Sous couvert de maîtrise des dépenses publiques, on recourt à des cabinets privés qu’on paie deux fois

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste votera contre le projet de loi de règlement. C’est un exercice impropre. Je vais m’arrêter sur un phénomène d’ampleur : la privatisation de la gouvernance publique.

Cet exercice budgétaire traditionnel vise à arrêter les normes financières et juridiques imposées à l’administration, donc les ressources dont dispose la puissance publique pour exercer ses missions. Sous un faux prétexte de « maîtrise des dépenses publiques », renforcé par la LOLF et ses barbarismes peu lisibles de « fongibilité asymétrique » ou de « plafond d’emploi par mission », le secteur public a perdu 180 000 agents entre 2006 et 2018. Il faut y ajouter 220 000 agents transférés des ministères vers les établissements publics, ce qui a contribué au démembrement de l’État.

Après une baisse de 223 fonctionnaires en 2018 et une perte de 233 emplois en 2019, la suppression de 226 postes était encore prévue en 2020, avant la crise, mais il a fallu recruter en urgence 3 048 enseignants pour pallier les besoins… Ce yo-yo politique a une histoire. Le non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux dans la fonction publique dans le cadre de la révision générale des politiques publiques en est une illustration.

L’objectif est toujours le même : faire baisser l’emploi public pour tenter de faire baisser les dépenses, sauf que, sous couvert de maîtrise des dépenses publiques, on recourt à des acteurs parfois moins qualifiés et plus onéreux, ce qui aggrave la situation financière. Le recours à des cabinets privés est symptomatique de cette tendance, que l’on pourrait qualifier de cercle vicieux, puisque l’État en est réduit à payer deux fois des consultants : la première pour l’aider à faire des économies ; la seconde pour suppléer aux carences que ces mêmes consultants ont contribué à organiser.

Tout y passe : organisation, management, santé publique. En tout, ce sont 500 contrats passés en trois ans. À la veille de l’examen d’un texte sur ce sujet fondamental, le pilotage de la crise sanitaire n’échappe pas à ce phénomène profond. Sur les dix premiers mois de la pandémie, vingt-six contrats ont été conclus avec ces cabinets. Qui prend les décisions ? En tout état de cause, les responsabilités du Président de la République et de son gouvernement sont engagées.

On nous parle dorénavant d’adapter « des », et non pas « nos », outils de gestion de crise sanitaire, déjà choisis et peu débattus. Le texte modifie ceux sur la sortie de la crise et la prorogation de l’état d’urgence. Crise et état urgence deviennent donc des outils, faussement dénommés adaptations. En bref, il s’agit d’organiser la division par la normalisation d’une situation exceptionnelle. La crise appelle des solutions et pas seulement des adaptations. C’est cruellement vrai avec la santé, secteur qui a le plus pâti d’une privatisation désarmante face au covid.

Les ARS furent des acteurs majeurs de la gestion de la pandémie. Nous en avons souvent débattu dans l’hémicycle. Chargées de coordonner la politique de santé au niveau local, elles constituent un moyen d’imposer austérité et contraintes au secteur hospitalier.

En 2017, l’ARS Auvergne-Rhône-Alpes s’interroge sur la façon de mutualiser les établissements privés et publics. En 2018, elle débourse 300 000 euros pour du coaching. En 2020, quatre ARS commandent au privé une analyse de la situation financière des établissements de santé de leur région. Et la liste est longue, comme l’ont si bien détaillé le collectif « Nos Services Publics » et un très bon dossier dans L’Obs !

La privatisation de leurs missions contribue à affaiblir la puissance publique, qui perd en compétences, en savoir-faire et en expertise. Le cercle est vicieux, et il est aussi extrêmement coûteux.

Si j’ai conscience de cela, ce n’est pas grâce aux innombrables documents budgétaires prévus par la LOLF, et qui sont censés renforcer l’information des parlementaires et des citoyens. Monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est déjà un symptôme !

Retour en haut