Recueils de mes interventions

ÉTAT DE PALESTINE : quelles perspectives ?

6 février 2014

Intervention de Michel Billout au colloque organisé par la fondation Gabriel Péri et l’ IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques) le 6 février 2014.

Le programme du colloque

"Mesdames, Messieurs, chers amis

Permettez-moi tout d’abord de remercier l’IRIS et la Fondation Gabriel Péri de m’avoir fait l’honneur de me proposer d’introduire ce colloque à la suite du président de l’IRIS, mon collègue Pouria Amirshahi.

Les questions abordées aujourd’hui touchent à des sujets essentiels pour mettre fin à cette injustice qu’est l’occupation militaire que subit un peuple, le peuple palestinien, depuis 66 ans. Et puisque nous allons nous interroger aujourd’hui sur les perspectives d’un état palestinien, je reste convaincu qu’il y a un chemin pour la paix, dans la reconnaissance et l’existence de deux Etats côte à côte, Israéliens et Palestiniens, dans les frontières de 1967, avec Jérusalem-Est comme capitale pour la Palestine.

Certes, le chemin pour y parvenir n’est pas aisé : depuis plusieurs décennies des dizaines de résolutions ont été adoptées par la communauté internationale, toutes ignorées par le gouvernement d’Israël. Cette politique du déni a conduit à l’impasse qu’on connaît dont l’échec des Accords d’Oslo est le plus criant. Les refus répétés des dirigeants israéliens conduisent ce pays à un isolement croissant au plan diplomatique et, hormis le soutien des Etats-Unis, de plus en plus d’opinions publiques et de gouvernements, y compris en Europe, n’acceptent plus la poursuite de la colonisation et demandent l’application des résolutions internationales pour y mettre fin.

La solution de deux Etats est-elle pour autant encore possible ? Nous débattrons de ce sujet en fin de matinée mais, personnellement, je pense que des voies nouvelles peuvent émerger pour parvenir à la paix. La création d’une zone exempte d’armes de destruction massive doit faire partie de l’agenda des membres du Conseil de sécurité, mandaté par l’Assemblée générale de l’ONU et des pays de la région concernée. La destruction de l’armement chimique syrien, suite à l’accord russo-américain et de l’ONU et l’accord intérimaire sur le présumé nucléaire iranien, ouvre une fenêtre pour avancer vers un processus de réduction des tensions.

Cela fait des années que le Moyen-Orient, compte tenu des enjeux géopolitiques, est devenu une zone de haute conflictualité avec, au cœur, la situation faite au peuple palestinien. Le moment n’est-il pas venu d’engager un processus inverse de désescalade des tensions ?

Le difficile mais réel dialogue qui vient de s’engager entre le pouvoir et l’opposition syrienne montre encore qu’il n’y a pas d’option militaire possible comme solution à des questions telles que la paix et les droits des peuples à la liberté et à la démocratie.

La menace nucléaire iranienne directe contre Israël, invoquée par le premier ministre israélien, a permis à cette question d’être soulevée dans le débat. Car Israël détient lui-même un puissant armement nucléaire, sans avoir ratifié le Traité de non prolifération, ni la Convention sur les armes chimiques. Ces questions ne sont plus taboues en Israël. Il se tenait, il y a quelques semaines, une Conférence internationale à Haïfa organisée par une fondation israélienne où participaient des experts internationaux venus de 30 pays. Ma collègue sénatrice Michelle Demessine, sénatrice, et Mathilde Caroly, conseillère municipale y participaient. Le but de cette Conférence a permis de mettre en évidence l’objectif d’une zone exempte d’armes nucléaires et de destruction massive au Moyen-Orient. La dénucléarisation de cette zone doit devenir un objectif commun.

Il faut cependant regretter qu’en France trop peu de forces politiques aborde cette question et qu’elle reste, de fait, ignorée du débat public. C’est extrêmement préjudiciable pour tous. Car cette question nucléaire, comme celle des armes de destruction massive en général (AMD), n’est pas, ne peut pas être une affaire intérieure d’un seul Etat, mais qu’elle a implications telles que seules une attention et intervention internationale peuvent permettre de faire évoluer positivement.

On pourrait espérer que la France prenne une telle initiative, après l’annulation de la rencontre internationale prévue sur ce sujet en Finlande il y a deux ans.
Ce qui se fait aujourd’hui par la voie diplomatique, entre le groupe des 5 + 1 et l’Iran, avec l’AIEA (International Atomic Energy Agency) permet d’avancer, sans nier les obstacles, sur le chemin de la non-prolifération. Cela pourrait conduire les dirigeants israéliens à réfléchir.

La voie du dialogue pour la paix, dans la reconnaissance des droits du peuple palestinien, est la seule voie possible pour permettre à Israël de s’inscrire dans cette région, non pas, das un rapport de forces militaire dominant mais par des accords solides avec tous ses voisins.

La France, là encore, pourrait aider à construire des liens de confiance.

A ce sujet, le récent voyage du Président de la République en Israël et Palestine n’a pas levé toutes les ambiguïtés de la position de la France, loin s’en faut. D’un côté le Président affirme que la France reconnaît les droits du peuple palestinien à un Etat et condamne la colonisation. De l’autre il affiche un soutien délibéré au gouvernement de droite israélien qui vaut à la France d’être quaifiée de « meilleure amie d’Israël » par le premier ministre Netanyahou. Soyons clairs. L’affirmation du droit d’Israël à exister et à sa sécurité ne peut être un prétexte au non respect du droit international. La France doit adopter une position sans ambiguïté, condamner fermement à chaque fois que nécessaire la colonisation israélienne.

J’ai salué, il y a un an, la décision de la France de se prononcer en faveur de la reconnaissance de la Palestine au titre de membre observateur à l’ONU. Elle peut sans attendre reconnaître l’Etat palestinien, appuyer sans réserve la directive européenne sur l’économie israélienne dans les territoires occupés y compris Jérusalem-Est et adopter l’étiquetage sur les produits venant des colonies comme l’Angleterre, les Pays-Bas, et même l’Allemagne l’ont déjà fait. Ces actions pourraient se coordonner au plan européen pour faire entendre au gouvernement israélien que son intransigeance est sans avenir et pèse aujourd’hui sur les propres intérêts d’Israël.

Par ailleurs, l’accord d’association UE-Israël doit être suspendu tant qu’Israël continue de ne pas respecter les clauses qui y sont incluses et qui concernent la défense des droits de l’homme.

Au lendemain des révolutions arabes, l’UE a fait son mea culpa pour avoir trop longtemps fermé les yeux dans le cadre de ses relations bilatérales, sur les violations des droits commis par ses partenaires. Elle dit vouloir aujourd’hui réviser sa politique de voisinage pour lier le développement des relations bilatérales au respect des valeurs communes et des droits de l’homme. L’exigence du respect de ces droits s’arrêterait-elle aux frontières de la Palestine occupée ? Pourquoi dissocier développement des relations bilatérales de la cessation des violations israéliennes du droit international ?

L’Union Européenne doit utiliser les instruments qui sont en sa possession et qu’elle a elle-même forgés. Il en va de sa crédibilité, tant jusqu’alors sa politique a été favorable à Israël, en en faisant un quasi-membre de l’Union européenne en lui accordant des privilèges exorbitants.

L’année 2014 doit être l’année où la France et l’Union européenne jouent pleinement leur rôle pour faire appliquer le droit international et faire aboutir l’exigence légitime d’un Etat palestinien souverain. Les résultats espérés des négociations en cours sous l’égide des Etats-Unis sont suspendus à la poursuite de la colonisation, l’occupation et l’isolement des villes palestiniennes. Israël et sa revendication à être reconnu comme « Etat juif » ajoute encore un obstacle à la paix, comme la présence à long terme de forces de sécurité israélienne dans le futur Etat palestinien.

La France doit donc intervenir auprès du gouvernement israélien pour qu’il rompe avec cette politique d’isolement du seul contre tous, et qu’Israël prenne toute sa place dans l’espace régional dont il fait partie.

Je voudrais rappeler qu’aujourd’hui, 5000 prisonniers politiques palestiniens attendent leur libération des prisons israéliennes.

Je me suis rendu, à plusieurs reprises dans ces prisons, notamment pour y apporter mon soutien à Salah Hamouri. Ces prisonniers sont des femmes, des hommes, parfois même des enfants (500) qui luttent pour leurs droits. Beaucoup sont des élus palestiniens, des responsables politiques. Marwan Barghouti est l’un de ceux-là, député, condamné à perpétuité. Il a lancé un appel de sa prison pour la libération des prisonniers. Cet appel porte deux messages principaux : « Les valeurs universelles ne peuvent s’arrêter aux frontières de la Palestine occupée » et « La liberté est la pierre angulaire de la paix ». C’est à partir de ces deux idées qu’une campagne internationale se développe pour exiger la libération des prisonniers politiques palestiniens. Un Comité international est mis en place à cette fin, présidé par Ahmed Kathrada, compagnon de prison de Nelson Mandela. Ce ne sont pas là que des symboles, fussent-ils incontournables. C’est aussi une exigence de justice qui va grandir dans notre pays.

Cette exigence est d’ailleurs partagée par beaucoup de nos concitoyens qui sont engagés comme élus, militants associatifs, syndicaux, politiques dans ce juste combat. Un des plus reconnus, parmi eux, mon ami et camarade Fernand Tuil, vient de nous quitter. Les hommages successifs qui lui sont rendus prouvent, s’il était encore nécessaire, combien la solidarité avec le peuple palestinien reste profonde chez beaucoup de nos compatriotes.

L’action parlementaire peut et doit contribuer à la nécessaire mobilisation citoyenne pour une paix durable au Proche Orient. C’est le sens de mon engagement constant comme celui de l’ensemble des sénateurs du groupe CRC au Sénat comme des députés du groupe GDR.

Après l’opération « Plomb durci », avec ma collègue Annie David, nous avons participé au déplacement en Israël et en Cisjordanie, en février 2009, d’une délégation de 108 élus, militants syndicaux et représentants d’ associations, à l’initiative de l’Association Nationale des élus communistes et républicains et de l’AJPF, l’association que coprésidait Fernand Tuil.

Ces déplacements sont essentiels pour la prise de conscience de la situation vécue en Palestine et pour développer des coopérations décentralisées. Dès notre retour, nous déposions une proposition de résolution européenne au sénat afin de demander une condamnation sans équivoque par les institutions européennes de la politique de colonisation et de violation du droit international menée par le gouvernement israélien ; de faire prévaloir la suspension de l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël sur le fondement du non respect par l’État d’Israël de ses obligations découlant de l’article 2 de cet accord à savoir « le respect des droits de l’Homme et des principes démocratiques ».

Nous demandions par ailleurs le report de tout principe de rehaussement des relations avec Israël tant que cet État poursuivra sa politique de colonisation et de violations des droits de l’homme. Nous avons déposé une autre résolution en 2011 afin d’inciter le gouvernement français à la reconnaissance d’un état palestinien, attendue depuis la proclamation de sa création, le 15 novembre 1988 par le Conseil national palestinien à Alger, reconnu alors par 94 pays, suivis de 33 autres dans les années suivantes.

Depuis quelques années, le calendrier s’accélère. Le 31 octobre 2011, une première étape a été franchie à la Conférence générale de l’UNESCO qui a voté l’admission de la Palestine comme État membre de l’Organisation par un vote large et sans équivoque (107 voix pour, 14 contre, 52 abstentions).
Le 29 novembre 2012, la Palestine était admise à l’ONU comme État observateur.

Puis, en juillet 2013, réunie à Istanbul, l’Assemblée parlementaire de l’OSCE, où les Etats Unis sont particulièrement influents, s’est prononcée pour l’accueil de l’Autorité palestinienne dans le cadre de l’élargissement du partenariat avec les états méditerranéens de cette organisation. Il aura fallu 3 tentatives pour y arriver. Ceci permet désormais d’accorder un statut approprié au Conseil Législatif de Palestine afin que ses représentants puissent participer aux travaux de l’Assemblée parlementaire de l’OSCE, ouvrant un nouvel espace de dialogue constructif concernant la paix au Moyen-Orient, après celui de l’Union Interparlemetaire et du Conseil de l’Europe.

L’Assemblée générale de l’ONU a d’ailleurs bien compris les enjeux en proclamant l’année 2014 « Année internationale de solidarité avec le peuple palestinien ». La résolution exige, je cite, « l’arrêt complet de toutes les activités israéliennes d’implantation dans les territoires occupés, y compris Jérusalem-Est, et demande qu’il soit mis fin à tous les actes de provocation, notamment de la part des colons israéliens, à Jérusalem-Est en particulier, sur les sites religieux et à proximité » (fin de citation).

D’autres résolutions au cours de l’Assemblée générale ont été adoptées, dont celle appelant Israël à cesser les constructions en Cisjordanie et à son retrait du plateau du Golan. Oui, le droit international doit être une protection pour les peuples, pour leur garantir reconnaissance, justice et paix. Ma collègue du groupe CRC, Michelle Demessine, sénatrice, se rendra prochainement en Palestine au titre du groupe d’amitié France-Palestine du sénat. Nos travaux d’aujourd’hui seront portés à sa connaissance comme contribution à sa participation à la délégation du sénat et seront le témoignage de notre soutien et engagement pour la paix et la justice pour le peuple palestinien.

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