Depuis 1991, les agriculteurs n’ont pas eu d’autre choix que d’utiliser les néonicotinoïdes

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les néonicotinoïdes sont dangereux pour les humains et, en premier, pour nos agriculteurs. Ils sont meurtriers pour les abeilles et pour l’ensemble de la biodiversité. Ils participent à la pollution et à l’appauvrissement des sols, donc à la détérioration de nos écosystèmes et du climat. C’est un fait que personne ne peut nier !

Nous avons donc fait, en 2016, un choix éclairé par la science, qui a démontré que les néonicotinoïdes sont 5 000 à 10 000 fois plus toxiques que leur ancêtre, le DDT, interdit en France depuis 1971. C’est pour cette raison que nous les avons interdits. Revenir sur cette interdiction, quatre ans plus tard, serait un échec et une régression d’un conquis environnemental.

Le problème, c’est que depuis quatre ans, aucune solution viable, respectueuse de l’environnement et de la santé publique, n’a été apportée à nos agriculteurs. Votre réponse à cela, monsieur le ministre, est de proposer une dérogation temporaire pour la betterave.

Mais personne ne peut nous assurer que, dans trois ans, une solution aura été trouvée. Que ferons-nous donc dans trois ans, mes chers collègues ? Une nouvelle dérogation ? Ce n’est pas sérieux !

De plus, le risque constitutionnel est réel, comme l’a précédemment démontré Éliane Assassi. De nombreuses filières pourraient demander, elles aussi, sur le fondement du principe d’égalité, à pouvoir réutiliser ces produits.

La question qui se pose fondamentalement à travers le présent débat est celle de la transition écologique que nous voulons.

J’ai une conviction profonde : cette transition ne peut se construire sans, ni contre les agriculteurs ; elle doit se construire avec eux.

Car, depuis 1991, avec la commercialisation par le géant Bayer de ce dangereux insecticide, les agriculteurs n’ont pas eu d’autre choix que de l’utiliser. Pis, on les y a même encouragés, en leur disant que seul un modèle productiviste pourrait leur garantir un revenu décent.

Cette transition écologique implique un véritable changement de paradigme, en garantissant un revenu décent et une alimentation de qualité pour toutes et tous, tout en relevant le défi de nourrir l’humanité entière.

Mme Cécile Cukierman. Exactement !

M. Fabien Gay. Pour répondre à ces enjeux, nous devons déterminer qui la dirigera. Les grands industriels privés, dont l’intérêt premier restera toujours le profit, ou l’État garant de l’intérêt général, en donnant les moyens à la recherche ?

Le problème réside dans le fait que les néonicotinoïdes n’ont pas été interdits dans tous les pays et, cette brèche, les industriels l’ont découverte et l’exploitent. Force est de constater, en effet, que lorsqu’il s’agit de contourner les règles environnementales, certains sont capables de développer des trésors d’ingéniosité, mais lorsqu’il faut trouver des solutions plus respectueuses de l’environnement, au vu de l’urgence climatique à laquelle nous sommes confrontés, et réfléchir à un nouveau modèle dans lequel les profits ne sont pas et ne peuvent pas être l’objectif premier, les défis leur semblent aussitôt insurmontables et les progrès sont toujours lents.

Nous sommes donc face à un échec de la transition agricole et écologique depuis 2016. Mais, mes chers collègues, ne nous infligeons pas la double peine en revenant en arrière !

Que faire alors, me direz-vous ? Les pucerons existent – personne ne le nie – et votre principal argument, monsieur le ministre, tient dans le fait que, sans vote de la dérogation, nous condamnons la filière et ses 46 000 emplois. Bien sûr que non !

Nous sommes favorables à une indemnisation des pertes dans les zones affectées et, pour prévenir un autre risque, nous voulons la création d’un fonds mutuel et solidaire de gestion des risques sanitaires et climatiques, ainsi que l’introduction d’un prix plancher d’achat pour les producteurs.

Les organisations non gouvernementales, les ONG, et certains syndicats agricoles proposent d’autres solutions : par exemple, ne pas réaliser les semis dans une terre trop froide, ou encore s’appuyer sur la biodiversité…

M. Laurent Duplomb. Oh là là…

M. Fabien Gay. … grâce à la plantation de haies, aux coccinelles et aux chrysopes, ce que l’usage de néonicotinoïdes rend impossible aujourd’hui.

C’est en ce sens qu’un changement de paradigme est nécessaire : la réflexion autour d’une véritable transition écologique ne peut être cantonnée dans un seul secteur. Nous sommes face à système global : en matière d’agriculture, nous devons sortir de la pensée en parcelles : comme si l’agriculture était isolée ou indépendante de son milieu ! Le vivant ne fonctionne pas de la sorte. Il fonctionne en interdépendance, il repose sur un ensemble d’équilibres.

Enfin, ce qui ronge la filière, ce n’est pas la jaunisse : c’est avant tout la libéralisation.

Si les surfaces ont reculé en 2019, c’est non pas à cause des pucerons, mais faute de prix rémunérateurs pour les agriculteurs.

Mme Sophie Primas, rapporteur. Mais non !

M. Fabien Gay. Personne ne le dit ! Depuis 2017, la betterave a connu la fin des quotas sucriers et l’ouverture à la concurrence. Ce qui frappe le plus durement les betteraviers, ce ne sont pas les réglementations, mais bien les spéculateurs, la fin d’un marché régulé et protecteur, ainsi que le libre-échange, que vous encouragez.

Mme Cécile Cukierman. Exactement !

M. Fabien Gay. Mes chers collègues, en autorisant de nouveau les néonicotinoïdes pour la filière « betterave », le Gouvernement tente de sortir de l’impasse dans laquelle le libéralisme l’a enfermé. En tout cas, ce sera sans nous !

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