Il est plus que temps de desserrer l’étau de l’austérité qui étouffe les communes rurales

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le Sénat a beaucoup travaillé sur des projets et propositions de loi propres au monde rural.

En particulier, l’agriculture est au cœur des travaux de la commission des affaires économiques, de même que tout ce qui se trouve en amont, comme le machinisme agricole, ou en aval, comme le commerce. Si les activités agricoles constituent un secteur structurant, nous devons envisager la ruralité dans son ensemble.

Après des décennies d’exode rural massif qui ont entraîné un vieillissement de la population, nous vivons maintenant un exode urbain. Chaque année, 100 000 personnes quittent la « ville » pour la « campagne » ; elles étaient 70 000 à faire le chemin inverse voilà 40 ans. Nous sommes donc loin de la mort annoncée et de la désespérance chronique dans laquelle certains voudraient cantonner les zones rurales.

Aujourd’hui, pour consolider les communes rurales, nous devons apporter des réponses globales. C’est pourquoi je remercie le groupe communiste républicain et citoyen d’avoir demandé l’inscription de ce débat à l’ordre du jour.

En Corrèze, un maire d’une commune de 591 habitants a justement fait le choix de ne pas céder à la désespérance. En 1995, alors que l’unique classe de l’école publique était menacée par le faible nombre d’élèves, plutôt que de baisser les bras et voir les habitants quitter progressivement le village, le maire a ouvert un centre de loisirs municipal, au risque de passer pour un illuminé aux yeux des élus voisins et de ses concitoyens.

Vingt ans plus tard, une habitante témoigne : « C’est formidable, cela faisait soixante ans qu’un bébé n’avait pas crié dans le hameau ». Et aujourd’hui, plus de 30 élèves sont scolarisés et le centre de loisirs accueille 280 enfants par an.

M. Jean-Claude Requier. C’est quelle commune ?

M. Jean-Pierre Bosino. Ce maire a touché le cœur du problème : la présence des services publics dans les zones rurales. Chacun peut clamer son attachement à la ruralité – voire à l’hyper-ruralité…–, être en première ligne de la défense des communes rurales, elles ne vivront que par la relance des services publics. En effet, les urbains, qui quittent la ville pour aller vers le milieu rural, souhaitent – et c’est bien normal – y retrouver les services de la ville.

Face aux fermetures d’écoles et à la disparition des commerces, des communes rurales de l’Oise ont fait un pari similaire à ce maire de Corrèze. Ils ont opté pour la création d’habitats publics, comme à Cramoisy où le maire a permis la construction de dix-sept logements HLM. 

Mais dans un département où 52 % des communes ont moins de 500 habitants, 89 % des 692 communes ne sont équipées ni d’une halte-garderie ni, évidemment, d’une crèche.

Comment attirer de nouveaux habitants sans offrir des commodités essentielles, par exemple en matière d’accueil de la petite enfance ?

Passons des paroles aux actes ! Assez de doubles discours entre, d’un côté, les fermetures de gares, de liaisons SNCF, jugées trop peu rentables, de trésoreries ou de bureaux de poste et, de l’autre, la défense de la ruralité, des territoires, des communes.

D’un côté, on démantèle les grandes entreprises publiques, qui organisaient la péréquation et faisaient en sorte que, même au fin fond de n’importe quel village, par exemple en Auvergne,…

M. Jacques Mézard. Ah !

M. Jean-Pierre Bosino. … on avait accès au téléphone, à l’électricité. De l’autre, on veut nous faire signer des contrats de réciprocité pour organiser la « solidarité territoriale ». Autrement dit, on fait désormais peser sur les villes une solidarité nationale, qui était auparavant assurée par EDF, France Télécom, La Poste ou la SNCF.

Comme le dénonçait mardi dernier notre collègue Alain Bertrand, les services publics dans la ruralité, on en est au squelette !

Mme Cécile Cukierman. Exactement !

M. Jean-Pierre Bosino. La désespérance est réelle, il ne faut pas la nier, mais elle n’est pas inhérente à la ruralité, c’est une conséquence directe du libéralisme et des cures austéritaires imposées aux communes. On voudrait nous faire croire que les communes sont responsables de tous les maux, qu’elles coûtent et, surtout, qu’elles pèsent sur les finances de l’État.

Pour certains aspirants à la fonction présidentielle – il y en a quelques-uns en ce moment ! –, les dotations aux collectivités ne sont qu’une ligne budgétaire que l’on peut sabrer pour réduire des dépenses publiques prétendument excessives. (M. Jacques Mézard s’exclame.)

J’en profite pour rappeler que les collectivités représentent à peine 9 % du déficit public, mais surtout, 70 % de l’investissement public. Or, cet investissement est évidemment un levier pour la croissance et l’emploi.

En moins de trois ans, les communes ont perdu plus de 10 milliards d’euros de dotations. Il y a urgence à desserrer l’étau de l’austérité qui les étouffe et, à plus forte mesure, dans les zones rurales. En octobre, l’Association des maires ruraux de France dénonçait un projet de loi de finances pour 2017 « ruralicide » et s’attaquait, à très juste titre, à un énième renoncement de ce quinquennat : l’abandon de la réforme de la dotation globale de fonctionnement, DGF.

Si la dotation de solidarité rurale a augmenté cette année, cela ne compense pas la baisse de DGF. Il en va de même pour la dotation de solidarité urbaine dans les villes comprenant des quartiers prioritaires.

Dans un tel contexte, tout est fait pour opposer artificiellement les maires ruraux aux maires urbains. Les sénateurs et sénatrices du groupe communiste le dénoncent depuis longtemps.

Comme le rappelait Cécile Cukierman à l’instant, notre groupe avait déposé une proposition de loi visant à réformer la dotation globale de fonctionnement et ainsi réduire les écarts de DGF de base entre le rural et l’urbain. Cette proposition a été rejetée sous le prétexte d’une réforme à venir. Peut-être devrions-nous l’examiner de nouveau ce soir, nous serions majoritaires… (Rires sur les travées du groupe CRC. – Mme Éliane Assassi applaudit.)

La ministre de l’époque déclarait : « nous nous engageons à reprendre ce chantier avec vous et à présenter une réforme globale de la DGF ». Quatre années après, pas de réforme et un quinquennat qui s’achève sur une baisse continue des moyens des communes avec toutes leurs conséquences !

Au-delà des contraintes financières, l’existence même de communes en zones rurales est remise en cause. L’obsession des fusions et des regroupements irrigue les grandes réformes territoriales, NOTRe et MAPTAM pour n’en citer que deux.

Pourtant, la commune, bien qu’étant de plus en plus menacée – certains voudraient même en supprimer 30 000 ! –, demeure le meilleur pilier de la ruralité, échelon privilégié de proximité démocratique.

Les communes rurales méritent autant d’attention que les communes urbaines ; aujourd’hui, elles reçoivent autant d’austérité !

Je rejoins les demandes de ma collègue Cécile Cukierman, il est impératif de stopper les regroupements intercommunaux, d’interrompre les baisses de DGF et de revoir les principes de l’aménagement du territoire. Il faut un moratoire sur les fermetures de services publics en zone rurale, il est urgent et indispensable de mettre un terme au recul de l’État dans ces zones et de donner les moyens aux communes de mettre en œuvre les services publics.

Retour en haut