Chronique d’une bataille parlementaire (1)

A partir du 5 octobre et pour deux semaines, peut-être trois, le Sénat examine à son tour la réforme des retraites. Cette discussion, parole de sénateurs communistes et du Parti de Gauche, n’aura rien de feutré ! Retrouvez ici un résumé quotidien des interventions et des actions venant de parlementaires mobilisés contre une réforme « totalement injuste » et qui se veulent à l’unisson de la protestation populaire.

Ambiance de ruche, ce matin dans les locaux du groupe CRC-SPG au Sénat. Assis autour d’une grande table, des collaborateurs actualisent et classent le « dossier de séance », un pavé qui rassemble les interventions et les 600 amendements déposés par le groupe. Au mur, de grands tableaux détaillent article par article, le déroulement de la discussion à venir. Dans des cases, on inscrit les initiales du sénateur qui sera appelé à prendre la parole à tel ou tel moment.

12HOO. Pierre Laurent arrive au Palais du Luxembourg. Devant les élus du groupe CRC-SPG, le secrétaire national du PCF souligne que le pays et les salariés regardent aujourd’hui vers le Sénat. « Nous vivons un moment politique et social très particulier. Le gouvernement a perdu la bataille d’idée, ce qui n’était pas le cas au printemps. Aujourd’hui, personne ne peut dire ce qui va se passer. Dans ce contexte, la résistance parlementaire à ce projet et toute nouvelle démonstration que des alternatives sont possibles sont autant de signes d’encouragement pour le mouvement populaire. C’est pour cela que votre rôle est si important. »

12h30. Le responsable du PCF entouré des élus du groupe, écharpes tricolores en bandoulière, rejoint la manifestation organisée par l’intersyndicale devant les portes d’entrée du Sénat. Martine Aubry, Jean-Luc Mélenchon et plusieurs sénateurs socialistes sont aussi là. Une pluie de drapeaux syndicaux les accueillent. Slogans entendus : Grève générale ! Tous ensemble, tous ensemble…

Petit retour en arrière. C’était un beau scénario : un mouvement social qui s’essouffle, un Parlement qui procède à une adoption rapide et discrète de la loi, et l’attention des Français davantage tournée vers les campements de Roms qu’en direction des questions sociales… Voilà comment à l’Elysée, on imaginait imposer sans trop de dommage une réforme forcément impopulaire qui reporte l’âge légal de départ à la retraite à 62 ans, et à 67 ans le droit de percevoir une pension à taux plein sans décote, quel que soit le nombre de trimestres cotisés. Patatras ! Alors que le Sénat entame aujourd’hui l’examen de la réforme, plus aucun politologue averti ne se risque au petit jeu des pronostics. Et pour cause : nul ne sait à l’heure actuelle si le pouvoir finira pas obtenir gain de cause où s’il sera contraint de faire machine arrière. L’importance de la mobilisation, sa persistance, le soutien grandissant de la population, le contraignent à un bras de fer qu’il pensait éviter.

Du coup, les évidences n’en sont plus : l’allongement de la durée de la vie n’est plus un argument imparable. Or c’est sur lui que repose en grande partie les justifications du gouvernement… On l’a vu à l’Assemblée nationale, où la réforme a été sans surprise votée le 15 septembre dernier après l’arrêt brutal et autoritaire de la discussion. Amputée, cette première bataille parlementaire a néanmoins permis à l’opposition de faire apparaître au grand jour toute l’injustice de la réforme. Au Sénat, le crédit-temps limitant le temps de parole des parlementaires n’a pas cours. La discussion s’y annonce plus longue, deux semaines, voire trois, et plus serrée, l’UMP ne disposant pas de la majorité absolue. Ce qui laisse tout le temps aux opposants à la réforme de poursuivre et d’amplifier leur mobilisation…

Durant le week-end, les responsables de la majorité sont évidemment restés inflexibles, faisant mine d’ignorer ces turbulences imprévues. Les manifestants « se trompent » a expliqué François Fillon. Le Premier ministre a aussi redit son refus de revenir sur l’essentiel du texte, concédant juste quelques « aménagements possibles ». Même son de cloche du côté d’Eric Woerth. « ll y a un cadre général de la réforme, qui consiste à augmenter la durée du travail de deux ans, qu’on ne peut pas changer », a de nouveau asséné le ministre du Travail, reconnaissant cependant qu’un « supplément d’information » était nécessaire.

Sûrement pour éclairer la lanterne vacillante des millions de Français qui s’opposent à la réforme ! Gérard Larcher, le président UMP du Sénat, est visiblement chargé de leur apporter des nouvelles rassurantes. Lundi, dans un entretien accordé au journal « Les Echos », le président UMP du Sénat a estimé qu’il fallait « mieux répondre à toutes les personnes qui ont eu des parcours professionnels hachés ». Et d’ajouter : « Ce que nous souhaitons pour les mères de trois enfants et plus, c’est bloquer l’âge du taux plein à 65 ans de façon transitoire. Il ne s’agit pas d’une remise en cause générale, mais de gérer une transition ». Du transitoire qui ne changera pas grand-chose, de l’aveu même de Gérard Longuet : « Il ne faut pas se raconter d’histoire : les marges de manoeuvre sont extrêmement étroites », indique le président du groupe UMP au Sénat. Quoi qu’il en soit, on a envie de dire : assez d’hypocrisie ! La politique constante de dérégulation du marché du travail dont le gouvernement s’est fait le champion, d’amoindrissement des protections des salariés et d’incitation aux bas salaires conduit en effet à ce que les femmes perçoivent des pensions très inférieures à celles des hommes.

« Pour nous, considèrent les élus du groupe CRC-SPG, la question des retraites des femmes est d’abord et avant tout la question du travail précaire, de la massification du chômage et des inégalités salariales. Les femmes, comme l’ensemble des salariés, n’ont pas à payer, une fois l’âge de la retraite atteint, les effets d’une politique qui tire toujours les salaires vers le bas tout en accroissant les dividendes perçus par les actionnaires ». Ces ajustements de dernières minutes sont « des propositions de diversion » résume Guy Fischer, sénateur communiste du Rhône. Les élus du groupe CRC-SPG « entrent en résistance dès l’ouverture des débats contre un projet qui constitue le recul social le plus important de l’après-guerre », prévient-il. « Nous serons omniprésents ». Ce qu’on imagine sans mal : avec près de 600 amendements déposés, les sénateurs communistes et du Parti du gauche ont déposé à eux seuls la moitié de tous les amendements qui seront discutés. Au cours des débats, ils ont l’intention de « proposer une vraie alternative pour une réforme en faveur des salariés et non pas contre eux, pour une réforme qui ne ferme pas l’avenir à la jeunesse.

Le cœur de ces propositions, c’est la taxation des revenus du capital. Chacun le sait maintenant, c’est aux salariés qu’on demande de mettre la main à la poche et certainement pas aux plus fortunés. L’objectif du groupe CRC-SPG est simple : la retraite à 60 ans à taux plein pour tous en allant chercher l’argent où il est, sur les marchés financiers. » Alors que le projet du gouvernement vise surtout à réduire la dette publique pour satisfaire les agences de notation, et répondre de la sorte aux exigences du MEDEF, plutôt qu’à assurer un retour à l’équilibre des comptes sociaux ou à pérenniser le système de retraite par répartition. Son caractère injuste est maintenant une évidence. Ainsi, 85 % du coût de la réforme des retraites sera supporté par les salariés, 10 % seulement par les détenteurs de capitaux. Tout est dit. Le gouvernement affirme vouloir dégager 20 milliards d’euros. Mais il passe sous silence les 34 milliards d’euros qui manquent à la sécurité sociale du fait de la crise du capitalisme et que, depuis 1983, les milieux financiers ont capté chaque année – sous forme de dividendes, de stock-options ou de parachutes dorés – plus de 100 milliards d’euros.

L’examen de la réforme des retraites a commencé à 16h30, après le vote des conclusions de la commission mixte paritaire relative au projet de loi sur le dialogue social. Au moment où le ministre du Travail monte à la tribune, les élus du groupe CRC-SPG déploient une banderole sur laquelle on peut lire : Messieurs Sarkozy et Woerth, écoutez le peuple, retirez votre projet de loi sur les retraites !

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