Chronique d’une bataille parlementaire (5)

Résumons. Alors que les sénateurs examinent depuis mardi 5 octobre le projet de loi réformant les retraites, quel bilan peut-on tirer de cette première semaine de débat ? A première vue, le gouvernement a toutes les raisons de se réjouir : en dépit d’une opposition farouche des parlementaires de gauche, et singulièrement des sénateurs communistes et du Parti de Gauche, il a réussi à faire adopter vendredi soir l’article phare de son projet de loi qui reporte à 62 ans l’âge légal du départ à la retraite. Il devrait en faire de même ce lundi avec l’article 6 qui prévoit lui de repousser à 67 ans l’âge nécessaire permettant de percevoir une pension à taux plein.

Est-ce une surprise ? A vrai dire, non. Même si l’UMP ne dispose plus de la majorité absolue au Sénat, elle sait pouvoir compter sur l’appoint des voix centristes sur chaque dossier important. Cela a encore été le cas. Ce qui est plus surprenant en revanche, c’est l’empressement avec lequel le gouvernement a voulu faire adopter ces dispositions. En raison de l’enlisement de la discussion, il n’a pas hésité à recourir à une astuce du règlement, avec la bienveillante complicité de la présidence du Sénat, lui permettant de faire discuter en priorité ces deux articles essentiels. Mais même ainsi, l’adoption de l’article 5 a été longue et difficile. La faute en revient pour une grande part aux élus du groupe CRC-SPG. En défendant une trentaine d’amendements, alors que les socialistes se contentaient d’un seul, ils ont largement contribué à ce que les débats s’éternisent. Commencée jeudi à 21 h 30, la discussion s’est achevée vendredi peu avant 19 h. Résultat : la majorité n’a pas pu faire adopter l’article 6 avant le week-end. Son examen a repris ce matin à 10 h, alors que 955 amendements restent encore à examiner sur un total de 1200. A l’évidence, le Sénat est loin d’en avoir terminé avec les retraites. Alors pourquoi tant de précipitation ?

« Cédant aux injonctions du MEDEF, le gouvernement espère ainsi démobiliser le puissant mouvement social qui se renforce contre son projet et qui s’exprimera fortement le 12 octobre prochain, répondent les élus du groupe CRC-SPG. Ce vote n’est qu’une victoire à la Pyrrhus. Il peut se retourner contre le gouvernement et est la marque de son mépris envers l’ensemble des salariés, aujourd’hui très largement opposés à son projet. Ce vote du Sénat ne règle rien. La loi, dans son ensemble, n’est toujours pas votée. En usant de tous les artifices pour tenter de parvenir à ses fins, le gouvernement n’a fait que montrer son entêtement, mais aussi sa fébrilité. La preuve est ainsi faite que malgré ses déclarations, rien n’est joué. Le vote d’un article ne fait pas une loi et chacun sait qu’une loi, même votée, n’est pas encore promulguée. Tout reste donc encore possible. Aux côtés de toutes les forces sociales mobilisées contre la suppression de la retraite à 60 ans, les sénateurs communistes républicains citoyens et les sénateurs du Parti de Gauche s’engagent à poursuivre leur radicale opposition dans le débat au Sénat pour combattre, article par article tous les points de cette réforme scélérate et faire entendre des solutions alternatives. »

C’est ce que fait par exemple François Autain, en pointant au passage la mauvaise foi évidente d’Eric Woerth. « M. le ministre n’a de cesse de nous parler du libre choix du départ à la retraite entre 62 ans et 67 ans, explique le sénateur de Loire-Atlantique. Mais si un salarié n’a pas le nombre de trimestres suffisant pour partir avec une retraite à taux plein, en quoi est-ce un libre choix ? Le choix de gagner moins ? La liberté de choisir le montant de sa décote, à raison de 5 % par an ? Ainsi, pour une retraite de 800 euros, une décote de 5 % représente tout de même sur deux ans 80 euros, ce qui est énorme à la fin du mois. Vous laissez donc le libre choix de toucher une toute petite retraite ! Voilà à quoi se résume votre liberté ! Pour un Président de la République qui voulait revaloriser le travail et le pouvoir d’achat, c’est raté, et ce sur les deux fronts. Enfin, le passage de 65 ans à 67 ans de la retraite à taux plein pénalisera non seulement les femmes, mais également tous ceux qui sont dans une situation précaire : ceux qui connaissent de plus en plus de périodes de chômage, que ce soit en début de carrière professionnelle, parce qu’ils n’arrivent pas à entrer dans le monde du travail – et il s’agit souvent des personnes ayant le moins de qualifications –, ou en fin de carrière professionnelle, parce qu’on les jette au motif qu’ils ne sont plus assez compétitifs. »

Entourloupe : c’est le qualificatif employé par Nicole Borvo Cohen-Seat à propos des « aménagements » proposés par le gouvernement. Encore une fois, les oreilles d’Eric Woerth sifflent. « Par un tour de prestidigitateur, monsieur le ministre, vous essayez de nous démontrer que vous allez accorder quelques avantages à des femmes nées entre 1951 et 1955, qui ont eu trois enfants - 130 000 femmes sont concernées, dites-vous -, et vous le présentez comme une concession ou un aménagement, on a tout entendu.
Les centristes se sont faits fort d’ailleurs de s’approprier cette avancée. Je remarque qu’ils ne sont même pas là pour expliquer leur vote. Monsieur le ministre, en matière de prestidigitation, quand on a compris le tour, il n’y a plus de magie, et, en ce qui concerne vos différents développements sur la question, personne n’est dupe, souligne la présidente du groupe CRC-SPG. En effet, vous nous avez expliqué que, prochainement, les femmes auraient autant de trimestres de cotisation que les hommes. Nous n’avons donc pas de souci à nous faire, toutes ces considérations sur les disparités entre les femmes et les hommes seront obsolètes et, bientôt, il ne sera plus nécessaire de donner un quelconque avantage aux femmes pour qu’elles perçoivent une retraite à taux plein. Or, aujourd’hui, quand on embauche des femmes jeunes, jusqu’à 35 ans environ, on leur dit qu’on les paiera moins cher, avec une moindre qualification reconnue et moins de responsabilités, parce qu’elles sont susceptibles d’avoir des enfants. Elles commencent donc déjà très mal. Bien évidemment, vu le nombre de chômeurs dans notre pays, en particulier chez les jeunes, elles ne sont pas embauchées en priorité, toujours pour les mêmes raisons : elles sont susceptibles d’avoir des enfants. Ensuite, certaines ont des enfants, ce qui est d’ailleurs très utile parce qu’elles assurent le renouvellement des générations : on aurait du mal à le faire sans les femmes ! Enfin, on les somme de prendre du temps pour s’occuper de leurs enfants. En général, on constate que les femmes le font, plus que les hommes, et arrêtent éventuellement de travailler. Et parce qu’elles ont des enfants, elles sont discriminées dans leur travail et dans leur évolution de carrière. Tout cela aboutit au fait qu’elles ont des salaires de 27 % inférieurs à ceux des hommes. »

Retour enfin sur un épisode relativement anecdotique, mais révélateur de la volonté des sénateurs communistes et du Parti de Gauche de ne rien passer au gouvernement. A 9 h 30, vendredi matin, reprise des travaux. Guy Fischer demande la parole au président de séance pour un rappel au règlement. Sous ce vocable se cache une procédure permettant à un sénateur d’intervenir dans l’hémicycle sur un sujet d’actualité ou ayant trait au déroulement de la séance. Le sénateur du Rhône brandit une page de journal qui reproduit un encart du ministère du Travail. « Les annonces gouvernementales sont comme les contrats d’assurance ou de crédit à la consommation, ironise-t-il : pour en prendre toute la portée, il faut rechercher les astérisques, les mentions figurant en bas de page, en petits caractères, que l’on ne lit bien souvent pas et qui, pourtant, constituent les points les plus importants. J’en veux pour preuve la campagne médiatique que le gouvernement a conduite dans la presse, notamment gratuite et qu’il poursuit aujourd’hui avant tout vote ! Il ose affirmer, dessin et titre en gras à l’appui, que ceux qui ont un travail pénible garderont la retraite à 60 ans. C’est faux ! En réalité, il n’en est rien, car, contrairement à ce qui est écrit, le gouvernement refuse que l’on évalue la pénibilité par métier, préférant une approche individualisée, au cas par cas, médicalisée à seule fin de réduire considérablement le nombre de bénéficiaires. Le communiqué du gouvernement s’apparente à une publicité mensongère ! » Allons donc, comme si c’était le genre de la maison !

A suivre…

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