du profit, des gains sur la maladie.

Les petits mensonges, travestissements de la vérité, les vaccinodromes que l’on moque puisque l’on convoque en urgence, les élus municipaux que l’on critique, que l’on bride, mais qui sauvent la situation, tout cela n’aurait pas eu lieu si le vaccin avait été promu comme un bien commun, sorti des logiques capitalistes pour servir l’intérêt général sans autre profit que la protection de l’humanité. Pourquoi la France n’agit-elle pas pour la levée des brevets ? Pouvez-vous répondre ?

Quelle est la boussole du Président ? La santé de nos compatriotes ou le sauvetage d’une économie mondialisée en crise profonde ? La question mérite d’être posée.

L’école enfin. Oui, maintenir les écoles ouvertes est un souhait largement partagé. Mais à quel prix ?

Donnez-nous les éléments pour savoir combien de vies ont été perdues - et chacun ici a eu un proche, un ami, malade ou décédé, du fait du retard prit pour limiter l’expansion du variant anglais ?

Les jours, les semaines à venir apporteront cette réponse.
M. le Premier Ministre, ce débat, je l’ai dit d’entrée, ne respecte pas le Parlement. Nous devrions débattre des mesures à prendre, elles sont déjà prises.

C’est la confiance que vous devriez aujourd’hui demander au Parlement et croyez-moi, nous ne vous l’aurions pas accordée tant la gestion de cette épidémie est contraire aux intérêts de notre pays et de notre peuple.
Mais aujourd’hui, avec la quasi-totalité des groupes politiques du Parlement, nous avons décidé de ne pas participer au vote sur votre déclaration, car cette consultation n’est pas respectueuse de la Constitution et relève de la mascarade.

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