Tribunes libres

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Un accord contraire au droit d’asile et qui va seulement profiter à la Turquie

Accord entre l’Union européenne et la Turquie relatif aux réfugiés -

3 mai 2016

Entretien parue dans le n°99 d’Initiatives.

Le 22 mars dernier, Michel Billout interrogeait le gouvernement sur l’accord entre l’Union européenne et la Turquie qui consiste à fermer les portes d’entrée de l’Europe aux populations fuyant la guerre, les violences et la misère.

Estimant le dispositif engagé inéfficace et contraire au droit internationnal, il a demandé et obtenu, avec son groupe parlementaire, la mise en place d’une mission d’information sur la position de la France à l’égard de l’accord de mars 2016 entre l’Union européenne et la Turquie relatif à la crise des réfugiés et sur les conditions de mise en oeuvre de cet accord. Les 27 membres ont été désigné aujourd’hui en séance publique.

Michel Billout, membre de cette mission d’information, présente la démarche et les attentes du groupe CRC....

À votre initiative, le groupe CRC a demandé et obtenu la création d’une mission d’information à propos de l’accord entre l’Union européenne et la Turquie relatif aux réfugiés. Qu’attendez-vous de cette mission ?

Cette mission d’information aura pour objectifs d’examiner les conditions dans lesquelles cet accord a été négocié et quel rôle a joué la France. La mission examinera également le début de mise en œuvre de cet accord et dans quelles mesures le droit et les conventions internationales sont respectés au regard de ces enfants, femmes et hommes victimes de la barbarie et repoussés par une Europe qui représentait pour eux l’espoir de la paix et d’une vie meilleure. Elle devra rendre son rapport d’ici la fin septembre.

Qu’est-ce qui vous pousse à qualifier cet accord de « pacte de la honte » ?

Ce n’est pas moi qui le qualifie ainsi, mais de très nombreuses ONG. Il me semble qu’il est contraire au droit d’asile et au droit des réfugiés organisé par la Convention de Genève. Il est l’expression de la volonté des dirigeants européens de fermer les portes d’entrée de l’Europe aux populations fuyant la guerre, les violences et la misère. Le Haut commissariat aux réfugiés a lui-même fermement dénoncé cet acte contraire au respect des droits humains. Outre les doutes quant à l’efficacité de ce dispositif qui ne fera qu’ouvrir d’autres routes pour les migrants, cet accord fait l’impasse sur les milliers de réfugiés, déjà sur le sol européen, dont l’espoir se réduit de plus en plus, la Commission européenne venant de diviser par deux ses projets de « réinstallation ».

Vous vous élevez aussi contre le blanc-seing accordé ainsi à la Turquie.

La Turquie s’est vue gratifiée du label de « pays tiers sûr », condition pour recevoir les réfugiés refoulés. C’est un comble, quand on sait que, depuis plusieurs mois, s’y développent la répression féroce contre la population kurde, la chasse aux démocrates et les atteintes aux libertés d’opinion et d’expression, les universitaires et les journalistes en étant particulièrement victimes. Il est évident qu’en Turquie, les droits des réfugiés et migrants sont loin d’être respectés. De nombreux réfugiés dans le pays vivent dans des conditions déplorables, sans logement adéquat. Des centaines de milliers d’enfants réfugiés n’ont aucun accès au système scolaire. C’est pourtant sur ce concept que la Commission européenne base tout son argumentaire juridique afin de soutenir sa proposition d’accord avec la Turquie. Cet accord est, de fait, plein d’incertitudes. Les demandes d’asile des réfugiés seront traitées en Grèce puis en Turquie. Pour la Grèce, l’Union européenne annonce qu’elle va déployer un grand nombre d’agents, apporter une assistance financière et travailler avec le Haut Commissariat aux Réfugiés de l’ONU (HCR). En ce qui concerne la Turquie, l’UE va lui octroyer 3 milliards d’euros dans un premier temps – 3 autres sont promis - pour « améliorer l’accueil des réfugiés ». Ankara s’est engagée à appliquer les normes internationales en la matière. Il appartiendra à la mission de vérifier quel contrôle de l’utilisation de ces fonds est mis en place.

Ce dont vous doutez ?

De fait, les Turcs ont une application particulière de la convention de 1951 sur le statut des réfugiés : en vertu de la clause d’exception géographique, seuls les demandeurs d’asile originaires des pays européens peuvent s’y voir accorder la qualité de réfugiés. La Turquie n’offre donc pas de garantie selon la convention elle-même. Or, l’Union européenne, dans une directive d’application qui date de 2013, a déclaré qu’elle ne renverrait des personnes que dans les pays qui appliquent les normes de la convention. Nous venons donc de piétiner nos propres principes. Tout cela sans avoir aucune assurance. Le gouvernement turc a seulement annoncé qu’il allait travailler avec le HCR.

Mais l’Union européenne a-t-elle le choix ?

Le 27 mai 2015, la Commission européenne a fait une proposition migration-asile que plusieurs pays européens ont rejetée… avant d’y revenir début septembre. On s’est ainsi retrouvé à faire de la gestion de crise au lieu de faire de la gestion prévisionnelle. Nous avons également subi les effets du traité de Lisbonne qui impose le traitement des questions de politiques étrangères au seul Conseil européen, le Parlement en étant écarté. Dans ces conditions, au vu de l’affaiblissement de la politique diplomatique française et avec le risque de Brexit outre-Manche, c’est Berlin qui a négocié avec la Turquie en septembre. Il y avait certes besoin de trouver des solutions avec la Turquie puisque la Hongrie et l’Autriche ayant fermé leurs frontières, les migrants se massaient aux portes des Balkans et particulièrement en Grèce, mais au minimum en séparant la question des réfugiés de celle de l’adhésion et des visas qui est du pur marchandage politique, de la diplomatie de courte vue.

Selon vous, la Turquie est la grande gagnante de cet accord ?

Chacun sait qu’Ankara ne se fait aucune illusion sur le processus d’intégration européen. L’important pour le président Erdogan, c’est de pouvoir afficher à son opinion publique qu’il a obtenu la réouverture des négociations d’adhésion, 6 milliards d’euros d’aide et la suppression des visas dès juin pour aller en Europe. Autant d’arguments lui permettant d’asseoir son pouvoir autoritaire. Quant aux migrants, tant que les causes de leurs déplacements n’auront pas été réglées, que leurs pays souffriront de la guerre et de la misère, ils continueront d’affluer en empruntant d’autres routes, celle de la Méditerranée, celle de l’Adriatique ou de nouvelles. Cet accord risque que ne déplacer le phénomène.

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Bio Express

Éliane Assassi

Sénatrice de Seine-Saint-Denis - Présidente du groupe CRCE
Membre de la commission des Lois
Elue le 26 septembre 2004
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