Nos propositions de loi et de résolution

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Nous demandons la gratuité des premiers volumes d’eau potable

Garantie effective du droit à l’eau -

Par / 2 mars 2021

En 2006 la loi sur l’eau et les milieux aquatiques (LEMA) a affirmé dans son article premier l’existence d’un droit à l’eau en indiquant que « l’usage de l’eau appartient à tous et chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous ».

Ce principe figure aujourd’hui au sein de l’article L. 210-1 du code de l’environnement.

L’ONU a également adopté une résolution le 28 juillet 2010 prévoyant que « le droit à une eau potable, salubre et propre est un droit fondamental essentiel au plein exercice du droit à la vie. »

Enfin, en août 2015, les États membres des Nations unies ont adopté les « Objectifs 2030 du développement durable », qui placent le droit humain d’accès à l’eau potable, à l’assainissement et à l’hygiène au cœur des 17 objectifs de développement durable.

Le droit à l’eau est donc clairement défini et reconnu en droit positif. Pourtant, aujourd’hui ce droit demeure largement fictif puisqu’aucun instrument légal ne permet de garantir concrètement son exercice et que l’accès de tous à ce service de première nécessité reste empreint de grandes inégalités tarifaires, qualitatives et spatiales.

Pire, selon une lettre ouverte adressée aux parlementaires le 15 février 2018 par de multiples associations et incitant le Parlement à agir, « plus d’un million de ménages ont du mal à payer leurs factures d’eau, car leur montant est trop élevé relativement à leurs faibles ressources ». Par ailleurs, « des centaines de milliers de personnes sont privées d’accès à un réseau d’eau, à des toilettes et à des douches. Elles ne peuvent pas satisfaire leurs besoins élémentaires : manger, boire, se laver, y compris lorsqu’elles occupent un domicile ».

C’est le cas bien sûr des sans-abris ou des personnes vivant dans des habitats de fortune. C’est aussi le cas de nombreuses familles modestes. En effet, avec les dépenses énergétiques, ou encore le logement, l’eau fait partie des dépenses contraintes qui pèsent sur le budget des familles les plus modestes et les conduisent à des restrictions.

C’est enfin le cas pour un nombre croissant de nos compatriotes, en particulier en Guadeloupe, en Martinique ou encore à Mayotte, où les coupures d’eau quotidiennes se multiplient en raison de la vétusté du réseau. La métropole n’échappe pas à cette dégradation avec, année après année, toujours plus de communes ravitaillées en eau par camion-citerne en période de sécheresse. Une situation que la crise de la Covid-19 et l’impossibilité d’appliquer les gestes élémentaires de protection ont rendue proprement intolérable.

En effet, la crise sanitaire et sociale liée à l’épidémie de Covid -19 a contribué à révéler et à aggraver de telles difficultés qui se cumulent dans tous ces domaines qui sont liés. En effet, s’il était et demeure impératif de demander à la population de se laver régulièrement les mains, encore faut-il que chaque personne puisse disposer des conditions matérielles pour que ces gestes indispensables puissent être réalisés.

C’est d’ailleurs ce qui a conduit le gouvernement à prendre le 27 mars 2020, des dispositions pour que les préfets et les collectivités locales assument leurs responsabilités en la matière, et notamment veiller à ce que soient garantis l’accès à l’eau, à des sanitaires, à des douches et à des laveries.

Ainsi, il aura fallu attendre la crise du covid pour que des points d’eau soient installés en urgence et permettent à ces populations de bénéficier de conditions sanitaires minimales. Cet effort insuffisant et inégalement réparti sur le territoire doit impérativement être prolongé et s’amplifier dès à présent et à l’issue de la crise sanitaire, notamment avec l’ouverture de points d’eau, de toilettes et douches publics dans les communes et dans les lieux et établissements publics.

Au-delà, c’est aussi l’accès à l’eau dans l’ensemble des foyers qui doit être sécurisé, car comme le Conseil constitutionnel a reconnu que « la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent est un objectif de valeur constitutionnelle ». Parmi les éléments nécessaires pour rendre un logement « conforme à l’usage d’habitation » et donc décent, figure ainsi l’arrivée d’eau potable (chaude et froide) ainsi qu’une installation sanitaire complète. Pourtant, trop de nos concitoyens vivent aujourd’hui dans des logements qui ne garantissent pas ces normes et voient leur droit à l’eau manifestement bafoué, alors même que celui -ci participe à la réalisation du droit au logement qui est un droit à valeur constitutionnel.

Des évolutions au niveau européen sont encourageantes notamment à travers la révision de la directive-cadre sur l’eau, visant à reconnaître plus clairement un droit d’accès à l’eau potable, notamment pour les populations les plus fragilisées. Mais ce n’est pas suffisant et la France, pays des droits de l’Homme, devrait ouvrir la voie.

Au niveau national et depuis de nombreuses années, plusieurs initiatives parlementaires, dont plusieurs initiées par notre groupe à l’Assemblée nationale et particulièrement Mme Marie-Georges Buffet, ont émergé pour reconnaître et définir le droit à l’eau. La dernière en date est une proposition de loi, venant de l’Assemblée nationale et examinée par le sénat le 22 février 2017, que malheureusement la droite sénatoriale a vidée de tout contenu.

Il s’agissait par ce dispositif largement inspiré des travaux des associations de l’eau et notamment de l’association France Liberté d’agir en deux directions.

La première était de permettre pour tous les publics l’accès à l’eau potable et à l’assainissement et donc l’accès à des fontaines, des douches et des sanitaires publics et gratuits.

Nous reprenons à notre compte cette proposition utile dans la présente proposition de loi, en estimant qu’elle participe pleinement à l’effectivité du droit à l’eau et à l’assainissement.

Il s’agit de l’article premier de cette proposition de loi.

La seconde direction de cette proposition de loi s’orientait vers la mise en place d’une aide préventive pour les ménages, par la création d’une allocation eau permettant pour l’ensemble des publics raccordés à un réseau d’eau que la facture ne puisse dépasser les 3 % des ressources d’un ménage.

Pendant longtemps, un consensus s’est établi sur cette question parmi les promoteurs du droit à l’eau, sans trouver de débouché juridique du fait non seulement de la complexité du dispositif proposé, mais surtout des réticences politiques des parlementaires et du gouvernement, notamment sur la question du financement de cette aide préventive et de la contribution des majors à l’instauration de cette aide.

Cette proposition avait été également balayée au Sénat, tout comme la définition plus précise au sein du code de la santé publique non seulement du droit à l’eau potable, mais également à l’assainissement.

Pourtant, nous considérons que cette volonté de définition apporte une réelle avancée en considérant que l’accès à l’eau et à l’assainissement est bien un enjeu sanitaire d’intérêt public, comme l’a encore rappelé dans une tribune publiée le 13 mai 2020, un collectif de 40 associations appelant « le gouvernement français à s’engager d’urgence et dans la durée pour les droits à l’eau ». C’est pourquoi nous considérons qu’il a vocation à figurer au sein du code de la santé publique. Nous proposons donc de reprendre à notre compte cette définition dans l’article 2 de cette proposition de loi.

Au-delà de la possibilité actuelle, reconnue et usitée, d’une aide curative au paiement des impayés par le biais du fonds de solidarité logement, la question d’une aide préventive reste donc intacte. En droit positif, le seul élément allant en ce sens réside dans l’instauration d’une possibilité d’expérimentation d’une tarification sociale de l’eau permise par la loi n° 2013-312 du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l’eau et sur les éoliennes, dénommée « loi Brottes ». Initialement éteinte en 2018, une loi a été adoptée l’année dernière pour prolonger ces possibilités d’expérimentations. Cette loi a marqué également une avancée en interdisant les coupures d’eau même en cas d’impayés.

Pourtant, aujourd’hui, le retour d’expérience sur ces possibilités de tarification sociale n’est pas particulièrement concluant. Les différentes expériences ont montré que les collectivités, même volontaires, ont eu du mal à mobiliser, en interne, l’ingénierie nécessaire à la mise en place de dispositifs complexes. Beaucoup d’ailleurs, n’ont pas pu mettre en place une tarification sociale et ont abandonné faute de solutions techniques viables.

Cela démontre s’il le fallait, qu’il existe un besoin d’accompagnement de l’État dans ces processus et qu’il convient donc que les pouvoirs publics prennent leurs responsabilités pour assurer les conditions matérielles de la garantie de l’accès au droit à l’eau qui ne peut se limiter à un droit d’accès dans des conditions « économiquement acceptables » comme le prévoit aujourd’hui le code de l’environnement.

Sans aller jusqu’à faire du droit à l’eau, un droit opposable à l’image du droit au logement opposable (DALO), les auteurs de cette proposition de loi considèrent qu’il est nécessaire de définir un cadre légal pour donner corps et contenu à ce droit défini comme un droit fondamental par l’ONU.

Ils considèrent à ce titre qu’il convient de s’extraire de la notion « d’aide aux ménages », dont la dimension caritative est trop réductrice, pour s’orienter vers celle d’un droit directement applicable à l’ensemble de nos concitoyens et donc universel, ce qui semble plus fidèle par la même à l’esprit de la LEMA. Dans ce cadre, la notion et l’outil de la gratuité sont des leviers puissants à la fois d’égalité et d’universalité.

Il convient donc de placer cette problématique des premiers mètres cubes d’eau sous l’angle de l’accès aux droits et non d’une aide caritative d’un secteur lucratif, qui porte le risque de la justification ou pour le moins de l’acceptation de la réalisation de profits colossaux.

Dans ce cadre, il faut comprendre e que la gratuité n’est pas le produit débarrassé du coût, mais bien du prix. Le prix n’est donc plus le problème de l’usager, mais redevient un élément dans le cadre de la gestion d’un service public industriel et commercial, un coût pour le gestionnaire. Ce coût doit alors être assumé et compensé par l’ensemble des redevances. Mécaniquement, cela conduira ces services, qu’ils soient délégués ou en régies, à mettre en œuvre un barème où, plus la consommation sera importante plus elle deviendra onéreuse, car ne relevant pas du cœur du service public et en tout état de cause ne correspondant pas (ou plus) à l’exercice d’un droit. Il est ainsi normal que l’eau n’ait pas de prix lorsqu’elle sert aux besoins naturels, alors que si elle est utilisée pour remplir une piscine, l’utilisation de cette ressource précieuse doit être tarifiée à un niveau conduisant à un usage parcimonieux au regard de la rareté de la ressource.

Alors que la question de démarchandisation des biens de première nécessité et des services publics apparaît de plus en plus comme une alternative incontournable à la mondialisation capitaliste qui pille les ressources de notre planète et exploite les hommes, les auteurs de cette proposition de loi estiment qu’il convient aujourd’hui, pour garantir le droit à l’eau, d’avancer dans cette direction pour sortir de la mainmise des intérêts privés.

Il s’agit d’une question philosophique, politique et juridique. Une question philosophique sur la place du tout marchand dans nos sociétés modernes.

En effet, aujourd’hui les services publics de l’eau sont largement délégués à des entreprises privées, trois grands majors de l’eau dont les bénéfices sont d’autant plus exorbitants que ce secteur, par définition captif, s’inscrit dans une logique toujours plus monopolistique. Une concentration capitaliste que l’OPA de Véolia sur Suez aggraverait nécessairement. En effet, avec la création d’un groupe tirant profit de 60 % du « marché » français et de près de 5 % du traitement de l’eau dans le monde, c’est la logique marchande qui prendrait un peu plus le dessus sur celle des biens communs.

L’intérêt général est ainsi largement privatisé au détriment des usagers et du droit à l’eau pour tous. Affirmer la gratuité pour les besoins essentiels à la vie et à la dignité per mettrait donc de sortir le droit à l’eau de la sphère marchande. Il est insupportable que le privé fasse des bénéfices sur les biens et services essentiels pour nos concitoyens.

La vague de retour en régie de ces services publics témoigne par ailleurs de l’intérêt de nos concitoyens et de leurs élus pour un retour de la maîtrise publique des secteurs clefs de notre économie comme un élément de la souveraineté populaire et de conservation du savoir-faire. Il s’agit bien, de cette manière, d’affirmer non pas l’existence d’une aide dont les modes de financement seraient sujets à controverse, mais bien d’instaurer un droit en bonne et due forme.

Une question politique ensuite puisqu’il s’agit d’affirmer le respect d’un droit sur l’ensemble du territoire nation al alors même que sa gestion est décentralisée au profit des collectivités. C’est parce il s’agit de l’exercice d’un droit reconnu par la loi que le législateur peut intervenir pour définir les modalités de son exécution sans porter atteinte à la libre administration des collectivités locales, principe constitutionnel auxquels les auteurs de cette proposition de loi sont très attachés. Il appartient ainsi au législateur de définir les contours du droit à l’eau qu’il a lui -même édicté pour que son accès soit identique en tout point du territoire garantissant ainsi l’égalité républicaine. Dans ce cadre, les auteurs de cette proposition de loi estiment que le levier de la gratuité est particulièrement puissant. En effet, il place le débat non pas sur le terrain de l’accompagnement social de personnes en difficulté, mais bien de celui de l’affirmation d’un droit à portée générale et universel, conformément à l’esprit de la LEMA.

Une question juridique enfin puisque le dispositif que nous préconisons a l’avantage de la simplicité. La gratuité peut enfin être un outil pour redéfinir le contenu social, écologique, démocratique du service public de l’eau.

L’article 3 de cette proposition de loi instaure donc la gratuité des premiers mètres cubes d’eau en renvoyant à un décret pris en conseil d’État la définition du niveau permettant de garantir un volume suffisant pour répondre aux besoins essentiels à la vie et à la dignité.

L’article 4 constitue le gage financier.

L’ensemble de ces raisons nous conduisent à formuler cette proposition de loi visant à garantir effectivement le droit à l’eau par la mise en place de la gratuité sur les premiers volumes d’eau potable et l’accès pour tous à l’eau pour les besoins nécessaires à la vie et à la dignité.

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