Chronique d’une bataille parlementaire (6)

Pour un sénateur du groupe CRC-SPG, les jours de manifestations et de grèves, pour peu qu’ils soient réussis, ont un effet similaire à celui que procure une célèbre barre chocolatée. Des millions de manifestants dans la rue, et le combat reprend de plus belle au Sénat ! Le débat est en effet loin d’être terminé au Palais du Luxembourg où 855 amendements restent à examiner. Et au train où vont les choses, c’est-à-dire très lentement, il est fort possible que la semaine n’y suffise pas.

A 14 h 30, à la reprise des travaux, les sénateurs communistes et du Parti de Gauche demanderont une interruption de séance pour pouvoir exprimer leur solidarité envers les manifestants. « Cette suspension pourrait permettre aux sénateurs qui le souhaitent d’être présents aux côtés de nos concitoyens en lutte pour le retrait de ce projet de loi dont nous débattons, estiment-ils. Continuer nos travaux, comme si rien ne se passait dehors, ce serait finalement un manque de respect envers l’ensemble de notre peuple et tout particulièrement envers les citoyennes et citoyens, engagés et actifs, qui n’hésitent pas à descendre dans la rue et à perdre une journée de salaire pour exprimer leurs craintes et leurs espoirs, leurs désaccords et leur colère, pour se faire entendre et être enfin écoutés. A l’heure où de nombreux observateurs notent le divorce entre le peuple et ses représentants, cette suspension serait à notre avis un geste dont la dimension démocratique n’échapperait à personne. »

Pour appuyer leur requête, les élus du groupe CRC-SPG disposent d’un argument de poids : Gérard Longuet a obtenu le 4 mai dernier une suspension de séance de plusieurs heures pour permettre aux sénateurs du groupe UMP de se rendre à une rencontre, qu’ils avaient eux-mêmes sollicitée, auprès de la Présidence de la République. Si le Senat interrompt ses travaux pour que quelques sénateurs puissent rencontrer Nicolas Sarkozy, il peut bien en faire de même pour que d’autres aillent à la rencontre des Français !

174 voix contre 159 : adopté certes, mais au terme d’une interminable discussion. L’adoption, lundi soir à 21 h 30, de l’article 6 qui reporte à 67 ans l’âge permettant de bénéficier d’une pension sans décote, a donné une nouvelle fois lieu à de longues passes d’armes entre les élus de gauche et la majorité sénatoriale. « C’est un pas de plus vers l’érosion des droits sociaux, a résumé Guy Fischer en s’adressant dans l’hémicycle à Eric Woerth. Les idées libérales sont votre totem, dans votre vie politique comme dans votre carrière privée. Avec vous, les riches sont plus riches, les pauvres plus pauvres. Le président actuel restera dans l’histoire comme celui des riches, votre gouvernement comme celui d’une politique de classe, sécuritaire et xénophobe. Selon vous, nous serions pour l’immobilisme, car nous défendons les travailleurs. Nous souhaitons simplement que les travailleurs puissent profiter un peu, eux aussi, des gains de productivité ! Nous ne sommes pas pour l’immobilisme, mais nous avons une autre vision de la vie : l’argent n’est pas le but de la vie ; le travail est un moyen de gagner sa vie. Les Français aspirent à vivre dignement. Il n’y a pas de honte à vouloir se reposer après quarante ans de travail ! Travailler plus pour gagner plus ? C’est une promesse doublement trahie ! Le travail devient une machine à broyer les salariés, le chômage est systémique. Pourquoi ? Pour les profits boursiers ! »

« Ne croyez par que l’adoption de cet article 6 suffise à vous garantir de gagner la partie, il reste encore plusieurs centaines d’amendements » et « une détermination grandissante des salariés », a renchéri Isabelle Pasquet, sénatrice des Bouches-du-Rhône.

Même tonalité du côté d’Annie David : « Nous sommes en colère, s’est exclamée la sénatrice de l’Isère : les femmes, les précaires, les seniors seront les premières victimes, toujours les mêmes ! Nous sommes en colère devant votre surdité. Vous n’entendez pas les millions de manifestants. Nous sommes en colère devant la casse d’un acquis social majeur, devant votre refus de discuter de l’aspect financier de cette réforme qui n’est pas financée. Mais vous refusez d’ouvrir le débat. »

De fait, l’examen de l’amendement 1182, déposé par le gouvernement, a été une nouvelle occasion de vérifier l’intransigeance du pouvoir. La majorité UMP, avec le concours des centristes, a repoussé un sous-amendement présenté pourtant par la sénatrice Jacqueline Panis, elle-même membre de l’UMP, et qui reprenait à son compte une proposition de la délégation aux droits des femmes et de l’Observatoire des inégalités visant à étendre le dispositif proposé par le gouvernement. Rien de révolutionnaire puisqu’il s’agissait de la sorte de s’en tenir à l’état actuel du droit, à savoir, le maintien du droit à une pension sans décote dès 65 ans. « En se prononçant contre cette proposition, ont réagi les sénateurs communistes et du Parti de Gauche, le gouvernement fait peu de cas des propositions de la délégation aux droits des femmes qui s’était prononcée en faveur de cette disposition et de la commission des affaires sociales qui avait, pour sa part, demandé la sagesse du Sénat. Ce refus est la démonstration que le gouvernement n’acceptera à l’avenir plus aucune amélioration à son projet de loi, fussent-elles issues des rangs mêmes de la majorité. »

C’est une petite phrase qui en dit long. Eric Woerth a estimé au cours des débats que ceux qui appellent à la mobilisation des jeunes « sont totalement irresponsables ». Ce qui n’est évidemment pas le cas d’un gouvernement qui reste obstinément insensible aux souhaits de millions de manifestants et d’une majorité écrasante de Français ! La formule, classique dans la bouche d’un responsable de la droite dès que la jeunesse se mobilise, témoigne cependant d’une réelle inquiétude. « Sarko, t’es foutu, la jeunesse est dans la rue », ont scandé ce matin des centaines de jeunes en manifestant aux côtés des salariés à Toulouse. Un exemple parmi des dizaines d’autres. Le syndrome du CPE gagnerait-il l’UMP ?

A 17 h ce mardi, l’ordre du jour prévoit une séance de questions cribles au gouvernement ayant pour thème l’accès au logement. Questions courtes des sénateurs, réponses dans la foulée des ministres, puis réactions des parlementaires : l’exercice se veut vivant et dynamique. Il sera cette fois aussi polémique, Odette Terrade ayant choisi de traiter plus particulièrement de l’accès au logement des… retraités ! « 600 000 personnes âgées vivent actuellement avec une allocation de solidarité de 628 euros, ce qui les place sous le seuil de pauvreté, rappelle la sénatrice du Val-de-Marne. Comment se loger dans ces conditions ? La réforme des retraites va accentuer ce dysfonctionnement par un mécanisme très simple : l’allongement des durées de cotisations, cumulée avec le report de deux années de l’âge légal de départ à la retraite va conduire à une diminution du montant des pensions. » La guérilla parlementaire continue…

A suivre…

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