Une mauvaise réponse à une vraie difficulté

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui revêt tous les aspects d’une mauvaise réponse à une vraie difficulté.

Comme cela a été dit lors des travaux de la commission des affaires sociales, tout le monde s’accordera à reconnaître que les élèves et étudiants travailleurs sociaux rencontrent d’importantes difficultés dans l’accès aux stages. De la même manière, les membres du groupe CRC-SPG considèrent qu’il est impératif et urgent de trouver une solution pérenne.

La formation des travailleurs sociaux – par alternance –, dont la durée globale est occupée pour près de 50 % par des périodes de stage, exige que nous fassions preuve de créativité politique. Nous devons trouver une réponse qui tienne compte de trois impératifs : permettre l’accès de tous les élèves et étudiants travailleurs sociaux aux stages ; garantir l’égalité de tous les élèves et étudiants, indépendamment de leurs filières ; répondre au formidable enjeu d’avenir qu’est la satisfaction de l’ensemble des besoins sociaux de notre pays.

Ainsi, c’est sous le prisme de ces trois enjeux que nous avons examiné la proposition de loi de nos collègues Nicolas About et Sylvie Desmarescaux et c’est la raison pour laquelle nous voterons contre.

En effet, la proposition de loi, en l’état, ne permettra pas de garantir l’égalité des élèves et des étudiants, puisque, temporairement du moins, elle créera une situation d’exception, supprimant aux élèves et étudiants travailleurs sociaux le droit à la gratification des stages. Une gratification qui, bien que n’étant pas à la hauteur des besoins des jeunes en bénéficiant, permet tout au moins de limiter les abus de certains employeurs et donne aux stagiaires la possibilité de survivre moins difficilement que sans cette gratification.

Comment ignorer que plus de 100 000 étudiants vivent sous le seuil de pauvreté et que plus d’un tiers des étudiants sont contraints de travailler pour financer leurs études ?

Selon une étude menée par l’institut de sondage IPSOS, un étudiant français dépense en moyenne 521 euros par mois et cela peut atteindre jusqu’à 800 euros pour les étudiants contraints de se loger auprès d’un bailleur privé.

Supprimer cette gratification…

Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. La suspendre !

Mme Isabelle Pasquet. … aurait pour effet immédiat de faire basculer les étudiants concernés par cette proposition de loi de la précarité vers l’extrême précarité, ce qui est pour nous inconcevable, même de manière temporaire.

Par ailleurs, cette proposition de loi, si elle était adoptée, pourrait avoir pour effet d’écarter des formations de travailleurs sociaux les étudiants les plus pauvres, c’est-à-dire ceux dont le soutien familial est le plus faible.

Or, on sait déjà que ces formations ne sont pas suffisamment attrayantes et l’on estime que le manque de professionnels formés, en comparaison des personnels nécessaires, serait de l’ordre de 30 %.

Selon Marcel Jaeger, professeur titulaire de la chaire de travail social et d’intervention sociale du Conservatoire national des arts et métiers, le CNAM : « Dans les instituts de formation, le constat est fait d’une baisse significative du nombre de candidats aux admissions. La filière la plus touchée est celle des assistants de service social. » Il ajoute : « Très souvent, les instituts ne disposent pas d’un nombre de candidats suffisant pour procéder à une réelle sélection, voire pour remplir une liste complète de candidats admis ».

Et pourtant, dans un avenir proche, en raison même de la pyramide des âges et, de manière plus globale, de la prise en charge de la dépense, les besoins seront colossaux. Déjà aujourd’hui, les besoins ne sont pas satisfaits et, contrairement au secteur sanitaire où les réponses aux besoins en nombre – et pas nécessairement en implantation géographique – suivent les évolutions de la société, le secteur social est en grande difficulté.

La paupérisation de tout un pan de la société, la précarisation du travail et de la vie dans son ensemble, la crise économique durable dont sont victimes nos concitoyens nous montrent chaque jour l’importance des différentes formes d’aides sociales.

Prendre une mesure qui reviendrait à demander aux élèves ou étudiants travailleurs sociaux de financer eux-mêmes leurs études, alors que, dans d’autres secteurs, ils bénéficieraient d’une gratification aussi insuffisante soit-elle, pourrait avoir pour effet de les écarter de cette formation, creusant encore un peu plus l’écart entre les besoins constatés sur le terrain et le nombre de professionnels pour y répondre.

Disant cela, nous n’écartons pas le débat réel sur l’impossibilité pour les structures accueillant habituellement les stagiaires à financer les gratifications qui sont délivrées à ceux-ci et, par voie de conséquence, leur impossibilité à répondre favorablement aux demandes de stages.

Il s’agit en fait d’une question de ressources financières, ce qui rend encore plus inacceptable la suppression de cette gratification.

Incontestablement, le montant du prix de journée ne permet pas à lui seul, comme le préconise la direction générale des affaires sociales dans sa circulaire du 27 juillet 2008, de couvrir les dépenses liées à la gratification des stages.

C’est donc bien ailleurs qu’il faut trouver les ressources nécessaires pour garantir le maintien de la gratification.

À ce titre, je précise – mais j’y reviendrai plus tard – que la disposition proposée dans le dernier alinéa de l’article unique constituant la proposition de loi, qui revient à transférer cette charge des structures ou établissements aux régions, n’est pas acceptable. D’ailleurs, les organisations d’élèves et d’étudiants ne s’y sont pas trompées. En effet, dans un courrier en date du 22 avril dernier adressé aux sénatrices et sénateurs, elles ne demandaient pas moins que le retrait de cette proposition de loi et invitaient les parlementaires à trouver une solution nationale pour financer les périodes de stages des travailleurs sociaux, considérant que le renvoi aux régions serait un gage d’inégalités territoriales.

Ainsi, aussi tentante soit-elle en ce qu’elle permettrait une réponse immédiate aux difficultés que rencontrent les élèves et étudiants travailleurs sociaux, cette proposition de loi n’est pas acceptable.

Pour notre part, nous entendons profiter de l’occasion qui nous est donnée par la discussion de cette proposition de loi pour réaffirmer, avec force, notre attachement au principe de la gratification des périodes de stages et nous proposerons pour ce faire un autre mécanisme, ainsi que la suppression de la disposition introduite lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, qui constitue la première atteinte à un principe important, ayant même fait en avril 2009 l’objet d’un engagement présidentiel : « Il n’est pas normal que les stages soient synonymes de précarité ».

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