Il est grand temps de permettre l’émergence d’un corps d’expertise indépendant de tout lien d’intérêts

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi, tel qu’il résulte des travaux de l’Assemblée nationale, est un paradoxe à lui seul. En raison du peu de temps qui m’est imparti, je concentrerai donc mes propos sur la question de la transparence et de l’existence des liens d’intérêts.

Alors que la commission mixte paritaire était parvenue à un accord sur les cinq premiers articles, retenant d’ailleurs de manière générale les travaux de la Haute Assemblée, les députés du groupe de l’UMP ont cru utile de revenir sur le consensus trouvé en CMP sur ces premiers articles, avant que celle-ci n’échoue. Un peu comme si, à l’Assemblée nationale, il fallait que les députés qui soutiennent le Gouvernement fassent la preuve de leur fidélité en détricotant méticuleusement tout ce que le Sénat avait adopté en première lecture. (M. André Reichardt s’esclaffe.)

Nous regrettons une telle attitude. C’est la raison pour laquelle, dès la réunion de la commission des affaires sociales, nous avons soutenu notre rapporteur dans sa démarche consistant à déposer, au nom de la commission, une motion tendant à opposer la question préalable. Mon collègue Dominique Watrin exprimera ultérieurement la position du groupe CRC à ce sujet.

Dire devant vous qu’il ne reste plus aucun point d’accord entre nos deux chambres serait, à l’évidence, faux. Toutefois, il s’agit pour nous d’opérer la balance entre le texte dont nous discutons aujourd’hui et ce dont a besoin notre pays pour garantir une véritable sécurité sanitaire, et je dirai même lever progressivement la méfiance de nos concitoyens à l’égard de notre système. Celui-ci a fait la preuve, non seulement avec le cas du Mediator, mais aussi avec l’épisode de la grippe A H1N1, de son inefficacité, notamment en raison de la porosité entre l’industrie pharmaceutique, d’une part, et les agences de contrôle, d’autre part.

Vous le savez, pour nous, il était grand temps de permettre l’émergence d’un corps d’expertise indépendant de tout lien d’intérêts. Car l’expérience nous le prouve, le risque que ces liens d’intérêts deviennent des conflits d’intérêts est bien réel, avec tous les dysfonctionnements que cela génère.

À cet égard, je ne m’explique pas que les députés de l’UMP aient supprimé l’article qui se limitait à la remise d’un rapport sur les moyens de parvenir à un tel système. Il s’agissait non pas d’instaurer dès aujourd’hui un corps d’expertise indépendant, mais de l’envisager sérieusement. La création d’un tel corps était préconisée, je le rappelle, par la mission d’information présidée par notre ancien collègue François Autain, et dont le rapport avait été adopté à l’unanimité.

L’Assemblée nationale a également supprimé les dispositions que nous avions proposées et que le Sénat avait adoptées concernant l’indépendance des membres de toutes les agences sanitaires et les mécanismes d’appel à candidature pour la désignation du président du conseil d’administration et du président du conseil scientifique de l’Institut national du cancer. Nous le regrettons !

Je voudrais profiter de l’occasion pour revenir sur un argument que nous avons entendu à de nombreuses reprises. Soyons clairs : tel que nous avions rédigé l’article, le fait qu’une personne travaille pour une structure publique ou pour un centre de recherche percevant des subventions d’une entreprise privée ne faisait pas obstacle à sa nomination au sein d’une agence publique. Il en aurait été autrement si celui-ci avait été directement salarié de cette entreprise privée. C’est là toute la distinction entre conflit d’intérêts et lien d’intérêts ! Une distinction sur laquelle vous êtes vous-même souvent revenu, sans jamais l’appliquer, monsieur le ministre.

Je regrette également que votre majorité à l’Assemblée nationale ait réduit presque à néant la portée du Sunshine Act à la française. Là aussi, soyons clairs : la simple communication sur l’existence d’une convention entre un professionnel de santé et une entreprise n’est pas suffisante. Il faut, comme je le soulignais en première lecture, en faisant référence au député américain auteur de cette mesure, faire toute la lumière pour chasser les zones d’ombre.

Des zones d’ombre dont la majorité présidentielle a permis l’extension puisqu’elle a, avec votre soutien, supprimé l’interdiction que nous avions faite aux étudiants en médecine de recevoir des cadeaux et de bénéficier de prestations dites d’hospitalité de la part de l’industrie pharmaceutique.

Des zones d’ombre qu’il sera difficile de démasquer dans la mesure où les déclarations d’intérêts ne seront plus centralisées sur un site internet unique et gratuit, consultable par tous. Résultat : ceux qui voudront s’assurer de l’absence de liens d’intérêts d’un acteur de notre système sanitaire seront contraints d’effectuer une recherche sur une multitude de sites internet.

Pourquoi faire simple et clair quand on peut faire complexe et obscur ?

L’Assemblée nationale est également revenue sur les dispositions que nous avions adoptées concernant les visiteurs médicaux.

Ces derniers font l’objet d’un important débat. La nature même de leur exercice, au-delà de leurs compétences et de leur probité personnelle, est de nature à générer le doute. Comment peut-on croire qu’ils peuvent être des facteurs impartiaux d’information quand ils sont rémunérés à la performance, en fonction du nombre de boîtes de médicaments vendues dans les zones qui leur sont attribuées par le laboratoire dont ils sont les salariés ? Leur reconversion, en faveur d’un corps indépendant, permettant à la fois leur maintien dans l’emploi et le changement même de leurs missions, en faveur d’une information délivrée dans le sens de la santé publique, nous paraissait être une piste à étudier.

Non seulement l’UMP a refusé cette mesure, mais elle a également étendu la visite collective dans les établissements de santé aux dispositifs médicaux. Nous le regrettons, car – nous l’avions déjà dit en première lecture – cette visite médicale en hôpital concerne les médicaments les plus onéreux, ceux sur lesquels les laboratoires réalisent les marges les plus importantes. J’ai du mal à croire que les chefs de service, les professeurs de nos établissements de santé, publics comme privés, qui sont également souvent des enseignants et des chercheurs, ne sont pas suffisamment informés de l’état de la pharmacopée actuelle, pour avoir besoin de la visite des commerciaux de l’industrie pharmaceutique.

La transparence qu’appellent de nos vœux nos concitoyens est malheureusement absente du projet de loi. Elle était pourtant essentielle ; elle devait être au cœur d’un texte censé sécuriser le parcours du médicament. C’est donc l’essentiel qui fait défaut. Telle est la raison pour laquelle le groupe CRC ne peut voter le projet de loi en l’état. Telle est également la raison pour laquelle nous voterons la motion tendant à opposer la question préalable présentée par la commission.

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