Les questions d’actualité
L’impunité doit cesser
Violences policières -
Par Éliane Assassi / 10 juin 2020Monsieur le Premier ministre, bravant les mesures de distanciation physique, des marées humaines déferlent dans le monde entier pour dire stop aux inégalités raciales.
La mort de George Floyd, victime de violences policières, a fait se lever un vent planétaire pour dire que les vies noires comptent. Cette exigence trouve un puissant écho en France avec l’affaire Adama Traoré, pour lequel vérité et justice sont exigées. L’impunité doit cesser.
Depuis longtemps, les violences policières sont une préoccupation dans les quartiers populaires, mais il a fallu les répressions violentes des gilets jaunes pour qu’elle soit partagée à l’échelon national. Les traitements discriminatoires existent au sein de la police, comme au sein de la société, à la nuance près tout de même que les policiers sont détenteurs de l’autorité publique et de la violence légitime, que certains rendent illégitime.
Dois-je rappeler toutes ces affaires sordides de violences policières sur fond de racisme ? Certains ont été agressés – Théo hier, Gabriel aujourd’hui –, d’autres ont trouvé la mort – Zyed et Bouna, Adama –, sans compter tous ceux qui sont usés de devoir justifier leur identité, parfois plusieurs fois par jour.
Monsieur le Premier ministre, quelle réponse structurelle comptez-vous apporter pour rompre définitivement avec les pratiques racistes et d’une violence disproportionnée qui sont observées au sein de la police ? (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur des travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Madame la présidente Assassi, je réponds bien volontiers à la question que vous posez parce que, au fond, elle est au cœur du pacte républicain. Comment, dans une société démocratique et libre, peut-on faire prévaloir l’ordre public ?
Dans une société démocratique et libre, fondée sur l’idée d’universalité des femmes et des hommes, c’est-à-dire leur profonde égalité en droit et leur profonde liberté, comment faire pour contenir cette part pour le moins obscure – j’allais presque dire éternelle – d’incompréhension, de peur, de stigmatisation de ce qui est différent, de ce qui n’est pas identique et, dans toute la mesure du possible, comment faire pour la faire disparaître ?
Ce n’est pas une question simple, madame la présidente. Si nous vivions dans un monde idéal et s’il suffisait de proscrire, d’interdire le racisme, nous l’aurions déjà fait et la loi aurait déjà produit ses effets. Ce n’est pas le cas.
La question que vous posez est donc sensible. Madame la présidente, je ne laisserai jamais dire, car cela ne correspond pas à mon expérience de celles-ci, que la police et la gendarmerie sont des institutions violentes ou racistes.
Je précise d’ailleurs tout de suite que ce n’est pas ce que vous avez dit, madame la présidente, parce qu’il n’est pas impossible que ma réponse soit entendue au-delà des murs de cette enceinte.
La police et la gendarmerie ne sont, je le répète, ni violentes ni racistes. Il s’agit d’institutions qui, à la différence de beaucoup d’autres, sont extrêmement contrôlées, placées sous l’œil vigilant des médias, de nos concitoyens, d’organismes internes d’inspection et de contrôle.
Les policiers et les gendarmes exercent des missions redoutablement difficiles, comme vous le savez : ils doivent rester calmes en toutes circonstances, appréhender les malfaiteurs, ils sont exposés à un risque permanent du simple fait qu’ils sont dépositaires de l’autorité publique, bien souvent du simple fait qu’ils portent un uniforme.
Nous avons tous en tête ces nombreux exemples de femmes et d’hommes, quels qu’ils soient, qui ont été attaqués et pris pour cible parce qu’ils portaient cet uniforme, qui fait leur fierté et qui est notre protection.
Vous avez évoqué cette période particulière et, au fond, malheureuse dite des « gilets jaunes ». Vous avez indiqué, madame la présidente, que cette période démontrerait à l’évidence des violences…
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas ce que j’ai dit !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Vous avez raison : cette période « illustrerait » des violences policières.
Oui, cette période a été violente, mais elle n’a pas été le fait de violences choisies et exercées par la police sur des manifestants pacifiques. Je vous le dis comme je le pense et comme je l’ai vécu, madame la présidente : nous avons assisté durant cette période – je ne mets, bien entendu, pas tout le monde dans le même panier – à des mises en cause, à des insultes, à des crachats, à des violences incroyablement intenses à l’égard des policiers et des gendarmes.
L’exercice des métiers de policier et de gendarme dans la société dans laquelle nous vivons – nous pouvons regretter que cette société soit brutale et violente – est difficile. Je veux dire la confiance, l’estime, le respect absolus – absolus ! – que j’ai pour les femmes et les hommes qui s’engagent pour protéger leurs concitoyens.
C’est parce que j’ai cette confiance, cette estime, ce respect que j’ai cette exigence d’exemplarité – vous la partagez, j’en suis sûr –, qui fait qu’aucun acte raciste ne peut être toléré dans l’absolu et, peut-être encore moins lorsqu’il est commis par une personne dépositaire de l’autorité publique. Cette exigence doit être mise en œuvre.
Je ne veux pas que le débat intense et délicat de la formation, de l’explication des missions de la police, de la définition des techniques les plus adaptées dans une société qui devient de plus en plus violente soit confisqué par des prises de position théâtrales, par des raccourcis ou par des amalgames, que nous avons tous dénoncés et que nous devons tous continuer à dénoncer si de nouvelles situations apparaissaient ailleurs.
Je le dis comme je le pense : nous devons être confiants, respectueux et exigeants vis-à-vis des femmes et des hommes qui font vivre la police nationale et la gendarmerie. C’est cette ligne, qui est une ligne d’équilibre, que je veux tenir, mais je ne veux pas, madame la présidente, que la peur change de camp. Je ne veux pas que la présomption passe de celui qui trouble l’ordre public à celui qui le défend, parce que, si nous acceptons cette facilité de l’esprit sous le coup de l’émotion – même si l’émotion est légitime, forte et partagée –, c’est à un basculement de la République que nous assisterons.
Mesdames, messieurs les sénateurs, quand je vois ce qui se passe, je me dis que ce basculement de la République n’est pas si loin. Alors, je vous propose, madame la présidente, que nous soyons exigeants ensemble vis-à-vis des femmes et des hommes qui composent la police nationale et la gendarmerie – de ce point de vue, nous sommes d’accord – mais que, au-delà de cette exigence, nous leur disions vigoureusement, parce que le Sénat est une institution et que le Premier ministre est le chef du Gouvernement, notre confiance et notre respect ! (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, Les Indépendants et RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour la réplique.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le Premier ministre, j’entends bien ce que vous dites : vous ne voulez pas que le débat soit confisqué par des prises de position théâtrales. Je peux partager cette idée, mais, pour ce faire, il faut entendre et écouter un certain nombre de propositions qui sont émises par d’autres forces politiques que la vôtre.
Par exemple, le ministre de l’intérieur a annoncé la fin de la clé d’étranglement. Très bien ! Il n’en demeure pas moins que le placage ventral reste autorisé, comme d’ailleurs l’usage du LBD 40, dont nous demandons l’interdiction. (Protestations sur des travées des groupes Les Républicains et UC.) Mes chers collègues, il faut savoir parler de cette question et écouter les propositions qui sont faites ! Dans les couloirs, certains parlementaires me disent souvent : « Vous avez raison, mais vous comprenez, le rapport de force est ce qu’il est : vos idées ne pourraient pas être comprises par tout le monde. » Je suis désolée, mais mon groupe a fait un certain nombre de propositions sur l’interdiction du LBD 40, les contrôles d’identité abusifs, la réforme de l’Inspection générale de la police nationale, l’IGPN, sur laquelle il serait temps de se pencher, ou le rétablissement de la police de proximité.
M. le président. Il faut conclure.
Mme Éliane Assassi. Il serait effectivement temps que nous ayons un débat serein et constructif pour répondre à la fois aux besoins des forces de police dans notre pays …
M. le président. Il faut vraimentconclure !
Mme Éliane Assassi. … et aux besoins des populations, en particulier dans les quartiers.