Affaires sociales

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Notre proposition de loi revient sur les excès de la loi Mallié, sans prétendre interdire tout travail le dimanche

Droit au repos dominical -

Par / 16 novembre 2011

Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, en 2009, le Sénat adoptait, à une très courte majorité de trois voix, la proposition de loi déposée par le député UMP Richard Mallié, présentée par son auteur comme devant à la fois réaffirmer « le principe du repos dominical », tout en adaptant « les dérogations à ce principe dans les communes et zones touristiques et thermales ainsi que dans certaines grandes agglomérations pour les salariés volontaires ».

Ce sont là deux objectifs antinomiques puisque, pour satisfaire le second dont profitent directement les employeurs et ceux qui détiennent les entreprises, il faut réduire les droits des salariés, pourtant définis comme étant le premier objectif de ce qui n’était alors qu’une proposition de loi.

C’est sur la base de ce constat que notre groupe, avec les autres composantes de la gauche et une partie des sénatrices et sénateurs de la majorité présidentielle, a voté contre cette proposition de loi, et c’est aussi sur cette base, que nous avons déposé, il y a quelques semaines, la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui.

À cet égard, permettez-moi de remercier notre rapporteure et les administrateurs de la commission des affaires sociales pour le travail de perfectionnement qui a été réalisé. Vous avez su, madame la rapporteure, conserver l’essence de notre proposition de loi, que l’on pourrait résumer en deux mots : pragmatisme et renforcement des droits.

Toutefois, avant d’en venir à la présentation de la proposition de loi telle qu’amendée par la commission des affaires sociales, je voudrais dire quelques mots sur notre conception du repos dominical, puisque c’est elle qui nous a conduits à vous proposer, mes chers collègues, d’en renforcer le principe.

Contrairement à ce que certains voudraient faire croire, le repos dominical n’est pas seulement un héritage de l’époque où la France était considérée comme la « fille ainée de l’église ». Nous n’ignorons pas que cela a eu une importance dans l’instauration du dimanche chômé, et nous savons également que c’est en 1906 que la loi a réaffirmé, pour la première fois, le principe du repos le dimanche.

Comme le souligne l’historien Robert Beck, auteur du livre intitulé Histoire du dimanche : de 1700 à nos jours, « à partir de la loi de 1906, le congé du dimanche n’a plus rien de religieux. Une loi pour la sanctification du dimanche avait effectivement été promulguée en 1814, mais elle était tombée en désuétude puis définitivement abolie par une loi de 1880 ».

C’est donc une loi laïque qui est adoptée en 1906, soit un an à peine après l’adoption de la loi de 1905 relative à la séparation des Églises et de l’État.

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales, rapporteure. Très bon rappel !

Mme Isabelle Pasquet, auteure de la proposition de loi. Les fondements revendiqués de cette loi étaient doubles : garantir aux salariés et aux travailleurs le droit au repos et à la famille.

Force est de constater que, depuis 1906, entre la loi Sarrien et notre proposition de loi, les objectifs n’ont pas réellement changé.

L’enjeu est moins de faire du dimanche en tant que tel un jour de repos que de garantir à tous nos concitoyens le droit de bénéficier d’un jour chômé par semaine, et le même jour pour tous. Ce jour identique est, pour nous, comme pour les salariés, qui demeurent majoritairement opposés au travail le dimanche, le gage d’une société qui avance au même rythme pour tout le monde, d’une société qui reconnaît qu’un jour commun de repos est profitable à la société dans son ensemble, car il permet à tous d’avoir des activités culturelles, physiques, associatives ou familiales qui n’ont rien avoir avec le secteur marchand. Bref, il s’agit d’un temps commun pour soi, pour ses proches et pour l’altérité. Tel est d’ailleurs le sens de l’article 1er, et de notre proposition de loi dans son ensemble.

Par cette proposition de loi, nous voulons revenir sur les excès issus de la loi Mallié et non, comme certains voudraient le faire croire, abroger celle-ci ou interdire tout travail le dimanche. Nous considérons en effet que certaines dérogations au repos dominical sont indispensables ; je pense ici non seulement à tous ceux qui concourent à l’accomplissement d’une mission de service public – hôpitaux, transports, etc. –, mais aussi aux industries qui nécessitent obligatoirement une activité en continu. Il s’agit là de dérogations dont l’impératif est clair : la production industrielle rend techniquement impossible l’arrêt, le dimanche, des hauts fourneaux de la sidérurgie ou des vapocrackeurs de la pétrochimie, pour prendre des exemples que je connais bien. En revanche, on voit mal les impératifs qui justifient l’ouverture le dimanche de commerces d’ameublement ou de vente d’équipements sportifs.

Par ailleurs, les promesses de la loi de 2009 n’ont pas été respectées. Ainsi, dans les communes touristiques, la loi a autorisé tous les commerces, sans exception, à ouvrir le dimanche. Lundi matin, M. Lefebvre dénonçait notre proposition de loi sur une chaîne d’informations en continu, en prenant l’exemple du boucher des Abbesses, un quartier de Paris, qui se plaignait de l’application potentielle de cette proposition de loi.

Pour le coup, cet exemple est parfait pour qui veut prouver que les arguments de ceux qui le soutiennent sont faux !

Tout d’abord, ce commerce, parce qu’il est alimentaire, peut ouvrir le dimanche jusqu’à treize heures, y compris si Paris n’est pas classée comme ville touristique.

Ensuite, je trouve assez étonnant qu’un membre du Gouvernement apporte son soutien à des commerces de Paris ou de sa banlieue de type supermarché qui demeurent ouverts le dimanche au-delà de treize heures, voire jusqu’à vingt heures, en toute illégalité. Je ne suis pas sûre qu’il soit de bon ton de soutenir des établissements qui méconnaissent ouvertement la loi, alors que le Président de la République prône une République irréprochable.

Enfin, et surtout, on ne nous fera pas croire que les brochures distribuées aux touristes, dans leur pays d’origine, mentionnent l’ouverture des commerces le dimanche. On ne nous fera pas croire que les touristes chinois, américains, européens ou moyen-orientaux viennent en France ou n’y viennent pas en fonction de l’ouverture du boucher des Abbesses le dimanche après-midi !

Mme Éliane Assassi. Bravo !

Mme Isabelle Pasquet, auteure de la proposition de loi. La France était la première destination touristique en 2008, avant l’adoption de la loi Mallié, elle le demeure aujourd’hui, et le sera encore demain après l’adoption de notre proposition de loi. Cela n’y changera rien !

En revanche, ce qui changera, c’est le sort réservé aux salariés qui, eux, travaillent le dimanche dans les zones touristiques.

Mme Annie David, rapporteure. Exact !

Mme Isabelle Pasquet, auteure de la proposition de loi. Aujourd’hui, ils ne peuvent prétendre ni au volontariat – le travail le dimanche est obligatoire – ni aux contreparties financières. Ils ne sont pas traités à égalité avec ceux qui travaillent dans un périmètre d’usage de consommation exceptionnel.

Afin de remédier à cette situation et d’en finir avec la logique du « tout-marchand » que sous-tend la loi de 2009, nous proposons deux choses : d’une part, instaurer un principe simple, à savoir que seuls pourront ouvrir le dimanche les commerces dont l’activité est en lien avec le tourisme et pendant la période touristique ; d’autre part, faire respecter l’engagement présidentiel non tenu d’octroyer au salarié qui travaille le dimanche une contrepartie financière, que le travail soit occasionnel ou régulier.

De telles dispositions répondent favorablement aux conclusions d’un rapport de 2011 de la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations, instance de l’Organisation internationale du travail, OIT.

En effet, la Commission « estime souhaitable d’assurer une protection équivalente aux salariés employés dans ces deux catégories d’établissements », c’est-à-dire dans un périmètre d’usage de consommation exceptionnel, PUCE, et dans une zone touristique.

Nous entendons étendre ce droit à bénéficier de contreparties financières fixées par la loi à tous salariés qui travaillent dans les PUCE, car, si la loi Mallié prévoit bien des contreparties légales pour les salariés, celles-ci peuvent être, en cas d’accord collectif, inférieures à ce qui est prévu dans la loi, c’est-à-dire au doublement du salaire.

C’est le cas de l’accord signé à Plan de Campagne, cette vaste zone commerciale située à proximité de Marseille, qui fut à l’origine de la proposition de loi présentée par le député Richard Mallié. Dans cette zone, la majoration pour le travail du dimanche est de l’ordre de 25 %, soit le taux applicable aux heures supplémentaires. Nous sommes donc encore loin de l’engagement pris ici même par le Gouvernement, selon lequel le travail dominical serait toujours accompagné d’un paiement double !

Mme Annie David, rapporteure de la commission des affaires sociales. Et voilà : l’heure double !

Mme Isabelle Pasquet, auteure de la proposition de loi. Par ailleurs, le volontariat, qui doit être la base du travail le dimanche, demeure trop souvent virtuel. Le contrat de travail n’est pas un contrat de gré à gré comme les autres. La situation de l’emploi est tellement tendue que les salariés sont placés, de fait, dans une situation d’infériorité par rapport à l’employeur. Cette relation, que l’on qualifie de lien de subordination et qui caractérise le contrat de travail, fait trop souvent du volontariat un véritable mythe.

Pour imager mon propos, je prendrai un exemple d’une actualité très récente et concernant la situation des salariés de l’enseigne Ed/Dia d’Albertville, où l’employeur tirait au sort les salariés contraints de travailler le dimanche.

Je voudrais saluer l’importante mobilisation de ces derniers et les féliciter. En effet, après plus de cent dimanches de grève – cent quatre pour être précis –, ces femmes courageuses – car il ne s’agit ici que de femmes – ont obtenu ce qu’elles revendiquaient depuis deux ans : le droit de refuser de travailler le dimanche, une journée de travail pas comme les autres, puisqu’elle ne leur rapportait que cinq euros de plus par rapport à un jour de travail ordinaire !

Leur formidable lutte est la preuve que les salariés peuvent encore gagner des droits nouveaux. Mais il est souhaitable que la loi garantisse réellement les mesures de protection nécessaires, afin qu’une telle situation ne se reproduise plus.

De même, les salariés qui auraient consenti à travailler le dimanche doivent pouvoir revenir sur cet accord, sans que cela entraîne des sanctions. Tel est l’objectif de cette proposition de loi.

Nous entendons également préciser que cet accord doit être écrit et que l’éventuel refus du salarié ne doit pas donner lieu à discrimination lors de l’embauche. Cela signifie notamment que les offres d’emplois et le contrat de travail qui les accompagne ne doivent pas prévoir de manière automatique le travail le dimanche.

Tout cela ne veut pas dire que nous nions la volonté de certains salariés de travailler le dimanche. D’ailleurs, peu avant l’adoption de la loi Mallié, Le Journal du Dimanche avait publié un sondage révélant que 67 % des Français étaient favorables au travail dominical.

Mais, en y regardant de plus près, on se rend compte que ce sondage ne portait que sur les actifs. C’étaient donc 67 % des actifs qui étaient favorables au travail le dimanche et non 67 % des Français, ce qui relativise un peu les choses !

Parmi eux, 17 % seulement annonçaient vouloir travailler tous les dimanches ; 50 % déclaraient vouloir travailler occasionnellement le dimanche ; par ailleurs, 33 % déclaraient ne vouloir jamais travailler le dimanche. Il faut donc relativiser l’engouement pour le travail dominical !

Je me souviens d’un autre sondage selon lequel 67 % des Français déclaraient trouver agréable que les magasins soient ouverts le dimanche. Mais ce sont les mêmes qui refusaient à 85 % l’idée de travailler eux-mêmes ce jour-là !

Par conséquent, il faut tenir compte de tous ces éléments et proposer une réponse adaptée ; c’est ce que nous faisons avec notre proposition de loi.

En réalité, le renoncement au repos dominical, qui concerne souvent les salariés des grandes surfaces et singulièrement les femmes, est rarement un choix libre. Les contraintes économiques pèsent lourdement sur les choix de ces derniers.

Dans la grande distribution, la durée moyenne d’un contrat s’établit autour de vingt-trois heures par semaine, soit, pour une rémunération au SMIC – en vigueur le plus souvent dans cette profession –, un salaire hebdomadaire de 160 euros.

Dans ces conditions, comment ne pas s’étonner que des salariés fassent le « non-choix » de travailler le dimanche ? Avec une hausse des salaires importante, les salariés y renonceraient sans doute. Il en va de même pour les étudiants, qui préféreraient se consacrer sereinement à leur formation plutôt que de travailler le dimanche pour financer leurs études, payer leur logement, leur nourriture et parfois leurs soins.

Enfin, nous proposons que, dans le cadre des PUCE, plus aucune dérogation nouvelle ne puisse être délivrée. L’idée est de figer le nombre des PUCE existants.

Initialement, notre proposition de loi allait plus loin et prévoyait la suppression des dérogations accordées aux établissements qui méconnaissaient la législation en vigueur avant l’adoption de la loi de 2009. Cette disposition visait les zones commerciales qui ouvraient le dimanche sans avoir ni sollicité ni obtenu de dérogations préfectorales.

Nous visions notamment le cas du centre commercial Thiais village, qui a bénéficié d’un classement en PUCE, justifiant une habitude de consommation installée durant les mois précédant l’adoption de la loi du 10 août 2009, ce centre étant déjà ouvert le dimanche sans avoir obtenu de dérogations.

À l’inverse, la zone commerciale Plan de Campagne, qui historiquement a bénéficié durant près de quarante ans d’un droit à l’ouverture dominical sur la base d’arrêtés préfectoraux, même cassés par les tribunaux administratifs, aurait pu rester ouverte.

Par souci de clarification et de simplification, la commission a décidé d’adopter un mécanisme plus simple : le gel des PUCE, qui permet de freiner la multiplication des dérogations au principe du repos dominical. Cette solution, que nous approuvons, correspond aux observations de la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations, CEACR.

En effet, « Elle rappelle également que l’article 7 de la convention [C106 sur le repos hebdomadaire] ne permet l’application de régimes spéciaux de repos hebdomadaire que si la nature du travail, la nature des services fournis par l’établissement, l’importance de la population à desservir ou le nombre des personnes employées ne permettent pas l’application du régime normal de repos hebdomadaire. »

Le rapport précise encore : « Les considérations sociales, quant à elles, à savoir l’impact de cette dérogation sur les travailleurs concernés et leurs familles, ne paraissent pas avoir été prises en compte ou en tout cas pas au même titre que les considérations économiques. »

Pour nous, il s’agit de rompre avec la logique parfaitement identifiée par l’OIT selon laquelle la hausse des dérogations au repos hebdomadaire en France obéit à des « préoccupations économiques », sans tenir compte de l’impact social pour les salariés.

Ainsi, mes chers collègues, après le travail réalisé en commission, la proposition de loi qui vous est soumise aujourd’hui va dans le bon sens.

Nous ne remettons pas en cause les dérogations déjà consenties dans le cadre des PUCE, afin de ne pas déstabiliser l’emploi et les économies locales.

Nous limitons l’expansion des dérogations et accordons plus de droits aux salariés. Contrairement à ce qui a pu être dit en commission, il ne s’agit donc pas d’une loi « très orientée politiquement ». C’est, au contraire, un dispositif équilibré, pragmatique et protecteur des droits des salariés, de l’intérêt de la société comme des commerces de proximité, ce qui n’était pas le cas de la loi de 2009.

Pour toutes ces raisons, et parce que, eu égard aux réponses des organisations syndicales sollicitées dans le cadre du protocole de consultation des partenaires sociaux, qui figurent en annexe du rapport, nous savons que ces mesures sont attendues par les salariés, nous vous invitons, mes chers collègues, à adopter cette proposition de loi.

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